Étiquettes

,

  • Jean Tirole, président fondateur l'Ecole d'Economie Toulouse (TSE), prix Nobel d'économie 2014, juge développement l'école n’est terminé

    Jean Tirole, président et fondateur de l’Ecole d’Economie de Toulouse (TSE), prix Nobel d’économie 2014, juge que le développement de l’école n’est pas terminé – REA/Lydie Lecarpentier

Q : Quel peut être maintenant le développement de TSE ?

R : Il n’est pas terminé ! Une telle institution ne se construit pas en quelques années. Cela a pris vingt ou trente ans à Samuelson et ses collègues pour bâtir le MIT, et la London School of Economics (LSE) existe depuis plus d’un siècle. Nous n’en sommes pas là. Notre objectif est évidemment d’avoir une recherche toujours plus dynamique, et nous investissons beaucoup sur les jeunes. J’ai appris aux Etats-Unis qu’un très bon département d’économie est autant fait, sinon plus par des jeunes chercheurs de 30-40 ans que par des prix Nobel. J’aime toutefois autant la recherche qu’il y a 30 ans, et espère y revenir le plus vite possible… Pour ce qui concerne l’école, sa renommée allait croissant, même avant le Nobel ! Je pense que les jeunes qui privilégient aujourd’hui les grandes écoles vont comprendre qu’ils peuvent avoir à TSE accès à des chercheurs de très haut niveau.

Q : Quelles leçons de vos recherches avez-vous mises en pratique à TSE ?

R : Ce que j’ai appliqué à TSE après avoir travaillé sur ces sujets est d’abord le principe d’une gouvernance indépendante. Je suis tout à fait convaincu de l’efficacité de ce type de gouvernance, différente de ce qui existe habituellement en France, avec un conseil d’administration très externe, car on ne peut pas être juge et partie. Nous avons ainsi poussé l’idée de fondation à l’intérieur de l’université française. J’ai ensuite appris comment gérer les financements privés que nous recevons tout en restant indépendants. La question était : « Comment gérer ce problème d’asymétrie de l’information -lorsqu’on peut s’interroger sur le fait que nous pourrions faire preuve de complaisance vis-à-vis de notre partenaire? » Ma réponse est claire : tout simplement en ayant un accord clair dès le départ, et en publiant nos travaux dans des revues internationales, qui sont ainsi validés par nos pairs.

Q : Quels sont donc vos rapports avec les représentants de grands groupes privés partenaires, qui siègent au conseil d’administration de TSE, à égalité (cinq sièges et cinq sièges) avec vos partenaires académiques publics ?

R : Privés et publics, d’abord, ne se comportent pas différemment les uns des autres. Nos partenaires privés nous donnent des conseils -et parfois nous tapent sur les doigts…- à propos de la gestion et de la protection de la marque TSE, car c’est leur métier, leur expertise. Les grands groupes nous apportent en particulier une dimension intéressante : ils comprennent très bien les problématiques internationales, qui sont également notre « terrain ». Mais les entreprises n’interviennent jamais dans les questions scientifiques, ce n’est pas leur domaine. Ils ne sont pas compétents en la matière, et c’est à nous, et notre conseil scientifique, entièrement externe, de décider.

Q : TSE donnerait trop d’importance aux mathématiques et à la modélisation, selon les critiques qui lui sont faites …

R : Je dirai d’abord que notre approche est la même que dans toutes les grandes universités mondiales sur la technique quantitative, leurs programmes de doctorat sont similaires aux nôtres. C’est un fait que l’économie est plus quantitative qu’elle ne l’était autrefois, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas appliquée par ailleurs. Mes travaux le prouvent : je suis un théoricien pur et dur, mais ils débouchent sur de nombreuses applications en matière de politiques publiques. La deuxième chose, c’est qu’existe au sein de TSE l’IAST, l’Institute for Advanced Studies in Toulouse, qui marque une ouverture pluridisciplinaire très intéressante avec un travail vers les autres sciences sociales, sur l’histoire, la science politique, le droit, la sociologie, la psychologie, la biologie. Tous les étudiants et chercheurs de TSE ont accès aux travaux qui y sont fait. Cela reflète une évolution de l’économie au cours des dix-quinze dernières années vers les sciences sociales, elle utilise leurs acquis, alors qu’elle était encore un peu fermée sur elle-même il y a 30 ans. L’IAST est une start-up, et le monde entier est en train de regarder ce qui s’y passe, mais nous utilisons également les compétences d’autres universités de Toulouse dans ce domaine. Au fond, les sciences sociales m’ont toujours intéressé, et j’ai écrit des papiers aux confins de la sociologie ou de la science politique.

source : http://www.lesechos.fr/