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Le Point : L’Europe apparaît comme la mal aimée de cette décennie. Pensez-vous qu’elle soit responsable des problèmes qui accablent la France ?
François Fillon : La France a des handicaps qui lui sont propres. Je récuse ceux qui accablent l’Union européenne pour esquiver nos responsabilités nationales. Ceci dit, l’Europe est pleine d’imperfections. Nous l’avons élargie trop vite. Ses institutions sont bancales. Son fonctionnement doit être amélioré. Elle doit être débureaucratisée. Mais que pèsent ces critiques au regard de l’enjeu fondamental que représente la défense de la civilisation européenne face aux immenses puissances émergentes ? La mémoire de la barbarie, le pardon et la paix, la démocratie et le droit contre l’arbitraire, l’alliance de la raison et de la foi, l’économie sociale de marché : tout ceci forme l’âme d’une civilisation originale et brillante. L’Europe n’est pas, à mon sens, le problème de la France, mais la France pourrait devenir le problème de l’Europe si elle ne se ressaisit pas et si elle ne reprend pas sa place à l’avant garde d’un continent européen qui n’a vocation à devenir ni un musée, ni un comptoir de Pékin. Notre redressement national est indissociable de notre poids au sein de l’Union européenne.
De ce point de vue, la Commission Barroso finissante a-t-elle vraiment rempli sa mission ?
La faiblesse de la commission Barroso a été implicitement voulue par les Etats. Nous n’avons donc qu’à nous en prendre à nous-mêmes. Nous avions, avec Nicolas Sarkozy proposé que l’Europe puisse être représentée par une personnalité forte. Nous plaidions pour Tony Blair ou Felipe Gonzalèz. D’autres s’y sont opposés.
Certains, dans votre camp, estiment qu’il faut refonder l’Europe autour d’un «noyau dur» de pays. Laurent Wauquiez, par exemple, pense qu’il faut une Europe de 6 pays. Partagez-vous cette vision ?
L’Europe des Six ? Ce serait revenir à la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Soyons pragmatiques et améliorons ce qui existe, à savoir deux Europe : la première, l’Union Européenne, à 28 Etats-membres, ne pourra guère plus progresser. Elle est destinée à devenir une organisation commerciale continentale et un instrument du maintien de la paix et de la stabilité européenne. La seconde à 18, la zone euro, doit pousser beaucoup plus loin son intégration économique. Elle doit se doter d’un directoire composé des chefs de gouvernement, présidé par l’un d’entre eux et se fixer un objectif d’harmonisation budgétaire, fiscale et des règles d’endettement. Elle doit piloter sa monnaie au service de la stabilité mais aussi de la croissance et de l’emploi. Cette évolution vitale pour l’avenir du continent européen est possible sans délais et sans nouveau traité. Tous les instruments existent. Il suffit de les mettre en œuvre. Il n’y a donc nul besoin de pulvériser un demi-siècle d’effort en détruisant ce que nous avons mis tellement de temps à construire.
Ce que vous proposez n’est ni plus ni moins que ce que François Hollande a proposé, un «gouvernement économique», que nos partenaires ont refusé…
Oui, et avant lui, Nicolas Sarkozy. Pour moi l’expression «gouvernement économique» n’est pas satisfaisante. Le mot «directoire» me parait plus pertinent et plus politique. Ce directoire serait composé de tous les Chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro. L’un d’entre eux en prendrait la présidence pour un mandat d’au moins un an, voire deux ans, lui laissant le temps d’installer sa gouvernance.
Mais pour que les peuples adhèrent à l’Europe, ne faut-il pas carrément élire un président de l’Europe au suffrage universel direct ?
Si c’est au niveau des 28 Etats-membres, je ne sais pas à quoi cela servirait. Si c’est au niveau des 18 de la zone euro, il faudrait réécrire les traités, les faire ratifier… Avant de se lancer dans une telle entreprise, il faut toujours vérifier que nous ayons des alliés en Europe. Et je n’en suis pas certain. Pour l’Europe à 28 les outils de la démocratie existent et ils sont suffisants. Le Parlement européen a dans bien des domaines plus de pouvoirs que l’Assemblée nationale. S’agissant de la future zone euro que j’appelle de mes vœux je souhaite qu’une représentation parlementaire des pays concernés puisse exercer un contrôle permanent sur les décisions du directoire.
Il y a un mot que vous ne prononcez pas : le «fédéralisme». Par peur d’effrayer vos électeurs eurosceptiques ?
Je ne fuis pas le débat mais il y a des étapes. L’harmonisation fiscale dont je parle peut prendre 15 ans. Alors, avant de passer à l’étape du fédéralisme… Le temps des nations reste d’actualité.
Cette partie de la France qui se rétracte vis-à-vis de la construction européenne n’est-elle pas aujourd’hui majoritaire dans le pays ?
L’adhésion au projet européen est minée par la crise, mais notre peuple n’est pas condamné à sombrer dans la démagogie. C’est la responsabilité des hommes politiques de ne pas mystifier les Français en leur présentant des avantages prétendus d’un repli sur soi. Dire que le retour du Franc relancera notre économie est un mensonge. Dire aux Français que la sortie de l’espace Schengen est la solution aux problèmes d’immigration comme le prétend Mme Le Pen est faux. Les solutions aux problèmes de l’immigration sont ailleurs : conditionner l’accès des étrangers aux prestations sociales, définir des quotas, mettre réellement en œuvre des contrôles de police efficaces et mutualisés aux frontières de l’UE, suspendre la participation à l’espace Schengen des pays qui ne respectent pas les règles, voire les exclure.
Sortir de Schengen impliquerait de recréer des frontières, de redoter la France d’une administration (police et douane) ce dont elle n’a absolument pas les moyens financiers et signerait un bond en arrière de 30 ans en matière de libre circulation.
Je propose donc l’inverse : que tout pays qui ne respecte pas les règles de contrôles aux frontières de l’Europe soit exclu de l’espace Schengen. Par ailleurs, je mets en garde contre le problème que serait l’entrée de la Roumanie dans l’espace Schengen.
Il n’y a pas que Le Pen, Nicolas Sarkozy avait, lui aussi, menacé de sortir de l’espace Schengen durant la campagne présidentielle…
Il avait précisément parlé de suspendre la participation de la France aux accords de Schengen si aucun progrès n’était réalisé dans les douze mois. L’objectif était le même : il faut que les pays de l’espace Schengen respectent les règles.
Où vous situez-vous dans le débat actuel sur «l’euro trop fort» ?
L’Euro est fort parce que la balance courante est très excédentaire dans la Zone euro. C’est une situation qui n’a pas que des inconvénients. Elle permet de réduire le poids de notre dépendance énergétique et le niveau des intérêts de la dette. Mais il est vrai aussi qu’elle handicape nos exportateurs et fait peser un risque de déflation qui serait mortifère. Les gouvernements de la zone euro ont les moyens d’engager un dialogue avec la BCE pour définir ensemble des orientations de change. C’est une disposition du traité de Maastricht qui existe et n’a jamais été utilisé. Parce que l’Allemagne ne le souhaite pas. Reste à la convaincre. L’intelligence de Mario Draghi, le président de la BCE, est utile mais il est fragile de faire reposer sur un seul homme notre politique monétaire. Il est donc indispensable de convaincre nos partenaires de la réviser. Comment y parvenir quand la deuxième puissance économique de la zone euro – je parle de la France – refuse obstinément tous les efforts que tous les autres membres de l’Union monétaire ont accomplis ? Il faut avouer que nous ne sommes guères rassurants pour nos voisins… Pour entrainer l’Europe, la France doit être forte, réformée, exemplaire.
Les 50 milliards d’euros d’économies annoncés par le gouvernement Valls vont-ils dans le bon sens. Et les voterez-vous ?
Cela va dans le bon sens, mais nous sommes pour l’instant dans les discours. Le compte n’y est pas et le gouvernement évite soigneusement toute réforme structurelle. Je constate aussi qu’entre le gouvernement Valls et le parti socialiste, une offensive concertée s’est engagée sur le thème «il faut desserrer la contrainte». Cambadélis d’un côté, Montebourg de l’autre… Mais, desserrer la contrainte, c’est refuser la réalité pour encore éviter l’effort. Pourtant la France ne pourra pas éternellement échapper à ses responsabilités et à son destin. Si la France continue de se replier sur elle, de se rétracter en matière économique, elle laisse à l’Allemagne la totalité du pouvoir en Europe. On en revient toujours à la case départ : pour peser, il faut que la France soit crédible et puissante.
A l’UMP, on retrouve aussi, chez certains, cette petite musique : desserrer la contrainte…
Certes, mais ce n’est pas la ligne qui a été adoptée.
Et vous pensez que les électeurs vont suivre sur cette ligne de rigueur budgétaire ?
Notre mission, c’est de les convaincre que la France doit être une puissance européenne. Et la puissance exige réformes, rigueur, ambition nationale. L’enjeu est vital pour nos pays et le continent européen. J’ajoute que ce qui est en train de se passer en Ukraine démontre que les risques d’affrontement n’ont pas disparu. Où en serait-on aujourd’hui si nous n’avions pas accueilli les pays de l’Est dans l’Union européenne ? On sait tous que l’élargissement nous a handicapé en termes d’intégration économique mais, en même temps, on ne peut pas dire que ce soit une défaite. Si cette intégration n’avait pas eu lieu, le problème qui se pose en Ukraine se poserait également pour d’autres pays en Europe avec tous les risques d’une déflagration qui peut prendre des proportions très dangereuses.
Pensez-vous vraiment que la situation Ukrainienne puisse déboucher sur un conflit armé majeur ?
Les Russes, les Européens et les Américains essaient de trouver une sortie raisonnable.
Mais cette crise a aussi montré l’absence de toute diplomatie européenne…
La diplomatie européenne est faible parce que le choix a été fait, dès le début, de s’aligner derrière les Etats-Unis qui ont une perception rudimentaire de la situation en Ukraine et en Europe, et deuxièmement, parce que François Hollande et Angela Merkel ne prennent aucune initiative. C’est à eux de prendre un avion et d’aller voir Vladimir Poutine. La seule solution pour peser sur le président russe, c’est une négociation directe, à hauteur de chefs d’Etat. Il y a des choses à exiger de la Russie et, réciproquement, l’Europe a des choses à offrir, c’est-à-dire un espace économique d’échange ouvert. Depuis dix ans, sur ce point, toutes les négociations ont été freinées. Sur les visas, sur la circulation des biens et services, sur les investissements…
Pourquoi ?
Il y a deux raisons. La première tient à la Russie et à sa progression, trop lente, vers un état de droit stable. Et la seconde, réside dans l’hostilité des pays d’Europe de l’Est qui bloquent les négociations avec les Russes. Ajoutez à cela qu’une erreur historique a été commise en repoussant les frontières de l’OTAN juste sous le nez des Russes. Tout cela explique en partie la crispation actuelle…
L’Europe de l’énergie reste à construire. Mais comment faire quand les Allemands tournent le dos au nucléaire pour le charbon ?
Les critiques adressées à l’Allemagne sur sa politique économique sont injustes et contre productives, en revanche il est incontestable que ses choix énergétiques mettent en risque l’Europe tout entière. Ils contribuent à la production de gaz à effet de serre, accroissent la dépendance européenne à l’égard de la Russie et ils risquent d’aboutir à une impasse capacitaire dans un avenir très proche en raison du caractère intermittent de la production d’électricité d’origine solaire ou éolienne. Voilà un sujet de débat avec l’Allemagne sur lequel nous ne sommes pas en situation de faiblesse. C’est aussi le cas sur la défense et la sécurité.
Comme beaucoup de partis, l’UMP a placé sur ces listes aux européennes des recalés des scrutins nationaux, Nadine Morano, ou des apparatchiks, Jérôme Lavrilleux. Est-ce vraiment la meilleure façon de « vendre » aux Français le «rêve européen que d’envoyer à Strasbourg des seconds couteaux ?
Ce n’était pas gagné au début mais je me suis battu pour que Alain Lamassoure qui préside la commission du budget du Parlement européen, Arnaud Danjean qui est une voix reconnue à Strasbourg sur la défense, Michel Dantin qui porte la voix de notre agriculture ou Alain Cadec qui défend la pêche française soient reconduits au Parlement.
A la proportionnelle, les listes de candidats sont toujours le fruit de compromis. Celui que nous avons réalisé était le meilleur possible. Mais le vrai enjeu est celui du travail des députés européens, à commencer par leur présence au sein de l’hémicycle. Les Britanniques et Allemands sont mieux organisés que nous : leurs députés font en général trois mandats. Au premier, ils se font bizuter. Au second, ils s’imposent. Et au troisième, ils « font la loi »… Nous devrions nous en inspirer.
Il y a un risque que le Front national sorte en tête aux européennes. Quelles conséquences en tirerez-vous ?
Le risque d’une nouvelle manifestation de colère est réel. Cette colère, c’est la même qui s’exprimait le 21 avril 2002, puis aux régionales en 2004 quand nous étions aux responsabilités et cette année aux municipales. C’est une colère qui s’exprime contre l’absence de résultats de tous les exécutifs qui se sont succédés.
Pour y répondre, il faut un projet de rupture concentré sur l’urgence du redressement économique et de retour au plein-emploi à travers la croissance et la libération de l’économie. La seule véritable protection sociale, c’est l’emploi ! La réponse à la colère des Français passe aussi par un changement des comportements politiques : exemplarité, modestie, humilité, sincérité, respect de la parole donnée. Trop de comportements, par leur médiocrité, incitent les Français à rejeter leur système démocratique.
Plus d’exigences, dites-vous. L’affaire Morelle arrive à un moment qui confortera les populismes. Que vous inspire-t-elle ? François Hollande semble, à chaque fois, se tromper sur les hommes…
On peut se tromper sur les hommes, mais ce qui est grave c’est que François Hollande prétendait incarner la morale. Il aurait gagné à être plus sobre dans la posture et plus vigilant dans l’exercice du pouvoir. Tout ceci alimente le populisme alors que la Politique est souvent faite de conviction et d’esprit de service.
Vous ne serez probablement pas candidat en 2015 à la présidence de l’UMP. Aurez-vous un candidat pour vous représenter ?
Avant les élections de 2015 pour la présidence de l’UMP, il y aura cet automne des élections internes à notre parti qui doivent permettre à une nouvelle génération de terrain de s’engager pour une UMP crédible et unie. Ils savent pouvoir compter sur moi. Pour le reste, je suis et resterai concentré sur l’élaboration d’un projet de redressement national sur la base d’un dialogue large et direct avec nos compatriotes.
Source: http://www.blog-fillon.com/