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Date de parution: 6/4/2014
La diplomatie française s’enfonce dans l’impasse où le précédent quinquennat l’a engagée. Il y eut l’affaire libyenne dont on retrouve, comme par hasard, certains protagonistes place de Maïdan. C’est peu de dire que nous avions plus que dépassé le mandat des Nations Unies, avec pour conséquence la déstabilisation de l’Afrique sub-saharienne et la rancune de Vladimir Poutine.
Dès le début des émeutes syriennes, nous nous sommes employés à jeter de l’huile sur le feu, rompant les relations diplomatiques avec Damas et alimentant la rébellion en armes et en « soutien psychologique ». L’une des traditions les mieux établies de notre diplomatie était pourtant que la France, à la différence des États-Unis, reconnaît des États et non des régimes. Ce faisant, Paris s’alignait sur le Département d’État américain. L’Union atlantique allait bientôt prendre le pas sur l’Union européenne.
La Crimée est russe, dans cette région où les frontières n’ont cessé d’être déplacées au gré des grandes puissances. La politique dite « occidentale » pousse, depuis la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’Union soviétique, à l’encerclement de la Russie par une avancée systématique de l’OTAN, notamment par Pologne interposée. On mit à profit la période du gouvernement de Boris Eltsine pour humilier la Russie, et favoriser la mainmise sur ses richesses de ceux qu’il est convenu d’appeler les oligarques. Les Etats-Unis et l’Union européenne étaient à la manœuvre.
L’effondrement du communisme n’a pas sonné le renoncement des Russes à leur patrie ; il les a plutôt réveillés. Les méthodes de Poutine nous choquent mais il ne faut pas oublier le mal que nous nous sommes donné à les susciter. Les Américains font la morale au monde entier mais comment oublier leur guerre d’Irak et leurs méthodes à Guantanamo et à Abou Ghraïb ? Aurions-nous aussi oublié les propos scandaleux de Madeleine Albright disant que l’établissement de la « démocratie » dans l’ancienne Yougoslavie valait bien cinq cent mille morts ? Nous sommes, avec notre morale à la manque, des arroseurs arrosés.
Hollande et Fabius en chaperons de l’unité ukrainienne et menaçant Moscou de représailles, à notre propre détriment, il n’y a plus qu’à tirer l’échelle… Il est vrai que nous prétendons même « sanctionner » la paisible Suisse, ce célèbre Etat totalitaire, au motif qu’elle vote mal. Au demeurant, ce n’est pas d’hier que les puissances « occidentales » s’en prennent à une Russie qu’elles ont aidée à se déconstruire au lendemain de l’éclatement du bloc soviétique, et dont elles ne tolèrent pas la restauration. L’intérêt stratégique de la France est dans la restauration de la Russie comme grande puissance européenne.
Notre gouvernement poursuit la ligne adoptée, à la suite de Sarkozy et de Juppé, dès le début des troubles de Syrie. Comme l’a remarqué Dominique de Villepin, il est étrange que, tout en nous prétendant être un État de droit, nous nous portions systématiquement du côté des rébellions en tous genres, vite noyautées dans un cas par les jihadistes, dans l’autre par des hordes revenues de loin.
On se croirait de retour au temps de Guy Mollet et du sabre de bois de Christian Pineau. Jamais les socialistes français ne se sont libérés du syndrome de Suez. Mitterrand, dès son arrivée au pouvoir, nous a, pour ce qui est du Proche-Orient, décrochés du plan établi non sans mal à Venise par la Communauté européenne de l’époque. L’effondrement du mur de Berlin a été vécu comme une catastrophe par Mitterrand et Delors. On ne sait comment, depuis, réchauffer les braises de la guerre froide.
« D’où vient ce sentiment diffus que les Français éprouvent de ne plus avoir de politique étrangère claire ? » s’interroge Renaud Girard dans son dernier livre 1 . C’est un euphémisme. En réalité, nous avons tourné le dos à près de quarante ans de politique étrangère conforme aux fondamentaux de notre histoire, tels que rétablis par le général de Gaulle. Obnubilés que nous sommes par le choix d’une politique européenne hantée par un projet intégrationniste qui n’ose dire son nom, que de toute façon l’Union atlantique rendrait dérisoire, nous sommes réduits soit à l’impuissance totale, soit à l’aliénation à la politique des États-Unis, ce qui du reste revient au même.
1 Renaud Girard, Le monde en marche, CNRS éditions, 2014.
Par Philippe de Saint Robert
Source: http://www.espritcorsaire.com