Étiquettes

, , , ,

Le vidéo-journaliste Moatasim Mortaja décrit la scène à l’hôpital al-Nasser de Khan Younès, où des centaines de corps de Palestiniens ont été découverts depuis le retrait des troupes israéliennes

Une Palestinienne pleure après que le corps de l’un de ses proches a été retrouvé enterré par les forces israéliennes à l’hôpital al-Nasser de Khan Younès, le 21 avril (AFP)

Par Lubna Masarwa à JÉRUSALEM

Moatasim Mortaja est un vidéo-journaliste palestinien basé à Khan Younès, dans le sud de Gaza. Ces derniers jours, il a documenté la découverte de fosses communes à l’hôpital al-Nasser, où plus de 300 corps ont été exhumés depuis le retrait des forces israéliennes. Lundi, sa vidéo d’une femme en gris embrassant le corps récemment découvert de son fils est devenue virale sur les réseaux sociaux. Ici, il décrit la scène pour Middle East Eye.

Des centaines de mères sont venues ici à l’hôpital al-Nasser de Khan Younès. Elles cherchent leurs enfants, se déplaçant de corps en corps, inspectant chaque détail.

Elles glissent leurs regards et leurs mains sur les cadavres, vérifiant s’ils portent une chemise, un pantalon, peut-être des chaussures qui permettront d’identifier leur enfant parmi les 300 personnes retrouvées dans ces charniers.

Les mères ont juste besoin d’un détail simple et essentiel pour reconnaître leurs fils. C’est ainsi que la femme en gris a trouvé le sien. Le reste de ses traits s’était dissous et avait disparu.

Israël a assiégé Khan Younès pendant trois mois. L’hôpital al-Nasser, le deuxième plus grand de Gaza, « épine dorsale » des services médicaux dans le sud, est devenu un refuge pour 10 000 Palestiniens cherchant à s’abriter des attaques.

Mais les forces israéliennes ont mené plusieurs raids dans l’hôpital en janvier et février, le mettant complètement à l’arrêt, arrêtant son personnel et faisant fuir des milliers de Palestiniens sans abri.

Dernièrement, après le retrait des troupes au début du mois, nous avons découvert que les Israéliens avaient enterré des centaines de personnes dans le périmètre de l’hôpital.

Le premier jour où les fosses ont été découvertes, 70 corps ont été trouvés. Le lendemain, il y en avait 70 de plus. Ces Palestiniens ont été enfouis sous terre, abandonnés sous les arbres et dans les salles de l’hôpital.

Mardi, les secours en ont trouvé quelques dizaines d’autres, portant le total à 310.

L’air est lourd de l’odeur de la mort. Elle est inévitable, dans chaque recoin, et pire encore lorsqu’un corps est exhumé.

Chaque fois qu’ils creusent, ils trouvent de nouveaux cadavres, parfois dans des endroits auxquels ils ne seraient jamais attendus. Parfois, ils ne trouvent que quelques parties d’une personne ou un cadavre décomposé et méconnaissable.

Selon le bureau des médias du gouvernement de Gaza, certains corps ont été retrouvés décapités, tandis que, sur d’autres, la peau et certains organes avaient été prélevés. Des enfants, des femmes âgées et des jeunes hommes feraient partie des victimes.

Les secouristes affirment avoir trouvé des corps avec les mains attachées dans le dos, ce qui, selon le bureau des droits de l’homme de l’ONU, « indique de graves violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire ».

L’armée israélienne nie avoir enterré les corps de Palestiniens, affirmant avoir au contraire « respectueusement » exhumé des dépouilles alors qu’elle était à la recherche des otages israéliens.

Il y a tellement de larmes aujourd’hui à l’hôpital al-Nasser, tellement de douleur. J’ai du mal à trouver les mots pour décrire cette scène.

Ce que l’on ressent quand on voit quelqu’un retrouver son proche est indescriptible, cette façon dont les mères recouvrent leurs fils morts d’un linceul et les accompagnent aux cimetières.

Chaque fois que nous capturons une image, en tant que journalistes, nous le faisons en silence. On ne peut pas parler, on pleure du sang pendant qu’on filme. Nos mains tremblent tellement que nos caméras perdent leur mise au point. Mais on recommence et on réessaie.

Traduit de l’anglais (original).