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À la veille du premier tour des législatives anticipées, l’ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin (2002-2005) livre à La Libre son analyse de la situation politique actuelle.

Laure de Charette

"Ce 30 juin, ce sont la paix sociale et la crédibilité économique de la France qui se jouent", estime l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin.
« Ce 30 juin, ce sont la paix sociale et la crédibilité économique de la France qui se jouent », estime l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. ©Reporters/Bpresse

Qu’avez-vous ressenti le dimanche 9 juin au soir en entendant Emmanuel Macron annoncer sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale ?

Une très grande surprise, comme beaucoup de Français. Cette décision ne m’a pas semblé très opportune et prise dans un calendrier difficile. C’est le droit du président de la République de dissoudre et la dissolution peut permettre de sortir d’une impasse. Mais s’il m’avait consulté, ma recommandation aurait été très différente. Je lui aurais dit qu’on ne dissout pas au lendemain d’une élection car les électeurs s’étant exprimés, il est peu probable qu’ils se déjugent quelques jours plus tard. Je lui aurais dit aussi de ne pas compter sur la division de la gauche quand l’atmosphère sent à ce point la poudre. En 1997, la gauche s’est rassemblée à l’issue de la dissolution décidée par Jacques Chirac. Si les acteurs de l’époque avaient été consultés, ils le lui auraient rappelé. Cette décision lui a été sans doute recommandée sous la pression de l’actualité et non à l’issue d’une analyse d’expérience.

Quelles erreurs Emmanuel Macron a-t-il commises, selon vous ?

La première a été de surestimer l’impact des résultats des élections européennes sur la vie politique nationale alors que l’histoire nous a montré qu’il est peu durable. La deuxième, c’est d’avoir manqué l’entente avec une partie de la droite, notamment sénatoriale. Je ne dis pas qu’il en soit le seul responsable : les LR ont pratiqué une politique d’hostilité très dure envers le président, qui n’a pas favorisé une éventuelle coalition. Ces erreurs résultent d’un déficit d’expérience. Emmanuel Macron n’a en outre pas de parti politique organisé ni d’équipe politique puissante à ses côtés. Il est dans une forme de solitude. On peut être élu sans parti mais il est très difficile de gouverner sans, dans une France nerveuse et inquiète. Pour autant, mon jugement sur son action n’est globalement pas négatif. Il a maîtrisé le chômage et donné à notre économie un vrai souffle de modernité. Mais politiquement, il aurait dû rechercher une majorité à l’Assemblée, d’abord en faisant campagne en 2022 lors des élections législatives, ce qu’il n’a pas fait suffisamment, puis en cherchant une coalition.

Qu’espérez-vous à la veille de ce premier tour ?

Je fais confiance à la sagesse des Français, j’espère qu’ils vont trouver des solutions. À ce stade, cela ressemble à une impasse. Même si un pôle radical a la majorité absolue, l’autre sera très puissant. Le pays sera difficilement gouvernable. Je suis très inquiet. Je vois deux grands nuages noirs à l’horizon. La possible montée de la radicalité et des violences me préoccupe, nos sociétés sont extrêmement fragiles. Je crains aussi des difficultés économiques majeures vu le déficit de la France et une situation où la hausse du moindre point de taux d’intérêt se compte en dizaines de milliards d’euros. Cela risque de porter atteinte aux classes moyennes, qui sont toujours les premières victimes des politiques économiques populistes. Ce 30 juin, ce sont la paix sociale et la crédibilité économique de notre pays qui se jouent.

Comment en est-on arrivé là, à l’arrivée potentiellement imminente de l’extrême droite au pouvoir ?

On a laissé se développer une radicalisation progressive. La fracturation de notre alternance démocratique entre une droite et une gauche républicaine fait que les deux extrêmes se sont auto-fertilisés. Auparavant, quand l’UMP était forte, le PS était faible et réciproquement. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où la haine de l’extrême gauche nourrit l’extrême droite et réciproquement. Et le bloc central se trouve pris en tenaille. Il faudra réfléchir à la meilleure manière possible de limiter l’impact des extrêmes dans notre démocratie, pour que la droite républicaine maîtrise sa droite radicale, et de même à gauche, afin de permettre le débat et le changement d’équipes dans un cadre républicain.

Avez-vous été surpris en apprenant le ralliement du patron des Républicains, Éric Ciotti, au parti héritier du Front National de Jean-Marie Le Pen ?

Je le sentais venir. Nous sommes nombreux à avoir quitté Les Républicains à cause de cette dérive. Nous connaissions les ambitions niçoises d’Éric Ciotti donc sa position n’a pas été une surprise. La bonne nouvelle, c’est qu’il n’a pas été tellement suivi. Il part en solitaire et il aura peu de moyens humains pour résister aux pressions du RN.

La droite républicaine dont vous êtes issu est en piteux état, comment l’expliquez-vous ?

La tragédie des LR est d’abord liée aux primaires, plus encore qu’à l’action d’Emmanuel Macron. Les primaires à droite ont décapité deux anciens Premiers ministres et un ancien président. À gauche aussi, elles ont fragilisé le PS. La droite républicaine doit se rassembler autour d’une personnalité comme Édouard Philippe, qui peut construire le grand rassemblement du centre droit. C’est dans trois ans, lors de l’élection présidentielle, que cela pourra se jouer. Il faut préparer dès maintenant cette échéance. Elle sera imperdable pour les républicains.

Faut-il reconstruire une formation politique centrale, comme l’a été l’UDF en 1978 ?

Il faut revenir à un espace UMP, avec une attitude différente à l’égard des concurrents républicains et des adversaires populistes. Il faut pouvoir dans certains cas réaliser une coalition, y compris avec des gens de gauche. Il faut deux pôles républicains, afin de pouvoir pratiquer une alternance saine.

Que vous inspire l’union des gauches au sein du « Nouveau Front Populaire » ?

Cette union vivra ce que vivent les roses, l’espace d’un matin. C’est une entente de circonstance qui n’est pas le fruit d’une vision partagée. Elle ne durera pas. Viendra le moment où une force sociale-démocrate s’organisera dans le pays. Il le faut.

Si le RN l’emporte ou si l’Assemblée est divisée en trois blocs irréconciliables, Emmanuel Macron doit-il selon vous démissionner ?

Le respect des institutions s’impose à tous. Le président est élu encore pour trois ans. C’est l’hypothèse sur laquelle nous devons travailler. Sa démission n’est pas dans notre architecture constitutionnelle.

La Libre