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© Photo: AP/Raqqa Media Center
L’utilisation d’une histoire glorieuse au nom de l’avenir à reconquérir est une manœuvre bien habile. Nous avons demandé à l’un des anciens chefs de la DGSE, écrivain et analyste, spécialiste de l’Orient Alain Chouet, de nous donner son analyse des tenants et aboutissants de l’éclosion du nouveau Califat.
Un Etat Islamique en Irak et au Levant vient d’être instauré au Proche-Orient… Croyez-vous que cette idée va prendre ?
Alain Chouet : Ce qu’on appelle l’Etat islamique au Proche-Orient n’est pas une nouveauté. Cela descend en ligne directe d’un groupe qui, avant les années 2000, sévissait dans le Nord-Est de l’Irak et qui s’appelait Dar-el-Islam. C’était une espèce de groupe religieux et mafieux qui dévastait la région. Ensuite il a été repris en main par un membre exclu d’Al-Qaïda à partir de 2003-2004 pour en faire un groupe de combat sunnite contre la mainmise des Chiites sur l’Etat irakien qui a réuni auprès de lui un certain nombre de soldats et d’officiers de l’ancienne armée de Saddam Hussein que l’administration américaine en Irak avait tous exclu de l’armée et de la fonction publique. Ce groupe a entrepris de lutter contre l’emprise chiite sur l’Etat irakien avec le soutien des services spéciaux saoudiens. Ce n’est pas une nouveauté. Ça existe, ça a existé ! Ca a étendu son rayon d’activités parce qu’il y a eu une sorte de surenchères entre le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Koweïtis pour soutenir ce mouvement qui, du coup, a pris tellement d’importance que les Saoudiens ont fini par ne plus lui prêter appui. Ce groupe s’est retrouvé avec le Qatar ce qui lui a donné une grande importance dans la lutte des rivalités dans la région entre les puissances locales.
Et puis il a enregistré du succès puisqu’il y a eu une gestion assez maladroite de l’Irak par le Premier ministre actuel Nouri al-Maliki qui a réussi à se mettre tout le monde sur le dos ! Et maintenant plus personne ne le soutient y compris dans sa propre armée. Tout le monde veut sa chute !
Ensuite il ne faut pas exagérer non plus l’importance de ce groupe. Il compte actuellement une dizaine de milliers d’hommes parce qu’il a pu s’en acheter pas mal avec les fonds dont il disposait. D’ailleurs sa première attaque à Mossoul consistait à piller la succursale de la Banque Centrale d’Irak où ils ont pu rafler à peu près 500 millions de dollars, ce qu’il leur a permis de s’acheter l’assistance d’un certain nombre de chefs de tribus sunnites dans le Nord de l’Irak.
Il ne s’agit évidemment pas d’un Califat ! C’est une plaisanterie ! Mais c’est assez habile sur le plan de la propagande parce que cela met les musulmans du monde entier en demeure de choisir s’ils soutiennent ce mouvement ou pas.
D’après vous, s’agirait-il d’un mouvement simultané d’un groupe terroriste ou y aurait-il des Etats qui se rangeraient derrière si on faisait la part des choses ?
Alain Chouet : Je pense qu’effectivement, plus personne ne soutient ce mouvement qui se trouve du coup coincé dans cette zone du Nord de l’Irak et du Nord-Est de la Syrie avec la nécessité pour lui de trouver des moyens de financement. Ce qui l’a incité à accentuer son contrôle. Les moyens de financement comprennent les méthodes comme le pillage ou le racket soit par le contrôle d’un certain nombre de puits d’hydrocarbures qui sont dans les territoires qu’ils contrôlent. Ce sont des gens qui sont un peu, politiquement et militairement aux abois et qui sont obligés d’organiser leur vie dans une zone donnée.
Dans un article de Jean Bonnevey publié par le site de Marc Rousset, l’auteur parle de l’éventuelle conquête par ce groupe de Bagdad et de Damas, ce qui lui permettrait de réunir les deux califats avec la capitale de l’islam omeyade et celle de l’islam abbasside…
Alain Chouet : C’est fantaisiste ! Personne dans la région n’a intérêt à laisser cette espèce d’entité anarchique – puisque c’en est une ! – se développer ! D’ailleurs elle va vite trouver ses limites parce qu’elle aura très vite épuisé ses moyens de subsistance et les produits de ses pillages. On ne peut pas piller éternellement ! C’est une entité qui ne produit rien, qui ne contrôle rien et qui ne joue que sur les exaspérations d’un certain nombre de Sunnites dans la région… et sur l’assistance qu’elle peut recevoir des militants jihadistes venus d’un peu partout dans le monde.
Il y a une quantité très importante dans le monde islamique des volontaires étrangers qui viennent de la Tchétchénie, de Lybie, d’Europe, d’un peu partout, mais qui ne resteront pas s’ils ne sont pas payés ! S’ils n’ont pas de compensation de leur engagement par le pillage, le viol, etc. « C’est une grande compagnie ! » – comme on disait en Europe au Moyen-Age, qui ne peut pas vivre éternellement sur la zone qu’elle contrôle et qui a des capacités militaires tout de même relativement limitées. Ce groupe va concentrer sur lui le feu de tous les Etats organisés dans la région et dont l’avenir ne me paraît pas très brillant. Mais en attendant ça va faire beaucoup de dégâts et va surtout servir d’inspiration à tous ceux qui ensuite quitteront cette entité pour revenir soit en Europe, soit ailleurs dans le monde arabe. Tous ces gens vont revenir tout à fait déçus, amers et en colère ! Ils vont constituer un danger terroriste tout à fait considérable.
Nous aurions beau faire passer sous des fourches caudines les barbus d’antan qui renouèrent avec la tradition, il n’en demeure pas moins que le monde musulman a cristallisé le noyau dur d’une nouvelle idéologie sunnite qui, dans le temps, a déjà permis la création de l’Arabie Saoudite. Quand on parle de la renaissance d’une tradition et du peuple en armes pour la soutenir, on ne pourrait pas omettre de citer Israël où les gens ont non seulement fait renaître une tradition et un Etat tombé en désuétude quelques 2000 ans avant, mais qui plus est, ont restauré une langue morte, l’hébreu. Cela s’opéra avec le soutien de l’URSS (Staline a été le premier à reconnaître l’Etat d’Israël) et les Etats-Unis. Si les islamistes du Califat se sont attirés les bonnes grâces de la CIA (ce qui semble être le cas), ils ont encore de beaux jours devant eux. Les barbouzes américains vont utiliser les barbus orientaux pour, au moment voulu, atomiser la Syrie et faire éclater les Etats du Proche et Moyen-Orient en tessons. Divise et dirige ! – une maxime dont Washington s’inspire dans sa politique internationale. Reste à savoir si les islamistes soutenus par les States ne profiteront pas de l’occasion pour faire renaître la souveraineté du monde musulman de type… médiéval.
Source: : http://french.ruvr.ru publié le 09/07/2014