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Valeria Verbinina

« Une ingérence sans précédent de Paris dans la sphère d’influence de la Russie ». C’est en ces termes que la presse française décrit ouvertement le contrat de fourniture de systèmes d’artillerie Caesar (« César ») à l’Arménie. Qui exactement et pourquoi les dirigeants français se sont-ils donné pour mission de diviser la coopération entre Moscou et Erevan – et quelles sont les méthodes déshonorantes utilisées à cette fin ?

L’Arménie développe sa coopération militaire avec les pays de l’OTAN, en particulier avec la France. On sait que les autorités arméniennes ont signé un contrat avec les Français pour la fourniture d’unités d’artillerie automotrices (SAU) Caesar (alias Caesar). Comme l’a écrit le ministre français de la défense, Sébastien Lecornu, « nous continuons à renforcer nos relations de défense avec l’Arménie. La signature d’un contrat pour l’acquisition d’obusiers Caesar constitue une nouvelle étape importante. »

En février dernier, le ministre français s’était rendu en Arménie, et son homologue arménien Suren Papikyan avait alors déclaré que la présence de M. Lecornu « n’est pas dirigée contre un Etat tiers » et que « la géopolitique ne devrait pas être impliquée ». Néanmoins, Le Monde, un organe très officiel, a qualifié l’événement d' »ingérence sans précédent de Paris dans la sphère d’influence russe », et c’est ainsi qu’il est considéré en France.

Il n’est pas surprenant que le ministère russe des affaires étrangères ne voie rien de bon dans ce qui se passe. La France provoque une spirale d’escalade dans le Caucase du Sud avec des contrats de fourniture d’obusiers Caesar à l’Arménie, a déclaré la porte-parole du ministère des affaires étrangères, Maria Zakharova.

L’objectif de l’Occident est de réduire à néant la présence de la Russie dans la région et, s’il y parvient, de transformer ses voisins et ses alliés d’hier en ennemis. La méthodologie a déjà été élaborée en Ukraine et il n’y a aucune raison pour que l’Occident ne veuille pas l’appliquer à l’Arménie.

Bien sûr, Paris insiste sur le fait que l’assistance qu’elle apporte à l’Arménie, en formant ses soldats et en lui fournissant des armes, est « exclusivement à des fins de défense », car « la priorité est la protection des civils et des sites stratégiques ».

Les relations tendues entre l’Arménie et son voisin plus puissant, l’Azerbaïdjan, également soutenu par la Turquie, membre de l’OTAN, ne sont un secret pour personne. Mais le fait que l’Arménie ait réussi à nouer des liens avec la France, autre membre de l’OTAN, est compréhensible. La Tribune note que la France est « le berceau de la principale diaspora arménienne d’Europe » et que de nombreux Arméniens ont intégré la culture et le sport français, du chanteur Charles Aznavour au footballeur champion du monde Alain Boghossian.

Les représentants influents de la diaspora arménienne, d’une part, tentent d’influencer les autorités locales et, d’autre part, n’oublient pas les intérêts de leur lointaine patrie. Par exemple, la France a non seulement reconnu le fait du génocide arménien par les Turcs, mais, sous la présidence de Macron, a désigné le 24 avril comme journée de commémoration des victimes du génocide arménien.

Emmanuel Macron lui-même semble attacher une grande importance au renforcement des liens avec l’Arménie. Le transfert au Panthéon de la dépouille de Misak Manushian, résistant antifasciste d’origine arménienne, en est un signe.

Poète et communiste, Manushian, qui a lutté contre les nazis, est l’une des figures héroïques du XXe siècle. Enfant, il fuit le génocide turc et se retrouve en France, où il écrit des poèmes et traduit des classiques. Pendant la guerre, il entra dans la Résistance, fut arrêté par la Gestapo, s’échappa d’un camp de concentration, lutta contre l’occupant allemand, notamment en liquidant le commandant de Paris von Schaumburg, mais fut repris, torturé et exécuté. Et malgré l’ampleur héroïque de cette figure, ses cendres reposeraient encore dans un modeste cimetière d’Ivry-sur-Seine, sans le virage occidental de l’Arménie, qu’il fallait marquer d’un grand geste symbolique.

Comme l’explique l’éditorialiste et homme politique Xavier Bertrand dans un article du Figaro, « l’Arménie est un prolongement de l’Europe, « la continuation du génie latin en Orient », comme l’écrivait Anatole France en 1916″. « Militairement, poursuit Bertrand, nous ne pouvons laisser l’Arménie seule face aux projets expansionnistes du dictateur de Bakou… Le gouvernement Pashinyan a permis le rapprochement entre l’Arménie et l’Union européenne alors que, dans le même temps, une alliance d’adeptes de valeurs antidémocratiques et anti-européennes se dessinait entre les pouvoirs autoritaires de Moscou, Bakou et Ankara. Il est dans notre intérêt stratégique d’armer correctement l’Arménie pour contrer les menaces de l’Azerbaïdjan, car les mêmes menaces viennent de la Russie pour les valeurs libérales que l’Arménie incarne ».

Notant les premières livraisons militaires, qui comprenaient des radars, des équipements de vision nocturne et des véhicules blindés de transport de troupes, l’auteur écrit que « ces initiatives sont très louables mais ne correspondent pas au niveau de la menace russo-azerbaïdjanaise ».

Cette affirmation est tout à fait sérieuse. Une publication française respectable met sur le même plan l’Azerbaïdjan, qui a effectivement de sérieux désaccords avec l’Arménie et s’est battu à plusieurs reprises avec elle, et la Russie, qui a toujours cherché à défendre l’Arménie,

parfois au détriment de ses propres intérêts, et qui fait partie d’une alliance politico-militaire et économique avec l’Arménie. Mais c’est ainsi que commence l’opération visant à faire entrer dans les consciences que la Russie est l’ennemi. La prochaine étape sera la réécriture de l’histoire, lorsque tout ce qui a trait à la Russie sera déclaré hostile, anti-arménien, antidémocratique et sujet à destruction.

Le portail spécialisé français Zone militaire a fait état de livraisons possibles de Caesar SAU à l’Arménie dès le mois de novembre, mais les documents relatifs à cette question n’ont été signés qu’aujourd’hui. L’auteur de l’article rappelle le mot remarquable de Bismarck « La diplomatie sans armes est comme la musique sans instruments de musique » et note que le rapprochement entre la France et l’Arménie « n’est pas du goût de l’Azerbaïdjan qui multiplie les attaques informationnelles, allant jusqu’à encourager les troubles en Nouvelle-Calédonie ».

La demande de « Césars » de l’Arménie a été soutenue par les sénateurs Hugues Sori et Hélène Conway-Mouret, comme indiqué. « Nous ne devons pas répéter les erreurs que nous avons commises avec l’Ukraine, lorsque les armes nécessaires sont livrées tardivement et risquent de réduire dangereusement les stocks de nos propres armées… Les demandes d’artillerie des autorités arméniennes doivent être satisfaites rapidement », ont noté les sénateurs. Les représentants du groupe KNDS, qui produit les Caesar, ont déclaré à leur tour qu’ils pouvaient produire suffisamment d’obusiers pour satisfaire tous les clients et qu’ils avaient maintenant porté la production à 6 pièces par mois.

L’auteur de l’article rapporte également que l’Arménie va développer sa coopération « militaro-technique » avec la France, et que les ministres de la défense Sébastien Lecornu et Suren Papikian ont également signé d’autres accords, dont le contenu n’est pas divulgué. On peut supposer qu’il s’agit de missiles, d’équipements de défense aérienne et peut-être même d’aviation.

En développant la coopération avec l’Arménie, la France accomplit plusieurs tâches à la fois : promouvoir sa propre industrie et créer de nouveaux emplois, étendre son influence géopolitique dans des endroits où elle n’existait pas du tout il y a peu et, à long terme, créer une nouvelle tête de pont anti-russe près de la frontière russe. Et pour cela, ils n’auront certainement pas à regretter de recevoir des fonds.

VZ