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Le déploiement déclenchera-t-il une guerre plus importante ?

Stephen Bryen

La France a officiellement envoyé ses premières troupes en Ukraine. Elles ont été déployées pour soutenir la 54e brigade mécanisée indépendante ukrainienne à Slavyansk. Les soldats français sont issus du 3e régiment d’infanterie français, l’un des principaux éléments de la Légion étrangère.

En 2022, la France comptait un certain nombre d’Ukrainiens et de Russes dans la Légion étrangère. Ils ont été autorisés à quitter la Légion et, dans le cas des Ukrainiens, à retourner en Ukraine pour rejoindre les forces ukrainiennes. On ne sait pas si les Russes sont rentrés chez eux.

Aujourd’hui, la Légion est dirigée par des officiers français, mais les soldats sont tous étrangers. Les volontaires qui rejoignent la Légion ont la possibilité d’adopter un nouveau nom en vertu de la règle de l’anonymat. Cette exigence initiale a été modifiée ces dernières années, de sorte qu’un volontaire peut décider de conserver son prénom ou d’en adopter un nouveau. Les légionnaires servent pour une durée de trois ans, après quoi ils peuvent demander la nationalité française. Si un légionnaire est blessé, il peut obtenir la nationalité française sans délai d’attente. Il n’y a pas de femmes dans la Légion étrangère.

Troupes du troisième régiment d’infanterie de la Légion étrangère française en Afrique

Le premier groupe de soldats français compte environ 100 personnes. Il ne s’agit que de la première tranche d’environ 1 500 légionnaires étrangers français qui doivent arriver en Ukraine.

Ces troupes sont affectées directement dans une zone de combat intense et ont pour but d’aider les Ukrainiens à résister aux avancées russes dans le Donbas. Les 100 premiers sont des spécialistes de l’artillerie et de la surveillance.

Le président français Emanuel Macron menace depuis des mois d’envoyer des troupes françaises en Ukraine. Il n’a trouvé que peu ou pas de soutien de la part des pays de l’OTAN, hormis celui de la Pologne et des États baltes. Les États-Unis s’opposeraient à l’envoi de soldats de l’OTAN en Ukraine (autrement qu’en tant que conseillers).

L’une des questions que soulève immédiatement la décision de la France d’envoyer des soldats de son 3e régiment d’infanterie est de savoir si elle franchit la ligne rouge russe concernant l’implication de l’OTAN en Ukraine. Les Russes y verront-ils l’amorce d’une guerre plus large au-delà des frontières de l’Ukraine ?

La France elle-même ne dispose pas de beaucoup de troupes à envoyer sur les lignes de combat de l’Ukraine, si le gouvernement français le souhaite. Selon certains rapports, la France n’est pas en mesure aujourd’hui de soutenir le déploiement à l’étranger d’une division complète et ne disposera pas de cette capacité avant 2027 au plus tôt.

La décision d’envoyer des légionnaires étrangers est en soi un compromis français particulier. La France ne déploie pas son armée nationale et, outre le petit nombre d’officiers, tous les autres hommes envoyés ne sont pas des citoyens français.

La décision de la France a deux significations, au-delà de l’évidente possibilité de déclencher une guerre paneuropéenne.

Tout d’abord, elle permet à Macron d’envoyer des troupes en Ukraine et de jouer les durs à cuire sans rencontrer beaucoup d’opposition au sein de son pays. En effet, aucun soldat de l’armée française n’est envoyé et il n’y a pas de conscription ou d’autres mesures en vue. Cela réduit clairement la fureur potentielle des opposants politiques de Macron.

La deuxième raison est la colère de Macron de voir les troupes françaises, presque toutes issues de la Légion, chassées de l’Afrique sahélienne et remplacées par des Russes. Le contrôle de l’Afrique francophone, et des richesses qu’elle procure aux politiciens français, a été brisé par la révolte et la révolution en Afrique et par un basculement décisif vers la Russie, soit directement, soit par l’intermédiaire de PMC Wagner (le groupe Wagner), désormais clairement sous le contrôle direct de Poutine. Cette « humiliation » est ressentie à l’Élysée et en particulier par Macron qui, selon ses opposants, a perdu l’influence de la France et porté atteinte aux intérêts miniers et commerciaux de la France à l’étranger.

Départ des troupes françaises du Niger

Le Niger, important fournisseur d’uranium pour la France, est particulièrement touché. La France tire 70 % de son énergie électrique de générateurs nucléaires. L’offre mondiale d’uranium se resserre et les prix augmentent. La Russie et le Kazakhstan, ainsi que le Niger, étant les principaux fournisseurs d’uranium pour les réacteurs nucléaires, la France est confrontée à un problème de sécurité économique. Avec la décision américaine d’interdire l’uranium russe (mais probablement pas de manière réaliste dans les prochaines années), les Russes pourraient porter un coup sérieux à la France et aux États-Unis en interrompant leurs approvisionnements.

Étant donné le risque de perdre l’accès à l’uranium, ou du moins une quantité suffisante pour alimenter les réacteurs français, M. Macron doit espérer que le déploiement de ses troupes en Ukraine ne déclenchera pas un embargo russe sur les ventes à la France.

On ne voit pas très bien comment les légionnaires peuvent aider les Ukrainiens. Les Ukrainiens savent utiliser l’artillerie et disposent d’un soutien sophistiqué en matière de renseignement, en partie grâce à leurs propres drones FPV et espions, et en partie grâce aux moyens de renseignement et de surveillance des États-Unis et d’autres pays de l’OTAN qui soutiennent l’Ukraine.

Quoi qu’il en soit, la question ukrainienne ne porte pas sur la manière d’utiliser l’artillerie, mais sur l’origine des munitions. L’Ukraine continue de se plaindre du manque de munitions pour les obusiers de 155 mm.

La décision d’envoyer les soldats de la Légion à Slavyansk est extrêmement provocatrice et va à l’encontre des déclarations de la partie française, y compris de Macron, selon lesquelles si la France envoyait des troupes, elles remplaceraient les unités de l’armée ukrainienne dans l’ouest de l’Ukraine qui pourraient, par conséquent, être déplacées vers l’est pour combattre les Russes. Slavyansk étant sur la ligne de front, cette image française d’un déploiement en douceur se transforme en une guerre avec la Russie directement.

Une question clé est de savoir comment l’OTAN réagira à la décision française de se déployer. Comme la France agit seule, sans le soutien de l’OTAN, elle ne peut prétendre à l’appui de l’OTAN au titre de son fameux article 5, le volet « sécurité collective » du traité de l’OTAN. Si les Russes attaquaient les troupes françaises en dehors de l’Ukraine, cela serait justifié par le fait que la France a décidé d’être un combattant, et il semblerait difficile, voire impossible, d’imposer un vote au titre de l’article 5. Bien entendu, les membres de l’OTAN pourraient soutenir individuellement les Français, soit en envoyant leurs propres forces, soit en leur apportant un soutien logistique et en matière de communications. Par exemple, il est impossible qu’un seul soldat de la Légion étrangère puisse se rendre en Ukraine sans passer par la Pologne. Les Russes y verront-ils la preuve qu’ils sont en guerre à la fois contre la France et contre la Pologne ?

À l’heure actuelle, personne ne peut répondre à ces questions avec certitude. Il est peu probable que les Russes tolèrent longtemps un renforcement des troupes de l’armée française, même s’il s’agit de soldats de la Légion étrangère. Ce que la Russie fera en réponse n’est pas certain.

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