par Edouard Husson

Islamo-gauchisme! expliquent les commentateurs à propos des manifestations étudiantes de soutien à Gaza. Avec naïveté ou duplicité ils ne voient pas que les universités américaines (ou Sciences Po) étaient jusqu’à récemment cimentées par l’alliance entre les néo-conservateurs et les wokistes. C’est ce ciment que les étudiants sont en train de faire sauter, plus par instinct qu’au terme d’une réflexion élaborée. Avec ingénuité, ils mettent à nu la nature profondément wokiste du néo-conservatisme.

Je me suis trouvé ce matin à débattre sur Radio-Courtoisie avec un sympathique dirigeant étudiant de l’UNI, qui était visiblement horrifié de m’entendre expliquer que les premiers responsables de l’embrasement à Sciences Po étaient le président de la République et son premier ministre!

Le syndicaliste étudiant de droite version 2024 parle volontiers d’éradiquer le wokisme de l’université. Visiblement, il ne se rend pas compte du fait que le consensus universitaire de ces dernières années a forgé l’alliance du néo-conservatisme et du wokisme. Tout à sa dénonciation des « islamo-gauchistes », il nous a expliqué que les étudiants pro-palestiniens étaient les mêmes qui avaient soutenu les émeutes et bloqué les universités contre la réforme des retraites….

Sans se rendre compte que lui le militant de droite nous avouait qu’il avait donc régulièrement contribué, depuis dix-huit mois, à sauver le président de la République en place. Emmanuel Macron, l’homme qui a déclaré un jour qu’il n’y avait pas de culture française et qui est, par son « en même temps », l’un des plus parfaits fourriers de l’alliance, mortifère pour nos nations, entre néo-conservatisme et wokisme.

Néo-conservateur et en même temps woke

On parle communément du néo-conservatisme. Ne vaudrait-il pas pas mieux parler de conservatisme woke. C’est au fond la grande synthèse de la caste dirigeante. C’est la matrice du parti démocrate américain. C’est la politique incarnée par Angela Merkel, femme du « pacte d’or » de stabilité budgétaire et de la sortie du nucléaire, de l’immigrationnisme à outrance et du mariage homosexuel. Le « en même temps » macronien est producteur du même conservatisme wokiste, qui se veut intransigeant contre l’islamo-gauchisme mais qui pousse des cris d’orfraie lorsque Marion Maréchal dénonce la GPA.

On se plaint beaucoup de Sciences Po, matrice du wokisme contemporain en France. Curieusement, on ne s’offusque jamais de la véritable dictature au service des « idées éveillées » qui règne au sein des entreprises. Nicolai J. Foss et Peter Klein décrivent avec acuité ce qu’ils appellent le « capitalisme woke ». Ils décrivent:

un système dans lequel de grandes entreprises adoptent des pratiques, un langage et une imagerie progressistes et politiquement de gauche.

Elles se sont aussi mises à poursuivre des objectifs nouveaux, comme le DEI (Diversité, équité, inclusion), qui vise à mieux prendre en compte le genre ou la couleur de peau dans le recrutement ou les promotions. Elles vont aussi faire des dons à des organisations antiracistes, soutenir des mouvements sociaux comme Black Lives Matter, les LGBT +… Il est aussi à noter que cette culture progressiste est beaucoup plus concentrée dans certaines industries : l’édition, le divertissement ou l’industrie des médias.

Il est difficile de dater précisément le début de cette tendance, mais un des évènements fondateurs est la campagne marketing de Nike en soutien au joueur de football américain Colin Kaepernick, exclu de son sport pour avoir mis un genou à terre durant l’hymne américain.

Cela s’est amplifié par la suite. En 2020, la plupart des grandes entreprises ont annoncé leur soutien au mouvement Black Lives Matter et chaque mois de juin, des dizaines d’entreprises du Fortune 500 changent leurs logos sur les réseaux sociaux pour incorporer une version du drapeau de la fierté.Pour l’Eco, 13 mars 2024

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est leur description du groupe qui porte la wokisation du capitalisme:

 ni les PDG, ni les investisseurs, ni les consommateurs ne veulent vraiment ce virage. Et pourtant, il a eu lieu. Qui pourrait y avoir intérêt ?

En procédant par élimination, nous concluons que les managers intermédiaires jouent un rôle central dans ces transformations. Nous savons par la recherche sociologique que ceux-ci ont très souvent été une force motrice quand il s’agit d’intégrer dans l’entreprise des changements de législation ou de culture.Pour l’Eco, ibid.

Ces managers intermédiaires jouent le même rôle que les cadres qui ont porté le mouvement En Marche ou les professeurs d’université, qui ont été, bien avant d’y rallier quelques étudiants, les introducteurs du wokisme à l’université.

Ce sont les mêmes qui sont très à gauche sur les sujets sociétaux et qui soutiennent absolument les guerres contre l’islamisme, la politique d’Israël ou la guerre de l’Ukraine contre la Russie.

Regardez d’ailleurs comment la droite dure a évolué: Giorgia Meloni a été poussée vers la présidence du Conseil italien par l’Institut Aspen; Marine Le Pen a pensé que voter pour l’avortement dans la Constitution signait son intégration à l’establishment. Aujourd’hui, l’union des droites françaises est réalisée par le soutien sans véritable état d’âme à la politique d’Israël.

La vraie révolution des manifestants contre Gaza

Les étudiants qui manifestent contre les massacres de Gaza sont donc en train de faire sauter cette version moderne du Léviathan qu’est le conservatisme woke. C’est un de leurs mérites.

Quand bien même ils ont pu être imprégnés d’idéologie woke ou sont angoissés par la destruction de la planète, ils ramènent soudain le réel dans le débat universitaire et politique. En prenant pour cible les financements aux universités d’entreprises qui fournissent des armes à Israël ou profitent de liens économiques étroits avec l’Etat hébreu, ils touchent le conservatisme wokiste au coeur.

Evidemment le système réagit violemment. Les interventions de la police sur les campus sont beaucoup plus brutales qu’il y a une vingtaine d’années. Mais ce faisant, l’establishment radicalise la révolte.

Je suis prêt à parier que le « en même temps » du conservatisme woke ne résistera pas à la pression à laquelle le soumet le mouvement étudiant.

Le Courrier des Stratèges