Ce dialogue, il doit d’abord être politique : sur l’Ukraine comme sur la Syrie. Dans ces deux pays, la situation demeure extrêmement troublée. Dans l’est de l’Ukraine, des affrontements sporadiques ont lieu, menaçant un cessez-le-feu fragile. En Syrie, l’opposition modérée se trouve prise au piège entre le régime de Bachar Al Assad, d’un côté, et les combattants de l’Etat islamique, de l’autre. Hantée par le souvenir de l’intervention libyenne, la Russie désapprouve notre positionnement en Syrie.
Mais nous devons, sur ces questions, repousser toute tentation manichéenne. Il n’y a pas d’un côté les « bons Européens » et de l’autre les « mauvais Russes ». En Ukraine, les tensions auraient sans doute pu être évitées, si dès le départ l’Union européenne avait tendu la main à la Russie, dans l’établissement de son Partenariat oriental. En Syrie, l’opposition est à ce point déstructurée et protéiforme que nous ne savons plus bien à qui nous apportons notre soutien. Dialoguons, reconnaissons mutuellement nos erreurs, mais de grâce, ne nous renfermons pas, l’un comme l’autre, sur soi !
Ce dialogue, il doit ensuite être économique. Dynamiser la croissance mondiale constitue sans aucun doute le second enjeu auquel l’Europe et la Russie doivent s’atteler. Plus grand voisin de l’Union européenne, la Russie est son troisième partenaire commercial. Ses réserves de pétrole et de gaz représentent 76 % des exportations russes vers l’Union européenne et 30 % de la consommation du Vieux Continent. Les responsables russes ont conscience de la nécessité de diversifier et de moderniser leur économie, très dépendante du secteur des hydrocarbures. De lourds investissements seront nécessaires pour réhabiliter les infrastructures de transport, notamment dans la perspective de la Coupe du monde de 2018. Les entreprises européennes ont une expertise reconnue dans ce secteur.
La densité des échanges économiques est, cependant, mise à mal aujourd’hui par les sanctions réciproques prises en raison du conflit ukrainien comme par la langueur de la croissance économique tant en Russie qu’en Europe. Alors que la croissance mondiale devrait atteindre 3,3 %, leurs croissances respectives ne devraient s’établir qu’à 0,2 % et 0,8 % pour 2014. La Russie et l’Europe se trouvent fragilisées.
Face à ces défis, il n’y a pas d’alternative au dialogue. Pour être utile, ce dialogue doit dépasser, comme le disait Mikhaïl Gorbatchev, les « stéréotypes obsolètes ». La Russie comme l’Europe veulent développer leur zone d’influence. C’est la vocation de tout grand pays et de tout projet politique ambitieux, comme l’Union européenne. D’un côté, l’Union eurasiatique, de l’autre l’Union européenne. A chacun de mes échanges avec des responsables russes, je percevais, encore il y a peu, la volonté des Russes d’inclure l’UE dans ce projet. Nous ne devons pas louper le coche dans le rapprochement de nos deux « blocs ». S’ils se construisent l’un contre l’autre, nous n’en avons pas fini de voir nos liens se distendre. Si, au contraire, nous acceptons le dialogue, si nous faisons des efforts pour relancer nos échanges par la coopération économique et commerciale, nous parviendrons sans doute à avancer sur le dialogue politique, nécessaire aujourd’hui à l’équilibre mondial.
Source : lesechos.fr