Étiquettes

, , , ,

Vous n’êtes pas d’accord avec la campagne européenne de l’UMP. Pourquoi ?
Faire élire quelques députés européens de plus ne changera pas l’Europe, d’autant qu’ils siégeront dans les rangs du PPE dont le programme est différent de celui de l’UMP. Cette campagne devrait d’abord être l’occasion de redéfinir notre rapport à l’Europe parce que notre capacité à gouverner dans l’avenir en dépend.

Ne prenez-vous pas le risque d’affaiblir votre parti au profit des partis populistes ?
Un parti est affaibli par les affrontements d’égo, les querelles de personnes jamais par les débats d’idées. Un parti ne meurt pas du trop-plein de convictions mais du vide et de l’ennui.
Oserais-je ajouter que j’ai adhéré il y a longtemps à une famille politique qui avait pour caractéristique de vouloir toujours faire passer son pays avant son parti. Je ne peux pas croire qu’elle préfèrerait désormais que chacun fasse passer son parti avant son pays. Ce serait alors que les populismes auraient de beaux jours devant eux.

Le débat d’idées a eu lieu avant le choix des candidats.
Ça m’a échappé… Mais même dans un parti où une majorité se serait exprimée, elle ne pourrait pas dire à tous ceux qui seraient en profond désaccord : silence dans les rangs !

C’est le principe de la démocratie.
Non : la démocratie c’est le refus de tous les absolutismes, y compris celui de la majorité. Il faut des raisons fortes pour que chacun accepte des décisions avec lesquelles il peut être en désaccord et cette acceptation a des limites. Elles dépendent de la nature du ciment qui unit le corps social, mais une majorité doit toujours se poser la question de savoir jusqu’où ne pas aller trop loin.

Qu’est ce qui fait la différence ?
Quand c’est la foi qui cimente comme dans une Nation ou une Eglise, c’est là que l’unité est la plus solide. Mais il y a quand même toujours une limite. Dans la Ve République, c’est au Président d’être le gardien vigilant de cette limite. A voir comment il s’est comporté au moment de la loi sur le mariage, je ne suis pas sûr que François Hollande l’ait compris.

La construction européenne, n’est-elle pas aussi une question de foi ?
J’ai foi dans la civilisation européenne, dans la culture européenne, dans l’idée de l’homme qu’elles ont produite. Mais une construction institutionnelle ne relève pas du domaine de la foi. J’ai foi dans la France et je suis attaché aux institutions de la Ve République. Ce n’est pas du même ordre. Les institutions sont d’ordre pratique, utilitaire. Elles ne sont pas de l’ordre de la fin en soi mais du moyen. Elles peuvent, elles doivent être jugées, critiquées, à l’aune de leur efficacité.

 

Qu’est-ce que l’Union Européenne selon vous ?
L’Europe c’est la France, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique… La Commission, le Parlement, la Cour de Justice ne sont que des institutions au service des Etats et des peuples d’Europe. Parler d’un intérêt général de l’Union européenne qui transcenderait les intérêts de ces peuples et de ces Etats n’a pas de sens. Des institutions ne transcendent jamais rien.

L’Europe, c’est la paix…
Ce n’est pas l’Union européenne qui a fait la paix, c’est la paix qui a fait l’Union européenne et l’idée que l’on assure la paix et la démocratie sur le continent en affaiblissant les Etats, est dangereuse : depuis des années, l’affaiblissement des Etats va de pair avec la montée en Europe des populismes, des extrémismes, des crispations identitaires, des tensions sociales.
Prenons garde à ce que le rêve fédéraliste ne tourne pas au cauchemar.

Faut-il réformer les institutions européennes ?
Le Meccano institutionnel a atteint ses limites : chaque réforme n’a fait qu’accoucher d’un monstre un peu plus bureaucratique. Il y a deux institutions démocratiques : le Conseil des Chefs d’Etat et de gouvernement et le Parlement. Le Conseil l’est davantage que le Parlement parce que les Chefs d’Etat rendent plus de comptes à leurs concitoyens que les députés européens. Il n’est pas certain que la démocratie ait beaucoup gagné en passant d’une assemblée composée de délégations des Parlements nationaux à une assemblée directement élue. Mais s’il y avait une seule réforme décisive à faire ce serait de supprimer les prérogatives de la Commission Européenne et d’en faire une administration sous l’autorité de la Présidence du Conseil. Mais le plus urgent, c’est de changer le contenu des politiques et la pratique des institutions.

Comment changer la pratique institutionnelle ?
En mettant au coeur de cette pratique, trois principes qui existent déjà mais qui sont laissés de côté ou dévoyés. Je pense d’abord, et cela nous renvoie au début de notre conversation sur la démocratie, à ce que l’on appelle le compromis du Luxembourg. En juillet 1965, la France en désaccord sur les décisions prises en matière de politique agricole commune, avait décidé de ne plus se rendre aux réunions. C’est ce qu’on avait appelé la politique de la chaise vide. En janvier 1966, un compromis avait été trouvé : lorsque des intérêts très importants d’un ou plusieurs partenaires sont en jeu, les Etats membres acceptaient de discuter jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée. La Pologne a fait inclure dans le traité de Lisbonne un principe similaire appelé le compromis de Ioannina, scellé en 1994, selon lequel lorsque les intérêts importants d’un groupe de pays sont en jeux et que celui-ci est proche de la majorité qualifiée, les autres membres acceptent de discuter jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé.
-Le deuxième principe c’est la subsidiarité, principe reconnu mais qui fonctionne à l’envers :
l’Union à tendance à laisser aux Etats ce qu’elle ne peut pas faire. Il faut au contraire affirmer que l’Union n’a vocation à faire que ce que les Etats ne peuvent pas faire. Ce principe doit permettre aux Etats de reprendre des compétences à l’Union qui en a trop.
-Troisième principe, celui de la géométrie variable qui existe déjà – les 28, la zone euro, l’espace Schengen, la Baltique… – Mais dont il faut en faire un principe d’application systématique.

Comment faire avec nos partenaires ?
Il faut les mettre face à leurs responsabilités en prenant les nôtres. Ce qui veut dire assumer le risque d’ouvrir des crises limitées pour éviter des crises beaucoup plus graves. C’est « la chaise vide » qui a sauvé la politique agricole ! C’était le sens du discours de Nicolas Sarkozy à Villepinte pendant la campagne de 2012 : on se donne un an pour négocier et si rien ne bouge on prend des décisions unilatérales jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé. Je pense à Schengen, à l’ouverture des marchés publics, à l’encadrement de la libre circulation, aux travailleurs migrants, à la politique de la concurrence, au traité transatlantique. Prenons le cas des travailleurs migrants : si l’on n’arrive pas à se mettre d’accord pour calculer les charges sociales au lieu du travail plutôt que dans le pays d’origine pourquoi, jusqu’à ce que l’on parvienne à un accord, ne pas prélever sur ceux qui emploient cette main-d’oeuvre la différence entre les charges françaises et les charges étrangères ?

Mais il y a les traités…
Les textes évoluent avec la pratique. Avant Mac Mahon, la IIIe République n’était pas
destinée à être ce qu’elle est devenue ensuite. Le traité de Rome n’a pas été appliqué après les années 1980 comme dans les années 60-70. Quatre ans de crises, de 2008 à 2012, ont témoigné à quel point la nécessité pouvait faire loi : pour empêcher la catastrophe les traités ont tous été violés. Le problème c’est la hiérarchie des normes qui place le droit européen au dessus de la loi nationale. On pourrait inscrire dans la Constitution un vieux principe du droit français aujourd’hui abandonné selon lequel la loi votée postérieurement à un traité l’emporterait sur ce dernier, principe appliqué dans le droit public français jusqu’à la fin des années 80 sans que le fonctionnement de l’Europe en soit entravé. Mais on peut aussi, tout simplement, si on le veut, faire adopter par référendum une loi qui contredit une directive, aucune juridiction nationale ne pouvant aller contre la volonté souveraine du peuple. Je ne veux pas dire que cela doit être utilisé à tout bout de champ. Mais tout cela est possible et ce qui compte, c’est la détermination du gouvernement appuyée sur cette possibilité et animée par l’esprit de responsabilité, non pour créer des crises à répétition mais pour réorienter une pratique qui conduit au désastre.

Il y a des règles qui ont été décidées. Dont les 3% de déficit…
Toutes les règles ne sont pas de même nature. Ainsi la rigidité de la règle est-elle une garantie pour le droit des personnes, alors qu’en économie elle crée de l’instabilité : en supprimant tous les amortisseurs monétaires, budgétaires, fiscaux, en paralysant les instruments de régulation des Etats, on accentue les désordres économiques et sociaux. On ne peut pas appliquer les mêmes règles que celles définies il y a un quart de siècle à l’orée d’un cycle de désinflation et d’endettement alors que nous sommes aujourd’hui à l’orée d’un cycle de désendettement et confrontés à une menace de déflation.
Mais la pire des solutions est d’aller tous les deux ans à Bruxelles, la corde au cou, en demandant un délai de grâce. Il faut y aller avec une stratégie cohérente pour sortir de la stagnation et du chômage de masse et dont la réduction du déficit soit le point d’arrivée et non le point de départ. Pour avoir une chance de convaincre les autres, Bruxelles ou les marchés, il faut être soi-même convaincu et avoir sollicité un mandat clair des Français pendant la campagne présidentielle. Ne pas l’avoir fait a plongé M. Hollande dans le noeud de contradictions dans lequel il se débat depuis 2 ans.

Est-il envisageable de sortir de l’Euro ?
Je pense que l’Euro a affaibli l’Europe. Mais on ne fait pas de la politique sur une table rase.
Depuis 60 ans, il s’est passé beaucoup de choses que l’on ne peut pas effacer d’un revers de la main. L’Euro en est une. Peut-être explosera-t-il si chacun n’y met pas du sien et si les tendances déflationnistes l’emportent. Mais il y a un risque, incalculable d’ailleurs, que la sortie de l’Euro provoque un cataclysme et d’immenses souffrances. Je n’en prendrai pas la responsabilité morale.

L’euro est-il trop fort ?
Oui. 1 euro pour 1$ serait raisonnable. On en est loin. C’est le fruit d’une politique monétaire encore trop restrictive pour accompagner un cycle de désendettement. Mario Draghi a fait beaucoup d’efforts mais ils sont loin d’être comparables à ceux des Etats-Unis, de l’Angleterre ou du Japon. La question est : peut-on accepter la discipline budgétaire si on ne déverrouille pas la politique monétaire pour éponger les dettes publiques ou financer par des avances les grands investissements d’avenir pour la recherche ou la transition énergétique par exemple ? La BCE est indépendante mais le Conseil européen pourrait, conformément aux traités, fixer un objectif de change, qui, comme aux Etats-Unis, obligerait la BCE à dialoguer avec le pouvoir politique. En attendant rien dans les traités ne nous empêcherait d’obtenir le même effet qu’une dévaluation en transférant massivement le financement de nos charges sociales sur la TVA.

Quel est selon vous le principal obstacle ?
La démographie allemande. Un pays fait toujours, en premier lieu, la politique de sa démographie.

L’UE contribue-t-elle à faire apparaître les politiques de plus en plus impuissants ?
Oui : à partir de l’Acte unique, elle a changé de nature pour devenir une entreprise sans précédent et sans équivalent au monde de dépolitisation de la société et de l’économie qu’elle a cherché à mettre de plus en plus en pilotage automatique. D’où son hallucinante production de normes : pour que le pilotage automatique soit possible, il faut tout codifier. Cela a nourri la dérive qui tend à donner tous les pouvoirs aux bureaucrates, aux traders et aux juges. L’UE a enseveli les réalités historiques, géographiques, culturelles, démographiques sous les règles,
les bureaucraties et les procédures. Mais les réalités se vengent toujours quand on les ignore comme se venge la réalité économique quand on la néglige : voyez l’affaire ukrainienne que l’on a cru pouvoir régler sans tenir compte de la géographie et de l’histoire.
La vraie question est : que voulons-nous ?

Source: lefigaro.fr