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 Jean-Rémi Girard

Présentation de tablettes pédagogiques à l'Elysée, en Septembre.

 Un professeur qui avait critiqué la politique numérique de l’Education Nationale a été contraint de fermer son blog. Pour Jean-Rémi Girard, les nouvelles technologies ne remplaceront jamais les savoirs fondamentaux.


Jean-Rémi Girard est Secrétaire national à la pédagogie du SNALC-FGAF.


Alors qu’un de mes collègues, pourtant croyant et pratiquant en la matière, s’est vu menacer d’une sanction pour avoir écrit un article de blog pointant du doigt l’«illusion technologique» au sein de notre institution, on en vient à se demander si, à l’Éducation nationale, on est encore capable d’esprit critique face à la question du numérique et de son utilisation.

Du TO7 à la tablette: c’est un peu le parcours du numérique dans les établissements scolaires. Un parcours aberrant, fou et… très, très coûteux. Au ministère, on ne compte plus les «plans numériques», pas davantage qu’on ne parvient à dénombrer les collectivités locales cherchant à tout prix (un prix souvent très élevé) à équiper tous leurs collégiens ou lycéens en ordinateurs portables, tablettes et autres artefacts. Et débrouillez-vous avez ça, mesdames et messieurs les professeurs: on veut voir ce matériel utilisé en classe! La réussite scolaire, la modernité et ma réélection en dépendent! Détail amusant: lors de certains de ces plans, on avait tout simplement oublié d’équiper lesdits professeurs du même matériel. Quant à ce qui est de les former, bizarrement, c’est le moment où l’on n’a plus d’argent.

Car la question du numérique dans le cadre scolaire est à la jonction de la pensée magique, de l’intérêt commercial et de l’effet d’annonce: on aura l’air «de son temps», on fera tourner l’économie, et ces merveilleux outils feront soudain disparaître l’échec scolaire, comme ça, d’un coup! Et, bien entendu, si vous ne mangez pas de ce pain-là, vous êtes un réac’, un fossile, un dinosaure, un inadapté, un frein à la marche triomphale du progrès. Dernier avatar en date: on veut enseigner le «code» aux élèves de primaire… Oui, on parle bien de ceux dont 20% ont des difficultés graves en français et 30% en mathématiques. Soupir.

Bien loin de cette fantastique utopie, la réalité fait mal: dans certains établissements, on interdit tout simplement aux élèves d’apporter leur bel ordinateur tout neuf, pour éviter la casse et le racket. La plupart des collègues, à qui l’on n’a de toute façon pas demandé leur avis sur le sujet, n’ont que faire de ce nouvel objet qui s’impose à eux. Pire: certains attendent depuis plusieurs années tel type de matériel bien spécifique, dont ils auraient réellement besoin, mais les voies du conseil général sont bien souvent impénétrables, dans ce cas. Il arrive même que les objets généreusement «prêtés» aux élèves se retrouvent mis par ces derniers sur tel ou tel site de vente en ligne: après tout, il n’y a pas de petit profit.

Je vais donc le dire clairement: la stratégie numérique éducative de l’État et des collectivités est délirante. On dépense des sommes gigantesques pour du matériel bientôt obsolète et dont on n’a pas besoin, voire dont on ne saura absolument pas quoi faire. Et, dans le même temps, on est parfaitement incapable d’assurer la maintenance du matériel utilisé à l’intérieur des établissements scolaires. Un professeur (volontaire contraint) se voit le plus souvent attribuer quelques chiches heures supplémentaires pour faire un travail, qui, dans le monde de l’entreprise, est assuré par un professionnel rémunéré uniquement pour cette mission. Nos salles informatiques sont des catastrophes, nos serveurs ne sont pas adaptés, nos imprimantes rendent l’âme avec la régularité d’un métronome, et tout le monde au lycée sait que le troisième PC en partant du fond est en panne, que le clavier du quatrième à droite ne fonctionne plus et que les écrans des postes 6 et 8 affichent un spectre de couleurs non-conventionnel.

La solution est pourtant simple: la demande doit partir des enseignants. Si un professeur de géographie a besoin d’un vidéoprojecteur ou d’un tableau interactif pour travailler sur des cartes, qu’on les lui installe, qu’on le forme sérieusement à leur utilisation et qu’on assure la maintenance. Ce n’est pas plus compliqué que ça, mais forcément, c’est moins séduisant question «communication». Il est temps que l’État se rende compte qu’il jette de l’argent par les fenêtres. En 1985 (déjà!), le plan «informatique pour tous» avait coûté 1,8 milliard de francs, pour une splendide absence de résultat. Veut-on vraiment que l’histoire se répète?

Source: lefigaro.fr