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Par Benoît Vitkine
L’est de l’Ukraine a connu ce week-end les combats les plus violents depuis plus de deux mois et la signature, le 5 septembre à Minsk, d’un cessez-le-feu qui n’a été que partiellement respecté. Les abords de la ville de Donetsk, singulièrement, ont été le théâtre d’intenses échanges de tirs, au canon, au mortier et à l’arme automatique. Des combats ont aussi eu lieu en plusieurs autres points des régions de Donetsk et de Louhansk. Cette recrudescence des violences intervient une semaine après l’élection organisée par les dirigeants des « Républiques populaires » de Donetsk et de Louhansk. Les deux vainqueurs de ce scrutin organisé en l’absence d’observateurs sérieux sont des chefs de guerre, qui n’ont jamais caché leur intention de reprendre rapidement le combat.
Elle intervient surtout au moment où les rebelles reçoivent des renforts massifs. Depuis une semaine, des convois militaires sont signalés sur les routes du Donbass. Au total, des dizaines de camions, chars et pièces d’artillerie sont arrivées à Donetsk et Louhansk. Kiev assure que ces colonnes viennent de la Russie, qui était intervenue directement dans le conflit à l’été, quand les séparatistes étaient en passe de perdre militairement. L’UE a appuyé ces déclarations, pendant que l’OSCE se contente de recenser les arrivées.
L’aspect de ces véhicules le laisse aussi penser : chaque fois, il s’agit de camions tous identiques, circulant sans plaque d’immatriculation en colonnes impeccables, certains tirant des canons très proprement emballés. Le 2 novembre, Le Monde avait vu deux de ces convois à une trentaine de kilomètres de la frontière russe.
Comme souvent par le passé, ce net regain de tensions intervient alors que la Russie s’emploie, si ce n’est à donner des gages, au moins à tenter de rassurer ses partenaires étrangers sur ses bonnes intentions. Samedi, après avoir rencontré son homologue américain John Kerry à Pékin, le ministre des affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, a estimé qu’une implication des Etats-Unis dans un règlement du conflit serait « un pas dans la bonne direction ». Vendredi, le Kremlin s’était aussi livré à un délicat exercice sémantique, expliquant qu’il ne « reconnaissait » pas le scrutin du 2 novembre, mais le « respectait ».
Homme de compromis
Moscou, en grande difficulté économique, n’espère sans doute pas obtenir de concessions de la part des Occidentaux. Mais plusieurs rencontres importantes se profilent dans les jours à venir pour Vladimir Poutine, qui doit rallier Pékin, lundi, avant la tenue d’un G20 en Australie, les 15 et 16 novembre. Avant chacune de ses précédentes entrevues avec ses partenaires occidentaux, le président russe s’était efforcé d’apparaître en homme de compromis.
Plus encore que la recrudescence des combats, la tenue de ces élections séparatistes a porté un coup fatal aux accords de Minsk, qui prévoyaient l’organisation d’un scrutin local en coopération avec Kiev. Cette semaine, le président ukrainien, Petro Porochenko, a qualifié le processus de « mort-vivant ». Son gouvernement a annoncé la suspension de toute aide financière au Donbass, gelant 2,6 milliards d’euros de salaires, retraites et aides diverses.
Kiev se dit préparé à une reprise des hostilités de grande envergure. Mais les combats de ces derniers jours, ainsi que l’arrivée massive de renforts, ont sans doute pris de court l’état-major ukrainien. Fin octobre, une source haut placée au sein des services de sécurité confiait s’attendre à une reprise de la guerre seulement au printemps.
Marioupol, un port vital
Surtout, le camp ukrainien est dans le flou quant aux intentions des insurgés et de leur parrain russe. S’agit-il de tenter de reconquérir certains des territoires perdus au cours de l’été ? Rien ne l’indique, même si les renforts signalés sont massifs au regard du nombre limité de points où se livre actuellement le conflit.
Plus probablement, il s’agit de faire des « ajustements » au territoire contrôlé par les prorusses. A cet égard, les propos de Sergueï Lavrov, samedi, pourraient être révélateurs : afin de « contrôler les conditions de la trêve », le ministre russe a estimé qu’il était nécessaire de « finaliser la ligne de désengagement ». Les discussions de Minsk, elles, prenaient pour base la ligne de front telle qu’elle était début septembre.
A l’heure où les séparatistes ambitionnent d’installer dans la durée un véritable Etat, la géographie économique joue autant que les simples ambitions militaires. Marioupol est un port vital pour exporter la production industrielle de la région ; Chtchastia abrite une centrale électrique importante pour la région de Louhansk. Les deux sont des cibles affichées des séparatistes et des zones où les combats n’ont jamais cessé.
L’aéroport de Donetsk, dans le nord de la ville, reste le principal point d’abcès. L’infrastructure ultramoderne en a été intégralement démolie, mais la persistance de cette position avancée de l’armée ukrainienne est difficile à accepter pour les rebelles. Là se joue une bataille extrêmement violente, que le cessez-le-feu de Minsk n’a jamais stoppé. Les deux camps s’y bombardent à l’arme lourde, faisant planer une menace permanente sur les quartiers d’habitation alentour, mais ils s’affrontent aussi à l’intérieur même des terminaux en ruine, parfois séparés par une simple cloison.
Un autre aspect n’est pas à négliger. Si les élections du 2 novembre avaient pour objectif de légitimer et renforcer les « pouvoirs centraux » que constituent Donetsk et Louhansk, un certain nombre de chefs militaires locaux continuent à agir hors de tout contrôle. L’envoi de renforts aux « poulains » choisis par Moscou est un moyen bien plus efficace de leur permettre d’asseoir leur pouvoir. Depuis une semaine, le plus puissant de ces commandants, le maître de Horlivka, Igor Bezler, n’a pas donné signe de vie.