Otages, Syrie et carabistouilles…

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Evidemment, ce fut un grand bonheur – ce dimanche matin 20 avril, à 8 h 55 -, de voir un hélicoptère déposer sur le tarmac de Villacoublay nos quatre ex-otages détenus en Syrie : Edouard Elias (23 ans), Didier François (53 ans), Nicolas Hénin (37 ans) et Pierre Torres (29 ans). Oui, quel bonheur de les savoir rentrés au pays sain et sauf !

Evidemment, ce fut un grand bonheur – ce dimanche matin 20 avril, à 8 h 55 -, de voir un hélicoptère déposer sur le tarmac de Villacoublay nos quatre ex-otages détenus en Syrie : Edouard Elias (23 ans), Didier François (53 ans), Nicolas Hénin (37 ans) et Pierre Torres (29 ans). Oui, quel bonheur de les savoir rentrés au pays sain et sauf !Gilberto Rodriguez Leal (61 ans) n’a pas eu cette chance. Enlevé le 20 novembre 2012 par des hommes armés près de Kayes (dans l’ouest du Mali), sa mort a été annoncée le 22 avril dernier par le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) qui avait revendiqué son enlèvement. Le même jour, celle-ci est confirmée par un communiqué du Quai d’Orsay. Cette triste nouvelle s’inscrit dans une non moins triste filiation : la journaliste Ghislaine Dupont et son technicien Claude Verlon, pris en otages et assassinés le 2 novembre 2013 ; le fonctionnaire de la DGSE Denis Allex (pseudonyme) exécuté par ses ravisseurs islamistes en Somalie le 11 janvier 2013 ; les deux humanitaires Antoine de Léocour et Vincent Delory, tués par leurs ravisseurs islamistes au Niger lors d’une tentative de libération le 9 janvier 2011 ; le sociologue Michel Seurat enlevé le 22 mai 1985 au Liban par un groupe d’activistes pro-iraniens, vraisemblablement mort en captivité en mars 1986. Ses restes seront retrouvés en octobre 2005 dans la banlieue sud de Beyrouth, recouverts d’un simple drap de laine, puis formellement identifiés après des tests ADN…

Certes, la récupération d’otages n’est pas une science exacte, mais ce n’est pas une raison pour raconter n’importe quoi… Les services français ont pu ouvrir deux « tuyaux » pour négocier la libération de nos quatre otages retenus en Syrie : le premier, en direction des services de renseignement de l’armée turque ; le second, avec les groupes salafistes susceptibles de les détenir (Jabhat al-Nosra et l’Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL). Cette dernière connexion a pu être ouverte grâce à des contacts de journalistes français et libanais en relation avec les antennes de ces mêmes groupes salafistes basées à Tripoli, au nord du Liban. Parallèlement, les services techniques de la DGSE redoublaient d’efforts (écoutes, images satellitaires, etc.) pour localiser précisément nos compatriotes.

Après plusieurs mois de négociations ayant abouti à la libération de deux otages espagnols contre une rançon de quatre millions de dollars, le « dossier des français » a pu être finalisé, par le même canal et dans les mêmes conditions, mais à l’appui d’un versement beaucoup plus substantiel. « Les prises d’otages se terminent toujours par le versement d’une rançon », rappelle un officier supérieur de la DGSE, « et à cet égard, nous ne cessons de répéter que, dans la majorité des cas, la médiatisation de ces affaires par les belles âmes des comités de soutien, ne fait que monter les prix… » Par conséquent, il n’était pas très judicieux que le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll nous refasse le coup du « pas de rançon… » N’eût-il pas été plus judicieux de dire simplement quelque chose du genre : « vous comprendrez bien que pour des raisons de sécurité – d’autres personnes sont toujours aux mains de ces mêmes groupes salafistes qui, tôt ou tard, reprendront d’autres otages -, nous préférons nous abstenir de tout commentaire quant aux conditions de libération… » Ce n’est tout de même pas très compliqué !

Ensuite, et de concert avec les services français et turcs, l’agence de presse turque DOGAN nous sert la version selon laquelle : « les journalistes français ont été retrouvés ligotés, cheveux longs et les yeux bandés, par des soldats turcs à la frontière avec la Syrie. Les quatre hommes ont été abandonnés par des hommes inconnus dans la nuit de vendredi à samedi dans le no man’s land de la frontière séparant les deux pays, près de la petite ville turque d’Akçakale (sud-est). Dans un premier temps, la patrouille de l’armée turque a cru être en présence de contrebandiers, puis a remarqué que les hommes parlaient français les a conduits à un poste de police d’Akçakale ». Les connaisseurs de la zone savent parfaitement qu’elle est minée depuis plusieurs années et qu’un tel scénario nécessite une « certaine coordination ». Un tel mécanisme n’est pas problématique ensoi. Ce qui l’est plus en revanche est l’attribution de cette prise d’otages et les conclusions politiques qui en sont tirées.

Dans un premier temps, le député Alain Marsaud – qui, en ces matières, n’a pas l’habitude de dire n’importe quoi -, estime que les journalistes auraient été détenus par le groupe jihadiste Jabhat al-Nosra qui jouit de la sympathie de certains de nos « islamologues » et diplomates. Ces « éléments de langage » sont vite rectifiés, notamment par la voix de l’inoxydable Serge July, co-président du Comité de soutien des journalistes, estimant pour sa part qu’ils étaient aux mains du groupe qaïdiste de l’Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL). Aussitôt, Laurent Fabius ajoute que ce dernier groupe est une fabrication du régime de Bachar al-Assad lui-même… Depuis le mois de juin 2013, la DGSE, puis la DCRI et, enfin des émissaires spéciaux du ministère de la Défense tentent, vainement de rétablir une coopération avec les services spéciaux syriens, ne serait-ce que pour traiter correctement le dossier des quelques 300 jihadistes français engagés en Syrie dans les rangs des groupes les plus radicaux…

Comment notre diplomatie peut-elle s’avérer aussi schizophrénique ? L’EIIL, une création du régime syrien ? Carabistouilles ! Les meilleurs experts de la zone reconnaissent que c’est une vaste fable inventée par le GID, les services de renseignement saoudiens !!! Au profit de l’Arabie, l’EIIL – essentiellement composé de ressortissants de la péninsule arabique renforcés ensuite de mercenaires islamistes caucasiens, maghrébins et européens – avait pour vocation de s’opposer à l’émergence politique des chi’ites d’abord en Irak, puis en Syrie et au Liban. Devenu l’enjeu de surenchères entre l’Arabie et le Qatar, l’EIIL a ensuite été concurrencé par Jabhat al-Nosra, autre groupe jihadiste mieux centré sur la Syrie dont le Prince Bandar Bin Sultan, chef des services spéciaux saoudiens aujourd’hui démis de ses fonctions assumait publiquement la paternité. Si l’on considère que la France défend bien ses intérêts en Syrie et dans la région en reproduisant ainsi seulement des « éléments de langage » saoudiens, qu’on le dise plus clairement… et qu’on en tire toutes les conséquences.

Mais attention ! Les groupes salafistes en question qui ne bénéficient pratiquement plus des largesses financières du Qatar et de l’Arabie saoudite depuis maintenant plusieurs mois demeurent en situation de gros besoins financiers. Et, comme nous le précise l’un de nos interlocuteurs de la DGSE, ils n’hésiteront pas à relancer la machine à faire des otages, celle-ci s’étant imposée comme une activité économique à part entière. L’hypothèse de prochains otages français ne peut pas ne pas être prise en compte très sérieusement. Dans le même temps, comment va-t-on gérer la problématique des jihadistes français qui requiert la collaboration des services syriens tout en continuant à se caler sur les seules analyses du GID saoudien ? Ne devra-t-on pas revenir à une vieille évidence basique : on ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et continuer ainsi à pincer les fesses de la crémière…
Par Etienne Pellot

Source: http://www.espritcorsaire.com publié le 23/04/2014

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