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Alors que les députés socialistes frondeurs s’organisent, Manuel Valls les a rencontrés mardi 13 mai à l’occasion de la réunion du groupe PS. Une opération câlinothérapie où le Premier ministre a notamment déclaré « Il n’y a que quand on ne fait pas de politique qu’on est sûr de perdre ». Un appel à l’engagement politique qui peut prendre plusieurs sens.
Publié le 15 Mai 2014
Atlantico : Quel sens l’animal politique Valls met-il derrière ces mots prononcés devant les députés ?
Jean Garrigues : Il y a eu au PS un tournant politique pris par François Hollande. A partir du moment où ce tournant a été pris il faut l’accompagner par une politique assez subtile, qui consiste à maintenir une cohésion à gauche. Ses propos sont assez sybillins : ça peut être un message aux 41 dissidents socialistes, mais aussi essayer de contextualiser la ligne politique gouvernementale. Il y un contraste entre ses efforts de communication, la réussite de son discours de politique générale, le vote consultatif sur le pacte de responsabilité et une impression de désordre politique donnée par le groupe parlementaire de l’Assemblée.
Olivier Rouquan : Il veut justifier l’engagement du chef de l’Etat et le sien dans la campagne européenne. François Hollande a récemment publié une tribune, il a rencontré Angela Merkel, on l’a vu sur le terrain. Le Premier ministre, lui, est intervenu sur TF1. Il y a une volonté de l’exécutif de davantage se montrer, d être dans le débat, de faire de la politique au sens électoral.
Quand il encourage à « faire de la politique », de quoi parle-t-il : de stratégie politique ou de choix politiques ?
Jean Garrigues : Les deux. L’objectif est de donner un cap plus lisible qu’à l’origine. On a reproché à François Hollande de louvoyer pendant les deux premières années. C’est Manuel Valls qui a semblé donner une direction politique alors qu’il est là pour mettre en oeuvre la politique du président. C’est une question à la fois gouvernance et de mobilisation, de rassemblement et de cohésion de la famille socialiste. Le cap est donné mais Manuel Valls se place plutôt sur le terrain de la stratégie et du message politique.
Olivier Rouquan : Il y a une volonté de faire de la politique au sens de délaisser un discours trop technocratique de la part de Jean-Marc Ayrault et François Hollande. On a reproché au Président de trop donner de chiffres. Faire de la politique, c’est aussi mieux écouter l’Assemblée, le Sénat et les parlementaires. Le gouvernement précédent avait pu donner l’impression que les parlementaires étaient un peu délaissés. Le fait que le PS soit désormais moins discipliné que la droite force l’exécutif à changer sa pratique. Cette revendication du terme politique répond par ailleurs aux attentes de la gauche qui se fait violence pour accepter les priorités donnés à la compétitivité.
Que met-il actuellement en œuvre pour y parvenir à réhabiliter la politique au sein de la majorité et de l’exécutif ?
Jean Garrigues : Il a commencé par incarner un principe d’autorité qui doit être interprété par l’exécutif. Il a restauré ce principe et a communiqué auprès de l’opinion, ce qu’est le dessin politique de François Hollande. Il y a une ligne qui s’est décidée, c’est de réhabiliter les entreprises, de redonner confiance aux Français et de restaurer la confiance de l’opinion. C’est aussi la manière dont il a négocié la préparation du vote consultatif pour désamorcer la fronde. On peut considérer ça comme un échec car il y a eu 41 députés frondeurs mais ce sont des négociations typiquement politiques.
Olivier Rouquan : Il y a une volonté de fluidifier les relations entre les parlementaires et le gouvernement. Il faudra voir si ce gouvernement permet davantage aux propositions parlementaires d’être discutées et votées. Manuel Valls a une capacité à parler plus claire, à faire de la pédagogie. Il impose quelques priorités dans le flux d’information, il n’hésite pas à expliquer ce qu’il fait. Une partie de l’échec aux municipales est fondée sur l’incompréhension totale des électeurs sur ce qui a été fait depuis deux ans.
Il était l’un des rares ministres à s’être engagé aux dernières municipales : est-ce une invitation aux parlementaires à davantage s’engager et à renouer avec le terrain ?
Jean Garrigues : C’est incontestablement une mobilisation et une incitation. L’objectif est de mobiliser l’électorat aux européennes avec toutes les armes qu’offrent la politique, la négociation comme la communication dont Manuel Valls est un spécialiste. L’engagement dans la campagne électorale du Premier ministre est une tradition car c’est le chef d’une majorité parlementaire. Pour autant, il y a certains élus qui rechignent car ils ne sont pas d’accord avec Manuel Valls ou alors ils sont rétifs à affronter le jugement et le débat.
Olivier Rouquan : Ce que veut faire Manuel Valls c’est remobiliser les troupes. Il veut inciter les parlementaires à aller de l’avant et ne pas rester tétanisés. Il a ce rôle car c’est le Premier ministre. Le chef de la majorité incarne a ce rôle d’entraîneur.
Plusieurs ministres reprochent en « off » aux technocrates et énarques d’avoir pris le pouvoir à l’Elysée. Manuel Valls vise-t-il à y remédier ? Le peut-il ?
Jean Garrigues : Contrairement à François Hollande, ce n’est pas un énarque. Il a un cursus de militant politique et il n’est pas issu d’un grand corps. Il peut avoir une méfiance envers l’énarchie. Manuel Valls, c’est une sorte d’incarnation du parcours politique.
Olivier Rouquan : Manuel Valls a moins ce profil donc il peut avoir un discours un peu plus libre. En même temps, ce n’est pas trop son fond de commerce. Il est moins dans la confrontation et la contestation de l’élite que l’était Nicolas Sarkozy.
Finalement, qu’est-ce qui, dans ses habitudes, ses discours et ses actes nous donne des indications quant à la feuille de route qu’il offre au PS ? Et quelle est-elle ?
Olivier Rouquan : Il a été nommé car il incarne bien la priorité donnée à la clarification des orientations en faveur de la dynamisation de notre service productif et de notre économie. Il correspond à la fois au moment politique et aux orientations du chef de l’Etat décidés en janvier et en février. Il va avoir le temps de marquer sa gouvernance mais il est encore un peu trop tôt pour tirer des conclusions.
Jean Garrigues : C’est essayer d’expliquer, de soutenir, d’accompagner le pacte de responsabilité, de montrer la cohérence entre ce pacte et l’orientation sociale-démocratique du PS, de montrer qu’il n’est pas incompatible avec l’idée de justice sociale menée par le PS. L’idée, c’est de faire un peu moins d’idéologie et plus de politique.
Source : http://www.atlantico.fr/
Jean Garrigues est historien, spécialiste d’histoire politique. Il est professeur d’histoire contemporaine à l’ Université d’Orléans et à Sciences Po Paris.
Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale.