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par Edouard Husson

La défense des Palestiniens est un sujet trop sérieux pour être abandonné à l’extrême-gauche

La droite française n’est pas plus lucide que la droite américaine. Elle est autant décervelée que sa sœur d’Amérique du nord par le néo-conservatisme. On s’y offusque de ce que l’extrême-gauche manifeste sur les campus pour dénoncer les massacres de civils palestiniens par l’armée israélienne. La rhétorique consistant à assimiler les étudiants et le terrorisme est bien huilée , sous prétexte que des groupes d’extrême gauche sont, au moins partiellement, à la manœuvre. Et pourtant, quel aveuglement. N’est-il pas absurde de laisser le thème de la défense de Gaza et de l’avenir d’un Etat palestinien souverain à l’extrême-gauche? Surtout quand on est persuadé de défendre les intérêts de la France.

Nous avons parlé hier des campus américains. En France, Sciences Po joue le rôle de Columbia:

« De Paris à Gaza : résistance résistance »

Les jeunes se soulèvent devant sciences Po pour l’avenir de l’humanité. ❤️ pic.twitter.com/yE8zQYxr8o

— Ilan Gabet (@Ilangabet) April 26, 2024

Vous n’y pensez pas? vont me dire les gens de droite. D’ailleurs, c’est un sujet, où apparemment, les droites pont fait l’union. Rassemblement National, Républicains, Reconquête ont des nuances mais on m’y fait les gros yeux depuis le mois d’octobre.

Tout y passe, comme dans la rhétorique des Républicains américains. Les étudiants qui manifestent sur nos campus sont des gauchistes identitaires, des complices du Hamas, des antisémites etc.

Aucun doute: la gauche occupe le terrain

Nous sommes devant un bel exemple de prophétie auto-réalisatrice. En effet, regardons qui était à Sciences Po ce jour pour soutenir les étudiants:

🔴 Rima Hassan s’exprime à Sciences Po : « une pression politique s’exerce contre les voix de la paix »

Rima Hassan est arrivée à Sciences Po ce midi pour soutenir les étudiants mobilisés contre le génocide à Gaza.

« La mobilisation à Sciences Po est un symbole extrêmement… pic.twitter.com/m28Tf6izt2

— L’insoumission (@L_insoumission) April 26, 2024

Je suis allé soutenir les étudiantes et étudiants de @sciencespo à Paris qui se mobilisent actuellement pour le respect du droit international à Gaza, et donc pour l’arrêt du génocide en cours. Ils souhaitent aussi que leur école soit un lieu de discussion ouvert sur la question… pic.twitter.com/cpQsXIeYMO

— Aymeric Caron (@CaronAymericoff) April 26, 2024

Devant Sciences Po pour dire mon soutien à celles et ceux qui s’y mobilisent en faveur du cessez-le-feu et contre le génocide à Gaza, et qui protestent contre les manœuvres d’intimidation à l’encontre de tous ceux qui dans le pays se mobilisent pour les droits du peuple… pic.twitter.com/bnNqweQEzH

— Eric Coquerel (@ericcoquerel) April 26, 2024

Est-il bien raisonnable de laisser le thème de la défense des Palestiniens à la gauche (de la gauche)?

Bien évidemment, nous connaissons tous la culture de la gauche, surtout de la gauche de la gauche. Il n’est pas certain qu’une personnalité politique de droite qui viendrait apporter son soutien aux étudiants de Sciences Po soit accueillie sans sifflet. Encore que: ce serait tellement inattendu….

Les droites françaises se sont mises dans une situation absurde. Depuis le 7 octobre elles sont dans l’idéologie et, une partie de la gauche garde les deux pieds dans le réel. C’est comme aux Etats-Unis.

Allez, j’avoue mes préjugés d’homme de droite. Je soupçonne que la gauche aura du mal à s’extraire de l’émotion sur le sujet de Gaza. Je ne suis pas sûre qu’elle se préoccupe beaucoup des chrétiens de Gaza et de Palestine.

Allez, je continue dans le procès d’intention assumé. Je crains que la gauche s’installe dans une posture antisioniste facile. Autant la dénonciation des crimes du gouvernement Netanyahu doit être sans concession; autant il va falloir faire preuve de nuances pour sortir de la crise.

Le clivage droite/gauche est l’héritier du débat entre réalistes et nominalistes au Moyen-Age. Entre ceux, les réalistes, qui restent humbles devant le réel et pensent qu’on ne fait jamais qu’en découvrir une petite partie; et puis les autres, les nominalistes, qui sont persuadés que l’on ne tient entre ses mains que des mots (« nomina nuda tenemus ») et qui, tout à leurs jeux verbaux, en profitent ensuite pour tenter de plier le réel à leurs désirs.

Si l’on veut la paix au Proche-Orient, il va falloir accepter la complexité du réel. Je suis bien d’accord pour dire que les droites françaises, aujourd’hui, se comportent comme des idéologues. Le néoconservatisme est d’abord un parasitage de thèmes conservateurs et libéraux par d’anciens trotskistes. Justement, il va falloir redevenir « paléo-conservateur » pour trouver une issue.

+ accepter la réalité de l’union nationale palestinienne: du Hamas au Front Populaire de Libération de la Palestine; du Jihad islamique international aux dissidents du Fatah.

+ accepter la réalité de la puissance iranienne et du nouvel équilibre possible de la région, entre « l’Axe de la Résistance » (Iran, milices irakiennes, Hezbollah, Ansarallah) et la coalition arabo-turque.

+ accepter l’indispensable présence de la Russie dans la région pour aider à trouver un accord.

+ accepter de pousser l’entrée de la Palestine comme Etat à part entière à l’ONU etc….

+ garantir le libre exercice du culte chrétien en Terre Sainte.

Sur tous ces sujets, nous avons besoin de conservateurs authentiques, d’héritiers du gaullisme, de libéraux, de chrétiens-démocrates. Il va falloir aussi sortir de l’absurde confrontation avec « l’islamo-gauchisme ». De deux choses l’une, soit nos interlocuteurs en France sont des musulmans pratiquants et nous devons nous entendre sur un pacte conservateur. Soit nous avons affaire à des musulmans sécularisés, dont la vocation est d’aller vers tous les partis – et qui ne trouvent aujourd’hui pas d’autres interlocuteurs que la gauche.

Quant à ceux que l’on appelle les islamistes, il faut les combattre de manière froide et rationnelle – et en se souvenant que beaucoup d’entre eux ont été largement manipulés par Israël et les réseaux américains néo-conservateurs dans les vingt dernières années.

Le bourgeois conservateur assumé que je suis préférerait avoir affaire à des forces politiques héritières de la tradition capétienne et du gaullisme pour mettre en oeuvre une politique étrangère appropriée. Mais actuellement nous ne les voyons pas. Nous bien obligés de nous appuyer sur les gens de gauche qui n’ont pas perdu tout bon sens et ne traitent pas les humanistes de terroristes.

Et puis, soyons sérieux: des héritiers du grand Jaurès, fidèles aux principes de la Révolution mais attentifs au réel, s’il y en avait, ce serait une bonne nouvelle.

Le Courrier des Stratèges