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Monnaie courante, en effet, tout au long de l’histoire, ces complots, trahisons, traquenards ourdis avec soin. Bien banals aussi les ratages, les secrets éventés, les retournements de situation. Certes, la politique française évoque aujourd’hui les séries américaines les plus glauques. Elle fait songer à « House of Cards », quand ce n’est pas à « 24 Heures chrono », « Black-list » ou même « Games of Thrones ». Malgré tout, impossible de croire ces miasmes récents, ces turpitudes nouvelles : c’est tout le contraire !

Partout, dans l’histoire, semblables haines pullulent dans les antichambres du pouvoir. De siècle en siècle, se retrouvent les mêmes intrigues, les mêmes déchirements, les mêmes destructions. D’innombrables récits détaillent ces vilenies à répétition, à tel point que « O tempora ! O mores ! » pourrait bien être un cri sans âge. Des « Atride » au « Comte de Monte Cristo », en passant par « Othello » et « Macbeth », la littérature ne cesse de bruire de vengeances politiques passionnées. Il n’y a que l’embarras du choix ! Relire Sophocle, pour le destin tragique des rois de Mycènes. Se souvenir de Cicéron et Catilina, de César et Brutus, pour les violences de la République romaine. S’immerger dans Suétone et les meurtres des douze césars pour entrevoir les coulisses de l’Empire. Se plonger dans Shakespeare ou Machiavel pour connaître les règlements de comptes sanglants de la Renaissance. Sans oublier, entre autres, les raffinements sans fin des Vikings, des califes, des empereurs de Chine…

Il est donc facile de constater combien la tuerie, en politique, est sans doute la chose du monde la mieux partagée. Les meilleurs amis sont farouches rivaux, prêts à s’éliminer en se serrant la main. L’imprévu, également, est partout présent : le plan le mieux calculé se grippe pour un grain de sable, une parole de trop, un vent qui tourne… Car les puissants sont comme tout le monde : intelligents mais aussi naïfs, calculateurs et cependant aveugles, rusés quoique candides – aujourd’hui comme hier. Doit-on conclure qu’il n’y a, décidément, rien de nouveau sous le soleil ? Non. D’abord parce que presque tous les mortels combats du passé concernaient des monarques, des tyrans, des dictateurs – des hommes de pouvoir absolu, confondant leur vie personnelle et leur règne politique.

Dans une république, un régime démocratique, il en va tout autrement. Les gouvernants passent, les institutions restent. Le pouvoir ne se confond pas avec les individus. Il est leur délégué, temporairement, par le peuple souverain. Ce pouvoir transféré est partiel, et non absolu. Si les rivalités entre prétendants sont toujours intenses, violentes, impitoyables même, elles n’en sont pas moins limitées. Leurs enjeux sont par là même plus restreints qu’au temps où tyrans et despotes gouvernaient sans partage. D’autre part, et ce n’est pas une mince différence, les assassinats sont désormais symboliques – la plupart du temps.

Il existe encore, il est vrai, quelques disparitions mal expliquées, accidents énigmatiques, empoisonnements fortuits mais étranges… Quand même, ce n’est plus le tout-venant ! Les formules tranchantes ont remplacé les vrais sabres. Les piques sont verbales, les meurtres, virtuels. Les perdants peuvent, certes, se retrouver vraiment détruits et saccagés, mais ils ne sont pas physiquement morts. Nos moeurs, de ce point de vue, se sont globalement adoucies. Personne ne dissimule de vrai poignard sous ses vêtements, l’hémoglobine ne dégouline pas sur les marches du palais. Toutefois, clamer que nous avons par là même accompli, depuis les temps antiques, de grands progrès dans la civilisation, de vrais bonds en avant en matière d’humanité, d’éthique, de civisme – voilà qui serait très exagéré