Concours d’entrée aux grandes écoles Laïcité: l’Ecole centrale avait mis en garde l’Elysée

Mercredi 13 avril 2011

    Révélé par Mediapart, le projet préparé à l’instigation de l’Elysée, visant à organiser deux séances secrètes de nuit, les 20 et 26 avril, réservées à quelques étudiants juifs voulant passer les concours d’admission aux grandes écoles d’ingénieurs (écoles des Mines, des Ponts, Centrale, Supélec), a suscité de vives critiques. Pour y faire face, le pouvoir a choisi une intenable stratégie, celle de la dénégation, suggérant que les faits que nous évoquions sont sans fondement.

Mediapart maintient toutes ses informations. Et nous versons une nouvelle pièce au dossier : une note confidentielle du directeur de l’Ecole centrale, Hervé Biosser, en date du 8 février, qui mettait solennellement en garde l’Elysée contre ce projet.

A la suite de la publication de notre article , le ministère de l’enseignement supérieur a, de fait, changé de ton. Dans un premier temps, il nous avait confirmé qu’un dispositif spécial avait été mis au point, avec un système de composition décalée. Mais depuis la mise en ligne de notre article, le ministère se borne à renvoyer aux dénégations de deux responsables des concours. Voulant savoir si, à la suite de notre article et du tollé contre cette atteinte à la laïcité, le dispositif de composition décalée était maintenu, Mediapart n’a obtenu qu’une réponse: reportez-vous aux démentis des organisateurs des concours concernés.

L’une des dénégations provient de Richard Melis, qui a fait une déclaration au site Internet EducPros. Voici ce qu’écrit le site : « Directeur des études à Télécom ParisTech et responsable du concours Mines-Ponts, Richard Melis est formel : « On ne fait strictement aucun aménagement pour les étudiants d’une confession ou d’une autre. Ce qui a été affirmé est faux. » Soulignant qu’il a pu néanmoins y avoir des demandes en ce sens, Richard Melis dit n’avoir jamais entendu parler de « sessions particulières organisées pour le concours« .  De son côté, Jean-Philippe Rey, secrétaire du jury du concours Centrale-Supélec, affirme lui aussi que « le concours Centrale-Supélec n’organise pas d’aménagement de date ou d’horaire pour raison de conviction religieuse des candidats. En conséquence, précise-t-il, « je démens formellement les informations communiquées par Mediapart à ce propos« . »

Une note confidentielle écrite le 8 février 2011 par Hervé Biosser, directeur de l’Ecole centrale de Paris, et adressée à Bernard Belloc, le conseiller de l’Elysée chargé de l’enseignement supérieur, vient pourtant confirmer notre récit. Cette note nous a été fournie par un haut fonctionnaire qui travaille dans une direction du ministère de l’enseignement supérieur – celui-là même qui nous avait initialement informé. Elle a assez largement circulé et est aussi entre les mains de plusieurs responsables des différentes Ecoles normales supérieures.

Ordre écrit demandé à l’Elysée

D’abord, cette note est adressée à Bernard Belloc, conseiller de Nicolas Sarkozy. Elle vient donc confirmer ce que nous avions écrit : c’est l’Elysée qui a suivi l’affaire de bout en bout, pour imposer une solution qui n’avait pas les faveurs des différentes écoles et des responsables du concours.

 Comme nous l’écrivions aussi, le directeur de Centrale souligne qu’une première solution avait été envisagée, consistant à déplacer les dates de concours, mais que cela s’est très vite avéré impossible. Cette solution, écrit le directeur, est « juridiquement très risquée ». Puis, ensuite, il étudie les risques que présenterait une solution de « confinement », permettant une solution de composition décalée des candidats.

Au moment de la rédaction de cette note, il évoque ainsi une solution de décalage, éventuellement de plusieurs jours. Mais il en pointe aussitôt tous les risques. « En accord avec la loi informatique et liberté, nous ne disposons pas dans nos fichiers de la religion des candidats », écrit-il en particulier. Et là encore, il fait valoir que les risques de recours sont très nombreux, pouvant conduire à l’annulation des concours concernés.

Le directeur évoque aussi « l’aspect médiatique » de l’équation : « Nous réaffirmons ici que, si une solution de confinement était retenue, cela à coup sûr se saurait et il y aurait très certainement des recours en justice. Les conséquences médiatiques seraient alors très lourdes pour toutes les parties concernées sans exception : de notre point de vue, elles doivent impérativement être prises en compte dans le choix d’une solution. » «Nous réaffirmons… » Le directeur s’exprime comme s’il était las de répéter une évidence qu’il a déjà eu l’occasion de formuler devant son interlocuteur mais que ce dernier ne veut décidément pas entendre.

Bref, la lecture de la note donne le sentiment que le directeur de Centrale sait que la décision ne lui appartiendra pas – pas plus qu’aux responsables du concours – et qu’il craint un caprice de l’Elysée, alors que tous les arguments de bon sens jouent en faveur d’un rejet de ce dispositif. Ce sentiment désabusé perce au travers de la dernière remarque : « Quelle que soit la solution retenue, il est impératif que cette décision soit notifiée de façon officielle et par écrit au Président du Jury du Concours Centrale-Supélec et au Directeur l’Ecole Centrale Paris en tant que Directeur de l’établissement organisateur de ce Concours. »

Un ordre écrit : dans la haute fonction publique, c’est l’usage de demander cette protection dès lors que l’on sent venir une décision qui va à l’encontre des pratiques ou des usages républicains. Dès notre premier article, nous avions d’ailleurs relevé que les directeurs concernés avait demandé un tel ordre écrit.

C’est donc après cette note – et une seconde qui aurait été réalisée pour l’autre concours par un conseiller d’Etat – que l’Elysée aurait finalement penché pour une solution de confinement, mais étalé sur une période plus courte que celle évoquée par le directeur de l’Ecole centrale.

Maintenant que le secret a été brisé, le dispositif est-il donc annulé? C’est vraisemblablement ce que suggèrent les démentis embarrassés (voir notre boîte noire) de deux responsables des concours concernés. Car l’affaire a effectivement suscité beaucoup de critiques, y compris dans la communauté juive, attachée à la laïcité.

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