Ces parents d’élèves qui se battent pour une suppression de classe

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Voilà qui détonne ! En période de restrictions budgétaires dans l’Education nationale, la presse tient chronique des mobilisations de parents s’opposant aux fermetures de classes. A la cité scolaire Marie-Curie de Sceaux, l’une des principales associations de parents d’élèves s’agite en sens contraire : la FCPE « s’indigne » du rétablissement d’une classe que l’Inspecteur d’Académie des Hauts-de-Seine avait dans un premier temps prévu de supprimer.

L'escalier qui mène à la cour d'honneur du lycée Marie-Curie de Sceaux. © Karim El Hadj / LeMonde.fr

Retour en arrière. Le 13 février, le conseil d’administration du collège Marie-Curie approuve une dotation horaire qui entérine la suppression d’une des six classes de sixième, la classe des élèves ayant choisi le russe en première langue. Suppression qui doit logiquement aboutir à la fermeture, année après année, d’une classe de cinquième, quatrième puis troisième. C’est l’Inspection académique qui le demande. Et Béatrice Potier, chef d’établissement, d’expliquer en conseil d’administration les arguments avancés : l’établissement, très réputé dans les Hauts-de-Seine, participerait à l’assèchement des établissements voisins par le jeu des dérogations. « Soucieuse de promouvoir la réussite des autres collèges du secteur », l’Inspection a donc décidé de fermer cette classe de russe.

Effectivement, le russe première langue étant un motif de dérogation réglementaire à la carte scolaire, cette classe de sixième de Marie-Curie est, dans sa quasi-totalité, alimentée par des enfants venant d’autres communes que Sceaux. Depuis belle lurette, les familles du Plessis-Robinson, de Bagneux, de Châtenay-Malabry, d’Antony ou de Bourg-la-Reine déploient cette stratégie linguistique de contournement de la carte scolaire pour décrocher le Graal. L’entrée de leur enfant dans une cité scolaire aussi prestigieuse que celle du centre-ville de Sceaux.

Mais voilà que fin avril, l’Inspecteur d’académie, Edouard Rosselet, revient sur sa décision et rétablit la classe de sixième avec russe première langue. Contacté, il justifie auprès de nous ce revirement : « J’ai agi à la demande du chef d’établissement. Par ailleurs, il y a eu un tollé dont je ne pouvais pas ne pas tenir compte de la part de parents d’élèves qui voulaient faire arriver leurs enfants à Marie-Curie. Or, je tiens compte de la communauté scolaire. » La mobilisation des parents – visiblement influents dans le 92 – des communes avoisinantes, qui perdaient cette possibilité de dérogation, a donc payé. Autre argument de l’inspecteur : cette suppression mettait à terme en danger le russe au niveau du lycée. « Or, il fait partie de la personnalité de l’établissement. » Ce que confirme la chef d’établissement : « La diversité des langues fait partie de l’image de Marie-Curie, où sont par exemple enseignés l’hébreu, le russe, l’italien. »

Le rétablissement de la classe est finalement annoncé. Les professeurs remballent leur préavis de grève. L’Unaape et la Peep, autres associations de parents, se réjouissent. Fin du feuilleton ? Non. Car la FCPE, majoritaire à Marie-Curie, écrit le 2 mai à l’Inspection académique sa « surprise », son « incompréhension et colère » devant la décision de non-suppression de la classe de sixième dérogatoire qui aboutit « à un flagrant et scandaleux détournement de la carte scolaire ». « Les parents d’élèves, poursuivent-ils dans leur missive, avaient apprécié les enjeux importants de la mesure annoncée en février pour les collèges avoisinants, vidés de certains de leurs meilleurs éléments » par la désectorisation. Ils font enfin valoir le fait que la ville de Sceaux n’a aucun lien particulier avec le monde et la culture russe. Et que « Marie-Curie n’a pas les moyens d’accueillir plus d’élèves que ceux de la ville, et certainement pas pour une classe entière ». Des établissements de villes voisines « beaucoup plus richement dotés en infrastructures », seraient de meilleurs candidats pour une classe de sixième avec du russe en LV1.

Anna Dubos et Khalil Rachid, de la FCPE. © Elodie Ratsimbazafy

Quels que soient les arguments avancés, le combat de la FCPE de Marie-Curie pour une non-réouverture de classe est assez surprenant pour que nous rencontrions Khalil Rachid, son président, et Anna Dubos, la responsable pour le niveau collège. Il n’y a plus qu’une école primaire de Sceaux qui initie au russe, nous expliquent-ils. Et les enfants qui y démarrent cette langue viennent déjà d’autres communes, par dérogation. Le russe, d’autre part, est enseigné dans l’autre cité scolaire de la ville, Lakanal. Plus généralement, le système des dérogations « détruit la carte scolaire ». Pourquoi ne pas plutôt accentuer les efforts pour que les collèges avoisinants redeviennent attractifs ?

Si dérogations il doit y avoir, les représentants de la FCPE voient d’un meilleur œil les « dérogations de mixité sociale, qui permettent aux enfants de Sceaux, issus de milieux CSP++, de se mêler à d’autres ». « On devrait procéder à une attribution de places aléatoire parmi les enfants satisfaisant aux autres critères de dérogation (proximité, rapprochement de fratrie, handicap, bourse) plutôt que d’intégrer les enfants des familles bien renseignées, disposant des bons réseaux, qui font donner à leur enfant des cours particuliers de russe dès le CM2 pour être sûrs qu’il soit choisi par la commission de dérogation ! »

Anna Dubos insiste également sur l’« asphyxie » de l’établissement. Trop d’enfants, qui sont donc pénalisés dans leurs conditions de vie et d’apprentissage. « On vit sur une réputation, constate-t-elle, celle d’un lycée de riches, donc les moyens, ce n’est pas à nous que le Conseil régional les attribue. » Manque de surveillants dans des lieux vastes, salles insuffisantes en nombre puisque certaines attendent rénovation, absence de casiers, CDI trop petit, un seul lieu de permanence, journées très lourdes avec des trous par manque de salles, justement… Bref, « supprimer une classe ferait un peu d’air ». Et il n’est pas trop tard : la Commission de dérogations se réunit le 15 mai.

Madame le proviseur s’étonne de cette position des parents d’élèves FCPE. Elle connaît ces craintes d’« explosion » de la cité scolaire, qui concerne davantage la partie lycée que collège. Assure les « traiter », puisqu’elle a demandé la suppression d’une classe de seconde à la rentrée prochaine. « Ce collège qui marche bien, autant qu’il soit plein. On ne va pas casser une dynamique ! » Selon ses statistiques, les élèves de russe ne proviennent pas d’un ou deux collèges mais de dix au moins, auxquels cette possibilité de dérogation ne soustrait à chaque fois qu’un ou deux éléments. Quelque 60 % des boursiers du collège sont dans des classes russes. Ce sont donc eux qui introduisent la mixité sociale dans l’établissement, fait-elle encore valoir. « La FCPE veut-elle l’entre-soi ? » Ces enfants sont choisis pour leur lien familial proche avec la Russie.

« Bien évidemment, admet Béatrice Potier, c’est une ficelle de dérogation. Mais la demande alentour existe, elle avait justifié l’ouverture de ces classes il y a des années. Il y a trois églises orthodoxes, nous avons établi des échanges avec une école de Rostov-sur-le-Don… » Dernier argument, de poids : comme les classes de Marie-Curie sont parmi les plus chargées du département, les élèves y coûtent moins cher qu’ailleurs. Pour faire des économies, mieux vaut donc garder que fermer les classes de russe. Est-ce ce qui a finalement convaincu monsieur l’inspecteur ?

En attendant, madame le proviseur a prévu d’accompagner les professeurs la semaine prochaine à l’Inspection académique, pour s’assurer de la pérennité de cette re-création.

Source: Le monde.fr 11/05/2012

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