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Gil Mihaely est actuellement le directeur de la publication.
Dimanche 13 juillet, les manifestations contre la politique israélienne se sont soldées par des attaques violentes des synagogues de la rue de la Roquette et de la rue des Tournelles. Ce soir de nouvelles manifestations se dérouleront dans un climat tendu. Le conflit israélo-palestinien est-il en train d’être transposé en France? Comment analysez-vous cette situation?
Gil Mihaely: En fait, les conflits au Moyen-Orient ont des répercussions de plus en plus importantes en France depuis le début des années 1980. L’attentat contre la synagogue de la rue Copernic a eu lieu en octobre 1980, il y a bientôt 34 ans… Ensuite il y a eu l’attentat contre le restaurant Goldenberg en août 1982, c’est-à-dire au moment où la guerre du Liban faisait rage. La nouveauté depuis les années 1990-2000 c’est que ce sont les Français d’origine maghrébine qui cherchent à en découdre et non plus des commandos envoyés par un acteur extérieur (OLP, Iran etc.). La raison principale est que la haine d’Israël et des Juifs est devenue un composant majeur de l’identité des Français d’origine arabe et africaine, c’est le ciment de la «beuritude».
Croyez-vous que ces manifestations trahissent une nouvelle forme d’antisémitisme ou s’agit-il d’une véritable opposition politique à Israël?
Il s’agit sans doute d’une haine des Juifs et d’Israël et non pas d’une prise de position politique. C’est tout à fait légitime et parfois justifié de critiquer la politique israélienne mais la comparaison avec les autres conflits dans la région ne laisse pas de place au doute. Si il s’agissait là d’une véritable identification avec les victimes des bombardements de Gaza, alors on pourrait s’étonner que la crise syrienne avec ses 160 000 victimes n’ait pas déchainé une telle mobilisation et de telles passions! Je crois que ces manifestations trahissent un besoin profond de se définir comme adversaire d’Israël et des Juifs.
En taxant d’antisémitisme toute critique d’Israël, certains membres de la communauté juive n’ont-ils pas eux-mêmes alimenté la concurrence victimaire?
Tout à fait et ils ont tort! C’est d’ailleurs ridicule car, comme en France, un très grand nombre des citoyens israéliens critiquent sévèrement la politique de leur gouvernement… Le débat est ouvert et devrait le rester aussi longtemps qu’on échange des arguments rationnels. Or hurler «Israël assassin» et dénoncer un «génocide» à Gaza ne tombent pas dans cette catégorie.
Le CRIF demande l’interdiction des manifestations: partagez-vous son point de vue?
En principe je suis contre l’interdiction des manifestations. En même temps l’expérience récente montre que, plus que d’autres catégories de manifestants, les pro-palestiniens posent un problème particulièrement grave d’ordre public et les autorités, j’en suis sûr, prennent cet élément en compte.
Au-delà du conflit israélo-palestinien, ces heurts révèlent-ils une explosion des communautarismes en France? Le phénomène est-il à rapprocher des débordements de certains supporters algériens après les matchs de leur équipe durant la Coupe du Monde?
En effet le communautarisme est en train de monter en France essentiellement parce que trop de Français pensent que la décolonisation n’est pas terminée et que la France leur est redevable. Trop de musulmans vivent dans un sentiment d’humiliation séculaire et le rêve d’une vengeance qui restaurera leur honneur. L’Islam radical, qui n’a pas grand-chose avoir avec les enseignements et la vie de Mohamed, ainsi que la haine d’Israël, des Juifs et, plus largement de l’Occident et des «croisés» en sont les expressions. De ce point de vue, la logique qui a guidé le choix des victimes de Mohamad Merah est plein d’enseignements: des militaires français «bourreaux» des «frères» et ensuite des enfants juifs, l’incarnation du mal. Il y a une suite dans ces idées folles et la haine des Juifs n’est que la partie émergée de l’iceberg.
En abandonnant le modèle républicain d’assimilation au profit d’un modèle qui se rapprocherait du multiculturalisme de type anglo-saxon, nos dirigeants ont-ils ouvert la boîte de pandore de la guerre des identités?
Malheureusement les forces en présence sont plus puissantes que nos élites politiques. Le monde entier est entré dans une phase «multi», portée par les échanges de plus en plus nombreux – voyage, internet -, l’homogénéité croissante de notre planète – partout les mêmes modes, les mêmes produits, les mêmes films, les mêmes magasins -, le rythme très rapide du changement et la précarisation galopante. Au milieu de ce tourbillon les valeurs républicaines traditionnelles ne font plus le poids surtout que l’Etat ne suit pas derrière avec les récompenses: croissance, emploi, sécurité, perspectives d’avenir. Notre civilisation est en crise et le modèle français n’y échappe pas. Dans ce contexte, quand l’avenir est plus une menace qu’une promesse, les appartenances jadis secondaires – religion, ethnie, communauté d’origine – remplissent le vide.
Source: lefigaro.fr