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Dans le cadre d’une visite de 3 jours en Israël et en Palestine, je me suis exprimé à Netanya devant les étudiants francophones d’Israël.

Mesdames et Messieurs,

Je veux dire tout l’honneur que je ressens à être votre hôte et toute mon émotion de m’exprimer devant la jeunesse israélienne qui est l’âme de votre étonnante nation.

Je connais la haute réputation de votre collège et je sais les liens culturels qui l’unissent à la France.

Sur ce campus, vous savez combien les armes de l’esprit sont essentielles à la liberté et à la raison, et dans ce chaudron qu’est le Proche Orient ces armes sont plus que jamais utiles.

J’ai toujours été passionné par le destin d’Israël et intéressé par les enjeux que recouvre cette région qui a vu s’écrire les pages les plus anciennes et les plus intenses de l’humanité.

Je me souviens de la guerre des six jours.

J’avais 13 ans. L’oreille collée à la radio, je suivais les évènements où l’on parlait d’un chef militaire à l’œil bandé – Moshé Dayan – et je sentais que l’Histoire était là-bas brulante.

Pendant la guerre du Kippour, j’ai tremblé pour Israël.

Chacune de nos nations a dû surmonter des épreuves pour exister et s’unir, mais Israël n’est pas tout à fait une nation comme les autres.

Elle est née sur les décombres de la shoah, la pire barbarie contemporaine.

Peu de nations naissent avec autant de fantômes autour de leur berceau, et cet enfantement dans la tragédie ne peut être oublié par vous naturellement, mais aussi par nous européens.

L’antisémitisme a placé le peuple juif à la frontière de son extermination et il a projeté notre continent dans l’abime.

Nous le savons, les braises de cet antisémitisme ne sont pas éteintes, et en France comme dans bien d’autres Etats, nous voyons ressurgir des discours et des actes inadmissibles.

La République française est et sera toujours intraitable à l’égard de l’antisémitisme, comme elle l’a été récemment à l’égard d’un humoriste aux propos abjects. En France, l’antisémitisme n’est pas une opinion, c’est un délit !

Pour moi, les choses sont claires : la liberté d’expression ne peut être instrumentalisée par les adversaires de l’unité française et les violeurs de mémoire !

Le souvenir de la Shoah fait partie de votre âme, mais elle fait aussi partie de notre conscience européenne, et même universelle. Ce qui vous touche nous touche, ce qui vous tourmente nous tourmente, car il existe entre Israël et la France, entre Israël et l’Europe, un lien moral et historique.

A cela s’ajoutent des enjeux géopolitiques qui concernent le monde, et au premier rang le continent européen qui entretient avec vous comme avec le monde arabe des relations étroites.

Comme toutes les nations, la vôtre supporte mal les leçons, et c’est avec humilité que je m’exprime devant vous.

Dans mon analyse de la situation régionale, je ne me départis pas de certains principes.

Le premier, c’est qu’Israël est une vraie démocratie au sein de laquelle les arguments les plus contradictoires peuvent s’exprimer. Ca n’est faire injure à personne que de dire qu’autour d’Israël, cette liberté n’a pas d’égale.

Le second principe, c’est que votre nation a plus d’adversaires que d’amis dans la région. Et certains de ces adversaires ne cachent pas leur souhait de voir votre Etat disparaître.

Quand on vit avec cette menace, lorsqu’on est exposé quotidiennement à des tirs de roquettes, il est, je le mesure parfaitement, difficile de regarder sereinement l’avenir ; difficile aussi d’écouter les leçons de ceux qui, de l’étranger, s’érigent en juge d’un conflit qu’ils ne vivent pas dans leur chair.

Le troisième principe est lié au second : l’existence d’Israël n’est pas discutable, et sa sécurité n’est donc pas négociable. Israël est notre amie et notre alliée et quiconque menacerait son existence s’exposerait à notre réaction la plus rude.

Le dernier point, c’est celui de la nécessité de trouver, vaille que vaille, les chemins de la paix. Les palestiniens ont droit à un Etat viable, prospère, un Etat ou les enfants ne sont pas éduqués à prendre les armes.

Cela est nécessaire et cela est juste !

Aucune nation ne peut se résoudre à vivre éternellement en conflit avec ses voisins. Le goût de la paix est humain, et les nécessités de la realpolitik obligent un jour les adversaires à négocier.

Certains d’entre vous pensent sans doute que les circonstances ne s’y prêtent pas, que les garanties ne sont pas là, que l’adversaire n’est pas crédible…

Je comprends ces arguments.

Mais il y a toujours et il y aura toujours de bonnes raisons de ne pas faire la paix.

Car oui la paix est un risque, oui elle est faite de sacrifices, oui elle exige de pardonner ce qui parfois semble impardonnable, oui elle suppose une grande force intérieure.

Dans l’obscurité, la Torah n’enseigne-t-elle pas à voir en elle la promesse du jour ?

Pendant des siècles les nations européennes se sont déchirées, et ont, elles aussi, barricadées leurs frontières et construits des murs.

De 1870 à 1945, la France et l’Allemagne se sont détestées, envahies, détruites, jusqu’au jour où des hommes courageux et lucides ont décidé de changer le cours de l’Histoire.

Ce que la France et l’Allemagne ont réussi à accomplir, ce que l’Europe a réussi à faire, est un symbole qui peut inspirer ceux qui doutent de la «promesse du jour».

Israël a gagné bien des guerres. Aura-t-elle un jour l’audace et le cran inouï de gagner la paix ? La réponse est en vous et elle vous appartient d’abord car nul n’écrira votre destin à votre place.

La question israélo-palestinienne est figée depuis longtemps, cadenassée par un environnement politique qui est en train de se fissurer.

 

Les Printemps Arabes ont bouleversé des équilibres mis en place au début du XXème siècle.

100 ans plus tard, l’ordre de Suez vole en éclats ; les  traités de la fin de la Première Guerre mondiale et l’héritage des accords Sykes-Picot sont remis à plat par la redistribution accélérée des cartes de la puissance au Moyen-Orient.

 

Le délitement des Etats irakien et syrien, la montée en puissance des ambitions régionales de l’Iran et de la Turquie, le rôle et les réactions de l’Arabie saoudite et du Qatar ainsi que le retrait relatif des Etats-Unis imposent une nouvelle réflexion stratégique.

 

Va-t-on vers un nouveau Proche-et Moyen-Orient, et lequel ?

Difficile de réponde, mais à l’évidence l’ordre ancien s’effondre.

La liste des bouleversements opérés ces dernières années est longue, mais je crois que nous pouvons en retenir trois.

 

Premièrement, celui de l’invasion américaine de l’Irak, dont nous savons aujourd’hui qu’elle reposait sur une logique viciée, qui a agi comme un premier déclencheur du changement politique en provoquant la chute du dictateur Sadam Hussein.

 

 

Plusieurs observateurs arabes avaient anticipé un effet-domino dans la région, ainsi que la nécessité nouvelle, pour les dirigeants, de se tourner davantage vers leurs opinions publiques.

 

Deuxièmement, la difficulté des régimes autoritaires à se réformer a été mise en évidence.

Aux prises avec des situations d’explosion démographique, de déclin économique et de corruption, ils ont perdu tout contrôle politique ! La hausse du prix des biens de première nécessité au Maghreb et le discrédit des pouvoirs ont rendu illusoire toute modernisation par le haut.

Au fond, le scénario qu’Alexis de Tocqueville avait décrit il y a plus d’un siècle et demi s’est révélé pertinent : l’engagement de réformes, écrivait-il, peut conduire à fragiliser, voire à faire tomber un régime politique qui s’y résout trop tard.

 

L’irruption de la société de l’information a changé la donne, comme la montée en puissance des réseaux sociaux. Mais leur rôle s’est arrêté là : on peut tweeter pour accélérer une révolution, mais on ne peut pas tweeter pour réaliser une transition !

 

Le troisième bouleversement, en forme de leçon, concerne l’exercice de la démocratie.

Le recours précipité aux élections s’est révélé chaotique dans des pays qui y étaient peu préparés, et où les seules forces d’alternance suffisamment organisées s’appuyaient sur l’Islam.

En Egypte, le renversement de Mohamed Morsi, certes élu démocratiquement, mais qui avait engagé le pays sur la voie d’une islamisation politique et sociale pour laquelle il n’avait pas reçu le mandat, a provoqué des débats en Europe…

Mais les faits sont là : le combat pour la liberté n’est pas nécessairement et mécaniquement l’antichambre de la démocratie.

Il peut être détourné par des forces hostiles, dont celle des fondamentalistes et de leurs appendices djihadistes dont les réseaux et l’idéologie nous menacent tous.

La guerre en Afghanistan et la mort de Ben Laden n’ont pas réglé le problème du terrorisme international qui s’est métamorphosé et étendu.

La France le combat au Sahel presque seule alors que la menace concerne toute l’Europe et reste en alerte sur son territoire. C’est une lutte que nous livrons ensemble contre l’obscurantisme.

 

A l’évidence, ce nouvel environnement chaotique dépendra, pour partie, de l’issue de la guerre en Syrie et de la gestion des ambitions de l’Iran.

 

Le 22 janvier dernier s’est ouverte à Montreux la conférence de Genève 2 sur la Syrie.

Depuis le début, je milite pour une négociation politique aussi pressante et dissuasive que possible, car une intervention militaire unilatérale contre le régime tyrannique de Bachar el Assad aurait constitué, à mes yeux, un saut dans l’inconnu, et il aurait sans doute brisé le Liban, qui est cher au cœur des Français.

Sous la pression russo-américaine, a été obtenu le démantèlement de l’arsenal non conventionnel syrien.

Sur le terrain, le malheur des populations syriennes n’en est pas pour autant résolu, mais il faut savoir se féliciter de ce désarmement qui libère la région, et notamment Israël, d’une éventuelle menace non conventionnelle émanant de la Syrie.

 

La vraie solution au drame syrien viendra d’un processus de négociation multilatérale qui sera long.

Genève 2 peut constituer une étape.

Avec pour premier résultat l’identification d’une opposition syrienne crédible ; et pour second résultat, celui de placer le régime de Bachar el Assad devant ses responsabilités face à la communauté internationale.

Il y a un moment où il ne pourra dire non à tout, sauf à risquer de voir cette communauté perdre patience et enfin réagir.

Après 40 ans de totalitarisme, il est normal qu’il soit difficile de structurer une alternative politique. Et cela ne se fera ni avec le maintien en l’état du régime actuel, ni avec l’avènement au pouvoir d’une opposition dominée par les islamistes sunnites.

Nous devons chercher la voie qui nous permettra de ne pas avoir à choisir entre le mal que nous connaissons, le régime de Damas, et celui que nous ne voulons pas connaître, un régime islamiste.

A défaut, et c’est une possibilité que nous sommes forcés de prendre en compte même si nous voulons l’éviter, ce sera la fin de la Syrie et sa division en plusieurs ensembles. Mais cela aurait des conséquences sur l’ensemble du Moyen-Orient, dont les frontières récentes risquent de se défaire.

 

Reste la question iranienne.

Face au risque de voir cet Etat se doter de l’arme nucléaire, trois voies étaient possibles :

Celle de la fatalité qui aurait marqué notre impuissance face à la prolifération.

Celle la guerre, mais qui la voulait vraiment parmi nous ?

Celle de la négociation.

L’accord signé à Genève le 24 novembre, est un premier pas, le premier depuis près de dix ans vers un possible règlement diplomatique de la crise.

 

Ce n’est qu’un début, mais il a imposé un gel des activités nucléaires de l’Iran pour six mois et a permis de sortir de la «négociation sur la négociation».

Les termes de cet accord sont en cours d’application.

Ils reposent sur une approche réaliste qui prévoit, au titre de ses mesures de confiance, une suspension pour six mois de certaines sanctions, et la négociation d’un arrangement de long terme dont l’objectif est, d’ici un an, d’apporter des garanties durables sur la finalité exclusivement pacifique du programme iranien.

Cet accord a été permis par l’impact des sanctions sur les ressources économiques du régime iranien.

Evidemment, les raisons de rester extrêmement vigilants sont nombreuses. Nous avons des raisons de ne pas accorder spontanément notre confiance aux engagements du régime iranien.

En conservant une capacité d’enrichissement, l’Iran garde la possibilité d’une militarisation de son programme nucléaire.

La prudence est de mise.

L’accord de Genève n’aura de sens que s’il permet une vérification complète et durable, assortie de conséquences sérieuses en cas de non-respect…

 

Le Moyen-Orient va probablement connaître un glissement de son centre de gravité politique vers Riyad, qui ne peut accepter de voir, précisément, l’Iran devenir la principale puissance régionale.

Cette sourde compétition entre ces deux États, a fait ressurgir le vieil affrontement entre sunnites et chiites qui bouscule tous les pays, brouille les cartes, et réinstalle la querelle religieuse au cœur des influences politiques.

Plus que jamais, l’Orient se complique, et plus que jamais le monde arabe doit être analysé et traité au pluriel.

Autour de vous, toute la région bouge, se déchire et se recompose à la fois. Et au milieu de cela, que faut-il penser de la paix entre israéliens et palestiniens ?

 

Pour certains, cette recomposition chaotique du paysage proche et moyen-oriental se prête moins que jamais à un dialogue efficace avec l’autorité palestinienne.

Pour d’autres, dont je suis, dont la France, l’Europe et les Etats Unis sont,  il y a une opportunité à saisir.

Puisque les mondes arabes s’interrogent sur eux-mêmes, puisque beaucoup de vos Etats voisins sont en proie avec leur propre sort, puisqu’ils n’ont plus pour obsession centrale Israël qui, si souvent, a joué le rôle de bouc émissaire de leur propres turpitudes, il y a là sans doute pour vous une fenêtre d’opportunité pour définir avec les palestiniens les termes d’une paix raisonnable et équilibrée.

La France soutient les efforts de John Kerry.

Et plusieurs paramètres jouent en leur faveur : l’affaiblissement du Hamas, avec la chute des Frères Musulmans en Egypte ; la nécessité qu’il y a à aider le président Abbas, qui est un modéré, et qui, seul, peut faire accepter des concessions à son peuple.

Et puis, je crois à la lassitude d’une majorité de palestiniens qui rêvent de pouvoir vivre de leur travail et non plus de slogans.

 

Bref, je crois que le contexte géopolitique offre une chance de régler la question des frontières entre Israël et Palestine.

Les paramètres d’un accord sont connus et il appartient aux deux parties de faire des compromis.

Au moment même où Israël est en position de force, le choix d’une percée politique correspond, selon moi, aux intérêts à long terme de votre pays, dont la démographie évolue différemment de ses voisins.

 

Je vous l’ai dit, je n’ignore rien des risques et des sacrifices qu’exige la paix, pour vous comme pour les palestiniens qui devront, eux aussi, faire des concessions.

Mais si ce moment était saisi pour donner corps à la solution des deux Etats, avec un règlement exemplaire, alors une force politique et un message symbolique immense se dresseraient au-dessus du monde, au-dessus de ses violences et de ses fatalités destructrices.

 

Pour votre sécurité, pour faire advenir cette paix, sachez que la France restera toujours à vos côtés.

Israël, c’est la porte de notre propre Histoire ; c’est l’amie, l’alliée et la confidente de la vieille Europe.

La France vous estime et vous respecte, et il se trouve qu’elle est aussi, par son histoire et sa culture, un partenaire de plusieurs pays arabes qui nous font l’honneur de leur confiance.

 

J’en conviens, vous portez sur vos épaules une responsabilité qui dépasse vos existences quotidiennes.

Tous les peuples n’ont pas ce fardeau, tous n’ont pas cette charge que l’on peut aussi nommer… le «privilège» des grandes nations !

François Hollande