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Pa M. VICTOR ADVIELLE,

A l’origine, Bagneux a dû être le centre d’un immense fief, aux limites restées incertaines, mais qui, à n’en point douter, comprenait dans son étendue, comme principaux villages, Châtenay, avec ses démembrements de Sceaux et Aulnay, Fontenay-aux-Roses, Châtillon et peut-être Bourg-la-Reine. Dans tous les cas, Sceaux, comme paroisse, ne date que du temps de la féodalité.

A cette époque, l’accroissement de la population, la multiplicité des clercs, et un peu aussi sans doute les difficultés d’accès l’hiver avec Châtenay, dont il était un des hameaux ou écarts, aura déterminé l’autorité religieuse à y établir non une église, l’importance du lieu ne la comportait certainement pas, mais une simple chapelle succursale, pour les besoins du culte, administrée probablement par un vicaire ou par le curé de Châtenay.

Sceaux éclot en tout cas sous des influences diverses, peut-être absolument étrangères à celles que nous supposons, sous le même sentiment qui, au XIIe siècle, provoqua l’émancipation des communes. C’est au souffle vivifiant de cette émancipation, qui rappelle, par certains côtés, notre 89, que ses habitants secouent leurs vieux habits de serfs et réclament pour eux aussi des libertés locales. Le clergé catholique, dont l’influence civilisatrice, surtout dans cette région, a été considérable, il faut bien le reconnaître, avait groupé autour de lui les déshérités que répudiait le monde païen; et de ces déshérités il sut faire des hommes qui sont devenus la grande nation française.

L’Église, avec son culte et ses cérémonies extérieures, fut, sur notre territoire, la première et la plus vigoureuse incarnation du bien, la première protestation énergique des honnêtes gens contre les mœurs dépravées et les usages dégradants du passé.

A la fin du VIe siècle, le clergé était devenu le principal possesseur du territoire, à ce point que Chilpéric, mort en 584, se plaignait et de la pauvreté de son fisc et de l’enlèvement de ses domaines par les églises. Sous Charles-Martel, le clergé fut dépouillé d’une grande partie de ses biens; mais son influence était telle qu’il trouva moyen de les reprendre peu à peu, de sorte que dès la fin du VIIIe siècle et au commencement du IXe, il était redevenu possesseur de biens immenses. Déjà, sous Charlemagne, on affirmait qu’en réalité, par des reprises successives, il avait plus gagné que perdu. Ajoutons, au surplus, en historien véridique, qu’alors de toutes parts, c’étaient usurpations et violences, et qu’au moins le clergé sut faire toujours de ses richesses un emploi conforme aux intérêts du peuple dont il s’était constitué, et dont il fut, plus que tout autre, le véritable protecteur. En ce temps-là, dit Guérard , hors de l’Église, « tous les devoirs et tous les droits de l’homme étaient à peu près méconnus. »

Si, comme tout semble l’établir, l’église Notre-Dame de Paris se trouvait classée dans la première des catégories d’églises établies par le concile d’Aix-la-Chapelle de 816, il faudrait évaluer ses possessions, dès cette époque, à au moins 70,000 hectares, et ses revenus à au moins 800,000 francs de notre monnaie.

C’est dire que tout notre immense territoire a dû appartenir pendant longtemps, en grande partie au moins, à deux établissements religieux, que nous apercevons dans la contrée, à l’origine de la monarchie : Saint-Germain des Prés, Notre-Dame de Paris.

Voici, au reste, d’après les documents les plus authentiques, les principales terres comprises dans une faible distance du Sceaux moderne, que l’église Notre-Dame a possédées dès ces temps reculés : Montrouge, Gentilly, Ivry, Vitry, Bagneux, Clamart, Plessis-Piquet, L’Hay, Chevilly, Fresnes-les-Rungis, Châtenay, Rungis, Orly, Palaiseau, Limours, etc.

Les évêques de Paris eurent longtemps à peu près la libre disposition des revenus de leur diocèse; en 829, à la sollicitation des chanoines, l’évêque Inchard fit un premier partage des biens de l’église et en attribua une partie à la mense épiscopale, et l’autre partie à la mense capitulaire. Évêque et chanoines avaient ainsi leurs biens et leurs revenus propres. Nous voyons par un document officiel contemporain, que dans la part faite aux chanoines se trouvaient les terres de Châtenay, Bagneux et L’Hay, avec toutes leurs dépendances, dit le texte. Par ce même acte, Inchard dévolut intégralement à l’hôpital Saint-Christophe, depuis l’Hôtel-Dieu, la dîme de la partie seigneuriale des dites terres. La part des pauvres, déjà fixée précédemment par des capitulaires, se trouvait donc, on le voit, assurée de nouveau, et d’une façon certaine, par un acte absolument solennel, puisqu’il était revêtu de la signature de plusieurs archevêques et évêques assistants.

Jusqu’ici Sceaux n’existe qu’à l’état d’embryon; il forme toujours un simple écart du territoire étendu de Châtenay, et nul ne pense encore à l’en distraire.

Son nom lui viendrait, d’après la plupart des historiens, de Celloe, réunion de cabanes de vignerons; et tout indique que cette étymologie est la seule qui puisse être acceptée. De nombreux titres, fort anciens, constatent, en effet, que notre territoire, jusqu’à Bagneux (terre royale étendue, en 1061 appelée Banniolis), Fontenay, Châtillon, Clamart, etc., était planté en vignes.

Voici, à cet égard, l’opinion toujours très précieuse de l’abbé Lebeuf : « Il est constant, dit-il, par tous les titres les plus anciens qui soient restés touchant ce lieu, que le nom latin est Celloe, nominatif pluriel. On trouvera bon que j’en fasse d’abord le détail, parce qu’ils serviront en même temps à faire connaître depuis quel siècle il est parlé de ce village. Aucun ne remonte au delà du XIIe siècle.

« Le premier, qui est au plus tard d’environ le commencement du règne de Philippe-Auguste, est un simple don qu’une nommée Adélaïde, femme de Manasse, fait aux moines de Longpont-sous-Montlhéry, d’un arpent de vigne situé in clausulo suo apud Cellas . Les suivans sont du XIIIe siècle. Par l’un, le Chapitre de Paris achetant des terres proche Bourg-la-Reine, marque qu’elles sont situées inter viam de Cellis et fontem de Blagiis. Par l’autre, le même Chapitre déclare qu’il a une grange à Ceaux, et que Pierre de Quennes, chevalier, et autres, ont quitté pour certain prix les redevances qu’ils pouvaient y prendre, in grangia nostra de Cellis. Par un troisième acte, Jean de Bercencourt, chanoine, donna à l’église de Paris, une pièce de vigne in territorio de Cellis, loco qui dicitur: entre deux voës, conliguam vineoe Decani de Castaneto. Ces titres irréprochables se trouvent appuyés d’un autre acte de l’an 1221, dont l’écrivain du notaire ne sachant pas le mot latin de Ceaux, l’a écrit comme on l’écrivait alors en françois. Par ce dernier acte, Gautier, abbé de Saint-Germain des Prez, notifie un accord touchant des terres que Guillelmus de Burgo Reginoe et alii tenebant versus Ciaux et apud sernitam de Castaneto et de Antoniaco. On voit par là combien les notaires ou actuaires de ces temps reculés étaient loignés de croire que le nom du village en question vint du mot latin Sigilla ou de celui de Salices, ou du mot Situli, car quelques modernes ont aussi mis de Situlis. Ils étaient à portée plus que nous de connaître la manière d’écrire de ceux qui les avaient précédés, et quelques-uns d’entre eux pouvaient ne pas ignorer que s’étant formé un Bourg sur la grande route d’Étampes et d’Orléans, au bas de la côte, à main droite, les maisons qui furent répandues dans le dessus et parmi les vignes, durent naturellement ressembler aux cabanes des vignerons et être appelées Celloe. De ce mot on fit d’abord Ceels en langue vulgaire, ensuite Ceals, et enfin Ceauls ou Ceaux ; de même que de Sacra Cella, abbaye de Cisterciens entre Nemours et Montargis, on a fait Saircreceaux, qu’on prononce maintenant Sercanceaux. Je ne regarde comme d’aucun poids, pour l’orthographe du nom du Village dont il s’agit, la manière de l’écrire des gens du Barreau, parce que souvent ils ont pu se mouler sur d’autres mots usités parmi eux, tels que sont ceux de Scel et Sceaux, qui leur sont familiers, et que je ne crois pas qu’ils se piquent d’être de grands étymologistes. Il s’était glissé dans le Bréviaire de Paris au 17 août le mot de Salices en parlant de ce Village. On m’a averti qu’il vient d’être changé dans la dernière édition in-8, en celui de Sigilla, qui est encore pis, puisque c’est un mot latin fait sur le nom français altéré.

J’aurois bien souhaité pouvoir me servir pour le mot Celloe de l’autorité du pouillé de Paris du XIIIe siècle, mais ce lieu n’y est nullement spécifié, ce qui prouve en passant que lorsqu’il a été écrit, Ceaux n’était pas encore une Cure, et que les maisons qui y étaient répandues faisaient partie de la paroisse de Châtenay. Au reste, cette Cure est nommée de Cellis dans le Pouillé latin du XVe et du XVIe siècle, et dans celui de l’an 1626, comme aussi dans le Catalogue latin manuscrit des Bénéfices dépendant de Notre-Dame de Paris. »

Pour mieux préciser la question, j’ai fait, d’après les titres anciens et les documents les plus dignes de foi, le relevé suivant, qui indique de quelle façon on écrivait le nom de cette localité, à diverses époques.

1221. — Ciaux.
1250. — (vers). — de Cellis.
1349. — Ad Ecclesiam de Ceaux.
1359. — de Seauls.
1370. — Ad Parrochialem Ecclesiam de Cellis.
1399. — Vacat Eccl. Paroch. de Seaux.
1435.1478. — Curam de Seaulx.
1465. — Seaulx
1480. — Seaulx. — Obituaire.
1494. — de Sellis.
1499. — Seaulx. — Acte aux Archives Nationales.
1517. — de Cellis.
1532. — Seaulx.
1538. — Ad Parochialem Ecclesiam Sancti Joannis Baptistæ
de Cellis.
1546. — de Cellis, seu de Sugillis. — Suivant Ducange, Sugillatio est synonyme de Sigillatio. Sugillum était donc synonyme de Sigillum : cachet, sceau. Mais c’est une étymologie peu vraisemblable.
1548. — Ceaux.
1551. — Seaulx. — Acte aux Archives Nationalés
1554. — de Cellis, seu Situcis. — Situcis est mis ici, très probablement, pour Situlis, comme en 1623. D’après Ducange, Situla désignait une mesure de capacité pour les liquides, qui s’est depuis appelée en vieux français: seillié, scellée, seigle, seau, seillette.
1560. — Seaulx.
1590. — Ceaulx.
1605. — de Cellis, vulgo de Ceaulx
1607. — de Cellis (de Ceaulx).
1609. — Sceaux. — Titre des Actes de Catholicité.
1613. — de Scellis, alias de Sceaux. —Registre de Catholicité, au 13 juillet. Mention manuscrite, en latin, d’inscription des baptêmes en cet endroit, par le curé Pipelart.
1620. — Seaux. — Titre du Mortuaire. — Actes de Catholicité.
1623. — de Selis. — Acte de décès, en latin, du curé Wallerand.
1623. — de Situlis, vulgo de Seaulx, alias de Cellis.
1627. — de Situlis, alias de Cellis, vulgo de Ceaux.
1627. — de Sellis. — Acte de décès, en latin, du curé Maupin.
1628. — Seaulx. — Pierre d’érection de la confrérie du Rosaire.
1631. — Seaulx. —Actes de Catholicité.
1632. — Ceaux.
1635. — Ceaux et Sceaulx. — Dans le texte d’un même acte du 10 août.
1637. — Seaux. — Acte notarié 1.
1637. — Sceaulx. —Dans le corps d’un Acte de Baptême.
1638. — de Situlis, seu Salicibus, alias de Seaux (et Seaulx). — Cette désignation de Salicibus, impliquerait une étymologie identique à celle de Saulx-les-Chartreux.
1638. — Seaulx. — Titre des Actes de Catholicité.
1647. — Seaulx. — Actes de Catholicité.
1649. — Seaux. — Mazarinade.
1652. — Sceaux. — Testament.
1654. — Sceaulx. — Titre des Actes de Mariage.
1654. — Sceaux. — Acte de Catholicité.
1662. — Seaux.
1663. — Sceau.
1665. — 1666. — Sceaux. — Actes de baptême.
1669. — Seaulx.
1669. — Sceaux. — Titre du 3e registre des Actes de Catholicité. — Époque correspondant à l’arrivée de Colbert dans le pays.
1670. — Seaulx.
1674. — Sceaux. — Sur la couverture en parchemin du 4eregistre des Actes de Catholicité. — Ceaux sur la feuille du titre.
1676. — Seaux. — Description de la chapelle.
1678. — Sceaux. — Titre du 5° registre des Actes de Catholicité.
1680. — Seaux. — Poème de Quinault.
1686. — Sceaux. — Titre du 6° registre des Actes de Catholicité. — Seau, dans les titres de plusieurs registres postérieurs; mais les entêtes de ces registres annuels étant écrits par les commis du lieutenant-général civil et criminel
du siège royal de Limours ne présentent aucun intérêt étymologique.
1687. — de Salicis, vulgo Seaux.
1688. — Sceaux.
1689. — Seaulx. { Actes notariés relatifs à Seignelay.
1701. — Sceaux.
1702. — Seaulx. — Bail de la fabrique. Acte notarié. Le copiste a dû répéter ici l’orthographe des Actes précédents.
1708. — Seaux. — CORNEILLE. Dictionnaire universel géographique.
1711. — Sceaux.
1716. — de Celis (gallice de Sceaux).
1721. — Sceaux.
1730-46. — Sceaux. — Actes notariés.
1730-48. — Seaux. — Actes notariés.
1737-47. — Seaux. — Actes notariés et actes officiels des diverses autorités du pays.
1741. — Seaux. — LA MARTINIÈRE. Grand dictionnaire historique.
1749. — Sceaux. — Notes d’un curé du temps.
1758. — Ceaux, ou comme l’écrivent les modernes, Sceaux. —LEBEUF. Histoire du diocèse de Paris.
1759. — Seaux ou Ceau. — Description de la Généralité de Paris.
1761. — Sceaux. — Dictionnaire de Trévoux.
1765. — Sceaux, Seaux ou Saulx, Salix. — Piganiol de la Force.
1770. — Sceaux. — EXPILLY. Dict. géographique
1782. — Sceaux. — Atlas du duc de Penthièvre.

Je n’indique que pour mémoire les appellations modernes de cette localité : Sceaux-du-Maine, sous le duc du Maine; Sceaux-Penthièvre, sous le duc de Penthièvre; Sceaux-l’Unité, sous la première révolution. Aujourd’hui, Sceaux tout court.

J’ajoute enfin, parce que je ne l’ai trouvé que dans cet auteur, que Delort ( Voyages aux environs de Paris, Paris, 1821, 2 vol. in-8) prétend (tom. I, pag. 66, en note) que « ce ne fut qu’à l’époque où le grand Colbert fit bâtir le château que l’on écrivit Sceaux, comme garde des sceaux. »

Les gens du protocole qui, ainsi que le fait remarquer judicieusement l’abbé Lebeuf, n’étaient point étymologistes, ont bien pu, en effet, être entraînés par

l’usage de leurs bureaux, et écrire plus souvent Sceaux que Ceaux; mais, pourtant, dans les actes de cette époque, ce nom continue à être diversement orthographié. La vérité est que l’étymologie de ce nom prêtant à interprétation,
en rend la traduction difficile; et pour faire adopter la forme actuelle, il a fallu le développement de l’instruction, à tous ses degrés, et des habitudes d’’administration plus rigoureuses qu’autrefois.

On voit par ce qui précède, que la manière d’écrire le nom du pays, soit en latin, soit en français, a subi de nombreuses variantes. Le plus souvent, les différences sont uniquement dans l’orthographe. Quelquefois, le changement porte sur l’étymologie. Mais la forme qui domine entre toutes est celle de Cellis; les autres variantes sont laissées ou reprises successivement, ce qui prouve que ces différences tiennent uniquement à l’ignorance ou à la négligence des copistes. En ces temps-là, au reste, comme on en a de nombreux exemples, pour les noms de famille, notamment, on attachait peu d’importance à l’orthographe des mots. Ainsi, en 1687, nous trouvons : De Salicis, vulgo Seaux;— en 1638, ce qui est plus décisif: De Situlis, seu Salicibus, alias de Seaux; — puis en 1627 : De Situlis, alias de Cellis, vulgo de Ceaux.

Constatons au surplus, avec Freund (Grand Dictionnaire de la langue latine. Paris, 1855, tome Ier, p. 455, au mot Cella, æ.), que d’après Varron, l’étymologie du mot est incertaine. Il doit signifier: l’endroit où l’on serre, où l’on conserve quelque chose; la traduction varie selon l’adjectif qui y est joint: cellier, garde-manger, chambre, office, grenier, magasin, fruitier, etc. Dans ses diverses acceptions, il indique : Une pièce destinée à la conservation des fruits ou au séjour des animaux de basse-cour ; un endroit où l’on serre l’huile, le vin, les provisions; un cellier où l’on met le vin. Cette dernière désignation, qu’on retrouve dans Virgile (Georg., 2, 96), me paraît, à en juger par quelques textes du cartulaire de Notre-Dame, absolument applicable au Sceaux ancien. C’était selon moi, un cellier pour les vins des environs, une remise pour les vins du côteau. Je sais que l’on peut dire aussi, avec l’opinion vulgaire, que ce mot s’applique tout aussi bien métaphoriquement, à de petites habitations, à des cabanes, ou même à des chambres de domestiques et d’esclaves. Enfin, abandonnant l’étymologie la plus généralement acceptée, je constate que dans les auteurs latins (Vitruve, Pline, Petrone, etc.), ce mot signifie encore : partie du temple où se trouvait la statue du dieu; sanctuaire, chapelle, niche, cabinet de bain; et même: cellule, loge d’une prostituée.

Or, j’indiquais précisément en commençant, que le côteau de Sceaux doit recéler des substructions des époques les plus éloignées; ces citations des auteurs latins me confirment dans la croyance que là, près, où même sur l’emplacement de l’église actuelle (car presque partout, Notre-Dame, pour ne citer qu’un exemple, en est une preuve concluante, les églises ont pris la place des temples d’idoles), devait exister à l’époque gauloise, un temple érigé par les druides à quelque divinité topique. Donc, après avoir été le centre d’un pèlerinage païen,
Sceaux ancien a bien pu, sans changer de nom, devenir, dans des temps plus modernes, et rester, comme l’ont cru les historiens de ces derniers siècles, un simple cellier pour les vins ou une réunion de cabanes.

On n’a peut-être pas suffisamment observé que, presque partout, le domaine public s’est perpétué avec une rare persistance à travers les siècles, soit qu’il s’agisse du domaine royal ou du domaine ecclésiastique. De sorte que, rien que par l’étude et la configuration des lieux, et l’habitude des étymologies, qui, quoi qu’on en pense généralement, renferment de fort précieuses indications pour les temps primitifs, on peut encore souvent aujourd’hui, reconstituer, au moins en partie, les grands fiefs et les grandes divisions territoriales d’autrefois. Pour l’observateur qui a étudié l’histoire, non dans les livres, mais dans les textes originaux, tout semble moulé dans une commune origine, et se perpétuer avec une régularité telle qu’il semble que, malgré tout ce qui pouvait l’anéantir, l’ordre subsiste fatalement au milieu des cataclysmes, presque périodiques, et des désordres publics et privés de tout genre. C’est que chaque génération apporte avec elle les mêmes besoins, les mêmes aspirations que sa devancière; et qu’en définitive, si le cadran change par suite de l’instabilité des idées et de la lutte constante des intérêts, les rouages, qui sont la chose essentielle, partout et en tous temps, subsistent toujours et quand même.

Donc, les Gaulois, au contact d’autres peuples, abandonnèrent sans doute leurs croyances vieillies, surannées, et que le monde moderne repoussait; mais, en définitive, plus que d’autres peuples, ils restèrent fidèles à un culte d’adoration; et si, par suite de l’adoucissement de leurs mœurs, ils renversèrent un jour eux-mêmes les simulacres, pour nous servir des expressions des anciens, qu’ils avaient creusés dans des troncs d’arbres, à leurs idoles ridicules, ce fut pour se rattacher, avec la ferveur de néophytes, à un culte nouveau, plus pur, plus attrayant, plus consolant, tant l’homme a besoin, dans les dures épreuves de la vie, de chercher des espérances loin des siens et des choses terrestres. Comme conséquence, les biens des druides passèrent naturellement et sans transition aux clercs chrétiens; et comme ceux-ci prenaient à tâche d’effacer les moindres traces du culte païen, ils s’efforçaient d’en faire disparaître jusqu’aux objets extérieurs, en les enfouissant, ou en les faisant servir souvent de substruction au nouvel édifice élevé par eux à la gloire du vrai Dieu.

Partout donc où nous voyons aujourd’hui une église catholique, datant des premiers siècles, nous pouvons, presque avec certitude, affirmer que là ou près de là se trouvait un temple païen. Ce doit être le cas, selon moi, pour Sceaux. L’église actuelle a succédé à une chapelle de moindre importance, dont l’existence est certaine pour la fin du XIIe siècle, et qui avait elle-même, très probablement, pris la place, dans un rayon voisin, de quelque terrain domanial consacré au culte des idoles gauloises.

On sait à n’en pas douter, que les Parisii adoraient Isis, la grande déesse des Égyptiens; son principal temple était sur l’emplacement de ce qui fut par la suite, l’abbaye de Saint-Germain des Prés1 ; et ainsi se prouve, pour un point principal, la doctrine que j’ai établie plus haut que presque partout, depuis les Gaulois, le domaine public est resté immuable, c’est-à-dire qu’il n’a fait que changer de forme, de noms. On sait aussi que les empereurs romains renversèrent les autels consacrés à la religion des druides, et incendièrent les forêts où ils se réunissaient pour la célébration de leurs mystères, trop souvent sanguinaires. Les traces de ce culte sont donc difficiles à retrouver, au moins dans notre région; et il est présumable, dès lors, que quand saint Germain sollicita Childebert de faire construire l’église Sainte-Croix et Saint- Vincent, qui a donné naissance à la célèbre abbaye, le terrain choisi pour cette destination avait lui-même été totalement ravagé par le feu. Pourtant les idoles, objets de la vénération des populations, durent être sauvées, au moins pour la plupart, de la destruction, comme semblent l’indiquer tant de textes anciens non contestés. Ainsi, on sait encore qu’en 1514, le cardinal Briçonnet, abbé de Saint-Germain des Prés, fit détruire une idole conservée dans l’église de cette abbaye, que les femmes allaient toujours invoquer, et qu’on disait représenter Isis. Ces idoles et celles d’autres dieux de la Gaule, ont dû même, pour des motifs divers, être recueillies par le clergé catholique, en témoignage de la victoire, assurément très grande, qu’il remportait sur le monde païen; et c’est ainsi qu’on expliquerait leur présence dans les églises ou les puissantes abbayes. Il y a plusieurs siècles, on montrait dans l’église Saint-Étienne de Lyon, une idole d’origine gauloise; nous en avons vu nous-même de curieux échantillons à Rodez, dans une niche extérieure de la vieille basilique de cette ville, et à Anvers, au fronton de la porte d’entrée d’un ancien couvent de Jésuites. Dans la banlieue de Paris, ces idoles ont dû être enfouies à l’approche des envahisseurs, et la pioche du travailleur ou le soc inconscient de la charrue, en ramènera sans doute, un jour, quelques-unes
à la surface du sol.

Quant aux fiefs, nobles ou non nobles, et lieux-dits de ces temps anciens, ils se retrouvent presque tous à n’en pas douter aussi, dans les noms ci-après que nous relevons sur le bel Atlas de la baronnie de Sceaux, que le duc de Penthièvre avait fait dresser, en 1782, par Cicile, son arpenteur en titre, et qui se compose de 6 plans, lavés, coloriés et ornés de dessins, ainsi décrits :

PLAN I, comprend le village de Sceaux et les Champtiers de la Ruelle, des Gravis, du Pommeret, des Imbergères, des Glaises et de la Chrétienté.

PLANII, comprend les Champtiers des Torques, des Heutins, des Milans, de la Rochelle, des Sablons, des Grands-Noyers, de la Matrelle, du Chesnot, de Derrière la-Tour, des Quatre-Voies et d’Aulneau.

PLANIII, comprend les Champtiers de la Grande-Voie, du Clos-Saint-Marcel et des Champs-Girard.

PLAN IV, comprend les Champtiers sous le Coudrai,du Coudrai haut et bas, du Muset, de Derrière la Ménagerie, du Trou-Camus et de la Voie de Bagneux.
PLAN V, comprend les Champtiers de Filmain et des Blagis.

PLAN VI, comprend les Champtiers des Deux-Ormes, de la Plante-Paulmier et le Marché-de-Sceaux.

Suivant le concile d’Aix-la-Chapelle de 816, les moindres églises des campagnes devaient posséder au moins un manse (dix-hectares un tiers en moyenne, dans la banlieue de Paris) de terre, représentant environ un revenu foncier de 141 francs (monnaie actuelle).

Il suffisait donc, pour une agglomération d’habitants, de faire quelques sacrifices, pour obtenir une chapelle ou église.

L’acte le plus ancien constatant l’existence de Sceaux à titre de paroisse, date de 1203; c’est du moins le seul que l’on connaisse. Il est probable que des recherches étendues aux archives nationales, amèneraient la découverte de documents antérieurs à cette date, à propos d’acquisitions, de ventes ou de partages de terres; mais en définitive, ils seraient peu intéressants pour la question d’origine du lieu.

Voici le texte en entier de cet acte, avec sa traduction en regard :

ORIGINAL
Odo, Dei gratia, Parisiensis episcopus, omnibus praesentem paginam inspecturis, in Domino salutem.
Notum facimus universis, Capitulum beatoe Marioe Parisiensis et proepositum de Castaneto idem jus habere in Ecclesia de Ceaux quod habent et hactenus
habere noscuntur in Ecclesia de Castaneto, a qua fuit decisa dicta Ecclesia de Ceaux.
In hujus itaque rei testimonium, proesentem cartam sigilli nostri fecimus impressione muniri.
Datum anno gratiæ 1203 Pontificatus nostri anno sexto.
TRADUCTION
Eudes, par la grâce de Dieu, évêque de Paris, à tous ceux qui cette page verront, salut dans le Seigneur.
Nous faisons savoir à tous que le chapitre de Notre-Dame de Paris et le prévôt de Châtenay possèdent le même droit sur l’église de Ceaux qu’ils ont et ont eu jusqu’ici au su de tous sur l’église de Châtenay, dont ladite église de Ceaux a été détachée.
En témoignage de quoi nous avons fait apposer notre sceau à la présente charte.
Donné l’an de grâce 1203, de notre pontificat le sixième.
Cet acte indique que Ceaux était séparé de Châtenay, dès avant l’année 1203, et relevait du chapitre de Notre Dame de Paris. La cure faisait partie du décanat de Chateaufort , qui comprenait 100 cures et était sous la juridiction de l’archidiacre de Josas.

La paroisse de Ceaux avait dû, en peu de temps, se développer, ou être, dès l’origine, déjà d’une certaine importance, car nous voyons, par un autre document manuscrit, que le prieur de cette église était un des prieurs qui, à la fin du XIIIe et dans les XIVe et XVe siècles, devaient fournir à l’église Notre-Dame de Paris le pigmentum, le jour de l’Assomption, c’est-à-dire une quantité déterminée d’herbes et de fleurs dont on jonchait ce jour de fête le pavé de la basilique. Cette redevance, obligatoire sous peine de suspension, était due à tour de rôle, et le tour de chacun revenait tous les quinze, seize ou dix-sept ans.

Nous n’avons trouvé aucune mention relative aux rapports des paroissiens de Sceaux avec le chapitre de Notre-Dame. Ces rapports furent-ils toujours excellents ?
Les gens de Sceaux n’eurent-ils pas à se plaindre comme leurs voisins de Bagneux, si durement molestés, de vexations et de taxations arbitraires? En ces temps-là, c’est-à-dire à la fin du XIIIe siècle, il y avait encore sur ces territoires une classe de serfs dont les biens étaient à la discrétion. des seigneurs. Les hommes de corps de Bagneux se révoltèrent, et ils firent bien; car, dès ce jour, ils consacrèrent, au profit de leurs descendants, le droit absolu à la propriété personnelle. Notons, au reste, que cette époque, et nous la signalons avec intérêt, marque pour la grande masse de la nation, jusqu’ici taillable et corvéable à merci, l’aurore d’une ère nouvelle : le peuple, à qui on n’a imposé que des devoirs, commence à invoquer ses droits, droits civils, droits politiques même; quelquefois il guerroye, et souvent avec succès, contre ses dominateurs. Il a fini par conquérir le sol sur lequel des chefs de bandes l’avaient isolé comme une bête fauve, mais qu’il avait défriché, planté, amélioré, arrosé de ses sueurs; et certes, s’il est un légitime possesseur des terres, c’est bien celui qui, à force de labeur et de travail, les oblige à lui fournir, comme récompense, le pain et le vin de la vie.

Les hommes de Chevilly et de l’Hay furent affranchis, en 1258, gratuitement, croit-on, mais sous la redevance d’une taille annuelle à volonté, convertie huit ans après, en un abonnement, au profit du chapitre, de 40 livres parisis. En 1266 ou 1267, ceux de Châtenay obtinrent leur liberté, au prix de 1040 livres parisis, d’une redevance annuelle de 20 livres parisis de taille et d’une rente applicable aux terres vignobles.
Enfin, vint le tour de Bagneux, en janvier 1269 : les hommes de ce pays durent payer, de ce fait, en principal, une somme de 1300 livres parisis, et s’engager en outre à verser, chaque année, une rente de 8 livres, et six sous de rente par arpent de vigne pour la dîme.

En tous cas, comme le témoignent les documents si précis et si précieux pour notre histoire locale que nous venons d’analyser, la région qui nous occupe était affranchie complètement au moment de la naissance de notre petit pays de Sceaux.

C’est donc à la demande et pour l’usage d’hommes libres qu’on érigea en paroisse ce coin de terre jusqu’alors englobé dans un plus important territoire.

Quelques indications sommaires sur le prix et le loyer des terres, dans notre région, au XIIIe siècle, compléteront les données précédentes fournies par l’histoire.

A Bourg-la-Reine, 4 arpents et demi de terre furent vendus 24 livres1, en 1226; 2 arpents 1/8, 24 livres, vers 1255.

A Châtenay, vers 1255, un arpent est vendu 19 livres.
A l’Hay, 2 arpents et demi sont vendus 15 livres en 1233.

Au Plessis, l’arpent et demi vaut 7 livres en 1272.
L’arpent de pré, à Châtenay, au XIIIe siècle, valait, en moyenne, 16 livres, 15 sous, 9 deniers. On le louait 1 livre, 4 sous.
A Sceaux, en 1250, 4 arpents 1/4 de pré sont vendus 18livres, ce qui établit une moyenne de 4 livres, 4 sous, 8 deniers par arpent. Mais à Châtenay, vers cette même année, la moyenne du prix de l’arpent de pré est de 21 livres, 6 sous, 8 deniers, et le faux moyen du loyer de 2 livres 16 sous.

Enfin, toujours au XIIIe siècle, et toujours dans la même région, un boeuf en viande valait 1 livre 10 sous; un mouton ou bélier 6 sous 3 deniers, c’est-à-dire un peu plus du quart d’un bœuf; une poule 2 deniers; un bréviaire 16 livres; une bible en deux volumes ;160 livres parisis.

Au moment même où Sceaux apparaît avec certitude dans l’histoire, comme localité, une difficulté d’origine s’impose à l’examen.
Les plus anciens annalistes sont d’accord pour placer la chapelle primitive du lieu sous le vocable de saint Mammès, et ils ajoutent que cette chapelle possédait des reliques de ce saint qui lui avaient été données par le plus ancien seigneur connu de la contrée, — Adam de Cellis, — au retour des croisades, en 1214.

Pour confirmer cette tradition, l’on s’est longtemps appuyé sur un titre de l’an 1212, dont voici le texte :
« Adam de Cellis dedit et quittavit Ecclesioe beatoe Marioe Parisiensis, quidquid habebat in grangia de Taversio in vino et blado. Nos vero dedimus proefato Adoe 10 libras Parisienses et4 arpennos et dimidium terroe, quos tenebat ad Campipautem sitos apud Cellas inter Secanam et Ecclesiam de Cellis ad censum 4 pro unoquoque arpenno. »

Que dit ce titre? — Qu’Adam de Celles ou de La Celle a abandonné à l’église Notre-Dame de Paris, tout ce qu’il avait dans sa grange de Taverd, en vin et en blé; et que, de son côté, le chapitre a donné audit Adam dix livres parisis et lui a laissé la libre disposition de 4 arpents et demi de terre qu’il tenait à Campagne entre la Seine et l’église de Celles, à raison de quatre (livres) par arpent.

Ce titre, laconique comme tous les actes de cette époque, a souvent été invoqué et souvent aussi contesté.
Nous ne pouvions donc le négliger.
Mais résulte-t-il du texte qu’il s’agit d’un domaine situé sur l’ancien territoire de Châtenay?
Claude Malingre, dans ses Antiquités de Paris (1640,in-fol.), dit, page 28, à propos des donations et prérogatives de Notre-Dame de Paris: « Childebert, premier de ce nom, et second rpy chrestien, donna à l’église de Nostre-Dame de Paris la terre et seigneurie de Celles en Brie (dite auiourd’huy : la grande Parroisse), qui est proche et à l’opposite de Montereau-Faut-Yonne: ainsi appellée pource que la rivière d’Yonne venant de Sens là entre en Seine et perd son nom: comme il appert par son privilège. »

Or, dans ce privilège, qui est inséré dans les plus anciens cartulaires de Notre-Dame, il se trouve un passage où il est parlé d’une maison de campagne ou ferme, appelée Celles, où l’évêque de Paris avait recouvré la santé, et qui était située au village de Melodunum (Melun), sur le cours de la Seine, au confluent de l’Yonne.

On a dès lors conclu, avec raison, que le titre précité ne pouvait concerner notre localité; mais qu’il s’agissait là de la paroisse de Celles, qui a de tout temps appartenu à l’église Notre-Dame de Paris, et qui est située dans l’ancienne Brie, près Melun, à une très faible distance de la Seine.

Il est vrai qu’on pourrait objecter avec Malingre (page 29), ce que l’on a omis généralement de dire, que « aucuns mettent en doute le susdit privilège, alleguans qu’audit an de Childebert, ne longuement après, saint Germain n’estoit évesque de Paris », bien que de son temps Notre-Dame possédât cette terre.

Mais, d’abord, la Seine n’est pas proche de Sceaux, et il n’y a point, dans notre voisinage, de lieux-dits correspondant à Taversio et à Campipautem, tandis qu’au contraire ces noms de Taverd et de Campagne se retrouvent précisément encore de nos jours sur le territoire de Celles-en-Brie.

La grange de Taverd est située sur la Seine, à 5 kilomètres de La Celle; et la campagne appelée Celles par Mélingue, est bien encore la Cellula subtus Moretum, qui se trouve entre Melodunum (Melun), et le confluent de l’Yonne (Montereau). On y récolte comme autrefois, du vin et du blé, et le mot arpent y est toujours employé.
Les bois de l’église à Champagne pourraient bien être la terre dont il est ici question.

Donc, il faut désormais attribuer, sans conteste, à cette dernière localité le titre précité, invoqué jusqu’ici à tort, on le voit, par ceux qui se sont occupés des origines de Sceaux.

L’abbé Lebeuf, qu’il faut toujours citer quand il s’agit du diocèse de Paris, dit expressément : « L’origine de la paroisse de Sceaux est un peu obscure aussi bien que celle du culte de saint Mammès, qui y a été établi dès le commencement. »

Et il ajoute: «Il pouvait y avoir déjà en ce lieu une chapelle du titre de saint Mammès qui auroit été précédemment consacrée sous l’invocation de ce saint martyr, à l’occasion de quelques reliques que le chapitre de Paris 1, qui y avoit beaucoup de bien, aura données; car on sait le pouvoir qu’Odon de Sully, évêque de Paris, et Pierre de Corbeil, chanoine de la même église, eurent sur la fin du XIIe siècle dans le gouvernement de l’église de Langres. Mais quand même il n’y aurait eu d’église bâtie à Ceaux que lorsqu’on pensa à y ériger une cure, cette église fut regardée comme trop petite ou trop vieille dans le siècle dernier, en sorte que l’ayant abattue, on éleva celle que l’on voit aujourd’hui. On y aperçoit à l’entrée du chœur, proche la place du curé, une plaque sur laquelle on lit que l’ancienne église qui étoit du titre de saint Mammès, ayant été démolie, messieurs de Tremes et Jean-Baptiste Colbert, successivement seigneurs de Ceaux, ont rebâti le choeur, etc. »

L’abbé Lebeuf dit encore: « La fête de saint Mammès, martyrisé en Cappadoce, le 17 août, est fort célébrée par les habitants du lieu, qui le regardent toujours avec raison comme leur ancien patron; les premières reliques avaient été perdues, mais on en obtint d’autres de Langres par les soins de M. le duc du Maine au commencement de ce siècle; la translation en est fort célébrée chaque année le dernier dimanche de septembre. Ce saint martyr est fort réclamé contre les douleurs de ventre, coliques et autres maux semblables; ce qui a occasionné d’y établir une confrérie en son honneur. L’abbé Chastelain, chanoine de Paris, écrit que dans un grand mal de ventre dont il fut atteint au mois de mars 1691, il fit un vœu à ce saint et qu’il se sentit soulagé. »

Tout d’abord on est surpris de rencontrer le nom de Mammès parmi les saints du pays. Mammès n’y est pas venu; son culte n’a jamais été général. Pour acclimater cette dévotion dans nos parages il a fallu, sans nul doute, un concours de circonstances exceptionnelles, et que l’exemple partit de haut. C’est pourquoi, je l’avoue, j’ai toujours cru, malgré les présomptions contraires, que ses reliques avaient été apportées ici, très solennellement, par un chevalier croisé, à moins que, comme le suppose l’abbé Lebeuf, elles n’aient été données à l’église naissante de Ceaux, qui était peut-être la propriété des premiers seigneurs, par l’église Notre-Dame de Paris, héritière, à n’en pas douter aussi, des oratoires des chefs francs.
Mais voyons ce qu’était ce personnage à qui l’Orient a décerné le titre de Grand Martyr.

Les hagiographes les plus dignes de foi, s’ils sont en désaccord sur certains points de sa vie, sont unanimes à célébrer ses vertus et son courage surhumain en face des supplices. Ils disent que Mammès naquit à Gangre, petite ville de la Paphlagonie dans l’Asie-Mineure, d’une famille patricienne riche et puissante. C’était au milieu du troisième siècle; et déjà ses père et mère, saint Théodote et sainte Rufine, avaient été victimes de la persécution renouvelée par les empereurs d’Orient contre les adorateurs du vrai Dieu. Mammès fut recueilli par une pieuse femme nommée Ammia, dont l’église célèbre la fête le 31 août, et élevé par elle dans les traditions de sa famille disparue. En ce temps-là, Aurélien tenta un dernier effort pour anéantir le catholicisme naissant; et, comprenant bien que c’est à l’école même qu’il faut inculquer ou étouffer les principes, il ordonna à tous les directeurs et professeurs de gymnases et lycées de son vaste empire, d’agir de façon à rétablir partout le culte des dieux de l’Olympe.

Mammès fréquentait une école publique ouverte à tous les cultes. L’ordre d’extermination y parvint, là comme ailleurs; mais le jeune chrétien refusa énergiquement de sacrifier aux idoles. Dénoncé, puis conduit devant l’empereur, à cause des privilèges que lui assuraient sa naissance, il ne tarda pas à être soumis à toutes les épreuves d’usage. On espéra d’abord vaincre sa résistance par des promesses et des offres séduisantes, mais elles furent inutiles. On employa ensuite tous les genres de tortures, et ce petit corps, déjà bien éprouvé, fut lacéré impitoyablement, sans qu’on pût obtenir le moindre signe de rétractation. Ému d’une telle attitude, Aurélien, pris de compassion, lui cria : « Prononce seulement une parole, mon ami, dis que tu sacrifieras et je te mettrai en liberté. « Mais Mammès répondit simplement : « Je me garderai bien, ô empereur, de dissimuler ma foi. Inventez tout ce que vous pourrez pour me tourmenter, je ne puis renier de cœur ni de bouche le Dieu que j’adore. »

Enfin, après avoir subi d’autres tortures, Mammès fut délivré par un ange, dit la légende, pendant qu’on le conduisait au dernier supplice.

Un désert fut son refuge pendant trois ans; mais Alexandre, gouverneur de Césarée ayant appris que Mammès s’était retiré sur le mont Argée, le fit arrêter et conduire devant lui. Alexandre croyait n’avoir affaire qu’à un magicien, comme l’était Apollonius de Tyane, que vénérait tant l’empereur Aurélien. A Mammès il ne demanda donc d’abord que les secrets de son art.
Mais il vit bientôt aux réponses du jeune chrétien qu’un tout autre mobile dirigeait ses actions. Et lui aussi le menaça de tortures et de supplices. Mammès leva les yeux au ciel et répondit noblement et avec assurance, comme il l’avait fait déjà devant l’empereur lui-même :
« Je ne sais sacrifier qu’au seul vrai Dieu. »

Mammès fut alors étendu sur un chevalet et battu cruellement à coups de fouet; mais, ajoute la légende, il paraissait aussi insensible aux coups que si on eût frappé sur un marbre. Il semblait que pour lui c’était une épreuve joyeuse, toute de triomphe, toute de délectation. Furieux, jusqu’à la rage, de ne pouvoir arracher une plainte à ce martyr de 18 ans, le gouverneur de Césarée s’en prit aux bourreaux et leur ordonna de le massacrer s’ils ne voulaient être eux-mêmes massacrés. Hélas! bientôt les entrailles sortirent au milieu de flots de sang du corps frêle de cet enfant!!!

C’était la justice du temps! cette justice impitoyable, sanguinaire, si l’on peut donner le nom de justice à de tels actes qui, à certaines heures, lorsqu’on parcourt l’histoire, font souvenir de ce cri de désespoir arraché jadis à un noble Polonais : Le Ciel est trop haut!

Les chrétiens de Césarée avaient recueilli le corps de Mammès et l’avaient enseveli secrètement; bientôt, grâce à la mort d’Aurélien, massacré en 275 dans son propre palais, à l’avènement au trône de Claudius Tacite et à la révocation des édits de persécution, ils purent rendre à ce corps vénéré les honneurs qui lui étaient légitimement dus.

En mourant, a dit un historien, Mammès léguait à l’Église le grand Constantin, qui venait de naître en cette même année 275, le « sang de ce martyr ayant esté comme le germe de la naissance du premier des empereurs chrestiens ».

A dater de cette époque et grâce aussi à l’exemple donné par Mammès, la Cappadoce, où le culte d’Apollonius de Tyane avait été si pompeux, fut complètement transformée. Les idoles furent renversées et des temples, libres cette fois, s’élevèrent partout à la gloire du vrai Dieu. L’oubli profond se fit sur le passé; de l’imposteur Apollonius, nul ne parla plus; tandis que le nom de Mammès, l’athlète vigoureux qui avait, dans ce pays, porté le coup décisif à l’idolâtrie, volait de bouche en bouche.

Une société chrétienne, nombreuse et puissante comme l’arbre de vie, surgit du tronc ensanglanté ; et Césarée va mériter bientôt le nom d’Eusébie qui veut dire piété.

Après avoir été maître dans la foi de ces chrétiens primitifs, Mammès leur servira de guide pendant de longues années, pendant de longs siècles, et restera dans l’avenir leur protecteur le plus tutélaire et le plus accrédité. Aussi verra-t-on dans ce pays s’épanouir désormais à l’ombre du nom du Grand Martyr les plus belles et les plus pures des vertus chrétiennes, comme s’il était vrai que toute terre arrosée de sang a le privilège de fournir une puissante lignée de martyrs.

Voici ce que les historiens byzantins nous apprennent encore :

Une église fut d’abord érigée sur le tombeau de Mammès, et son culte se répandit rapidement dans l’Orient. De toutes parts s’élevèrent des temples, des monastères, de somptueux édifices sous son invocation.
L’éminent prélat, Grégoire de Nazianze, prononça son panégyrique dans une petite église qui lui avait été dédiée. Zonaras, Cédrénus et Nicéphore, historiens grecs, parlent, en divers endroits de leurs écrits, du monastère de Saint-Mammès à Constantinople, et c’est dans un monastère de ce nom, situé en Thrace, que l’empereur Cantacuzène, fatigué des grandeurs humaines, se retira sous la conduite de Philothée, évêque d’Héraclée.

A Rome, hors les murs, une église fut bâtie par la suite en l’honneur de Mammès, lorsque son culte se fut répandu en Occident; et c’est dans cette église que saint Grégoire le Grand prononça, le jour de sa fête, sa trente-cinquième homélie.
Les reliques de saint Mammès étaient restées à Césarée et continuaient à y être vénérées. On croit que plus tard, sous Constantin ou sous Julien l’Apostat,
elles furent transportées à Jérusalem, et que l’impératrice Hélène, qui faisait rechercher partout les reliques des martyrs, recueillit celles de Mammès et les déposa dans le grand martyrium, ou basilique, qu’elle avait fait construire sur le mont du Calvaire.

Dans tous les cas, on sait que Julien l’Apostat ravagea la cité de Césarée, changea le nom qu’elle portait, la réduisit à la condition de simple village, pilla les églises, fit enrôler les ecclésiastiques parmi les gens de guerre et surmena la population d’impôts et de corvées.
Qu’advint-il alors des reliques de Mammès? Furent-elles enlevées par l’empereur apostat ou sauvées par les chrétiens fugitifs? L’histoire est muette à cet égard. On sait seulement que vingt ans environ après la mort de Julien, saint Basile et saint Grégoire de Nazianze prononcèrent, ce dernier le 16 avril 383, un discours
en l’honneur de Mammès, dans l’église érigée à Césarée sous son vocable, ce qui permet de supposer que cette église avait recouvré une partie des reliques du grand martyr.

Enfin, suivant Nicétas, qui vivait au XIIIe siècle, les reliques (ou partie de ces reliques) de Mammès auraient été transférées de Césarée à Constantinople, vers le IXe ou le Xe siècle. Mais il est présumable qu’il y en avait dans cette dernière ville, longtemps avant cette date, puisque sa fête y était célébrée dès l’année 461.

Les Francs de Clovis possédaient une quantité incroyable de reliques de saints de leur pays, qui les accompagnaient jusque sur les champs de bataille, et recherchaient avec avidité les moindres parcelles des corps des martyrs étrangers. En outre, de nombreux pèlerins ont visité Jérusalem et les saints lieux, dès les premiers temps de la monarchie, et en ont rapporté des reliques; saint Germain, évêque de Paris au VIe siècle, fit, notamment, dans le même but, ce voyage, et obtint dé l’empereur Justinien le bras de saint Georges, et une partie des corps des saints Innocents et de la couronne d’épines.

Faudrait-il faire remonter à ces époques reculées le culte de saint Mammès à Sceaux? — Le premier seigneur du pays serait-il, ce qui est très possible, un Franc de Clovis? — On conçoit que, pour des temps aussi éloignés de nous, tout ne peut être que conjectures, en l’absence de documents certains.

Quoi qu’il en soit, il paraît établi que Radegonde , religieuse du monastère de Sainte-Croix de Poitiers, qui vivait au VIe siècle, s’étant éprise d’une grande dévotion pour saint Mammès, députa un prêtre nommé Régulus, près du patriarche de Jérusalem, pour obtenir une parcelle des reliques du grand martyr. Régulus rapporta le « petit doigt de la main droite », et cette relique, placée dans un des reliquaires de l’abbaye, fut longtemps exposée à la vénération des fidèles.
Sous l’épiscopat de Vandier, évêque de Langres (VIIIe siècle), un gentilhomme français, qui revenait de Jérusalem, passa par Constantinople, rapporta un os de la nuque de saint Mammès et le donna à la cathédrale de Langres qui, dès ce jour, fut placée sous le vocable de ce saint. Mais plusieurs historiens font remonter cette translation jusqu’à une époque antérieure à Charles le Gros.

Il faut, en tout cas, que la dévotion à saint Mammès ait été, en ce pays, fort anciennement et pendant longtemps des plus ardentes ; car nous voyons Raynald, à peine installé comme évêque de Langres (en 1065), dans les archives de l’église de Constantinople les actes du grand martyr. Il en fit une traduction exacte et facilita ainsi, en France, la connaissance de l’histoire de Mammès. Ayant rendu, disent les annalistes, des services signalés à l’empereur Alexis Comnène, il en obtint, à titre de reconnaissance, un des bras du saint qui était exposé dans la chapelle impériale.

Deux siècles plus tard, en 1204, c’est-à-dire lors de la prise de Constantinople par les croisés, le chef de Mammès échut à Gualon de Dampierre, chanoine de Langres, depuis évêque de Damas, qui en fit don à l’église de sa ville natale.

C’est donc de Langres et de Poitiers, où se trouvaient les principales reliques de saint Mammès, qu’ont dû être détachées, probablement à diverses époques et pour diverses circonstances, la plupart des différentes parcelles dont nous constatons l’existence, dès les temps anciens, dans plusieurs églises des diocèses de Langres, de Besançon, de Meaux, de Bayeux, et à Paris, à Saint- Séverin, où il existait une confrérie de Saint-Mammès, très ancienne et très célèbre, et aux Saints-Innocents.

Mais comme, cependant, en plusieurs des localités où ce culte a existé, il est fait mention, dans les écrits ou par tradition, de chevaliers croisés, il est présumable aussi qu’outre les principales reliques de Langres et de Poitiers il a dû en être rapporté par divers personnages, à la suite des guerres d’outre-mer; et, dès lors, rien ne s’oppose à ce qu’il soit admis, faute de preuves contraires, que le premier seigneur de Sceaux était lui même un chevalier croisé.

La chapelle ou église primitive était-elle placée sous le vocable de saint Mammès?

L’auteur du recueil manuscrit sur Sceaux affirme « que la paroisse n’avait pas de reliques de saint Mammès avant 1726», etil ajoute que dans tous les titres anciens, dont plusieurs remontent aux XIIIe et XIVe siècles, on ne trouve jamais ce nom cité, tandis que, dès 1467 , l’église apparaît comme placée sous le vocable de « saint Iehan-Baptiste ».

En parcourant l’ancien état civil de la paroisse, j’ai été moi-même frappé de cette circonstance, que le nom de Mammès n’a pas été donné une seule fois comme prénom aux enfants de Sceaux, antérieurement à l’arrivée de Colbert dans le pays; il est vrai qu’on peut dire également que le prénom de Jean-Baptiste2, patron de l’église actuelle, y est presque aussi rarement fêté. Je ne le vois donné, en effet, que deux fois, en 1641 (9 mai, Jean-Baptiste Tierco) et en 1646 (21 juin, Jean-Baptiste Bouttemotte), tandis qu’en ces temps-là les prénoms de Jean et de Jeanne, diminutifs, peut être, il est vrai, dans la pensée de la population, de celui de Jean-Baptiste, sont fort répandus dans le pays.

L’affirmation de l’auteur du recueil manuscrit est sans valeur à nos yeux; de ce que de nos jours il n’existe plus, croit-on, de documents anciens relatifs au culte de saint Mammès dans la paroisse, il ne résulte pas que ce culte n’y ait jamais existé. Nous pensons, au contraire, que l’église primitive, celle que le seigneur ou les fidèles édifièrent avant ou vers 1203, était dédiée à saint Mammès, et que le patron de l’église changea peut être un peu avant l’époque où Jean Baillet la fit reconstruire à ses frais, en 1476.

Le bienfaiteur si généreux aura voulu donner le nom de son patron au nouvel édifice; et comme en définitive il ne faisait qu’acte de foi, l’autorité diocésaine aura, comme c’était son droit et presque son devoir, ratifié ce vœu.

Il en fut de même ainsi pour une multitude de chapelles; et le patronage de beaucoup d’entre elles, même dans les plus grandes basiliques, n’a pas d’autre origine.

On ne s’expliquerait pas, au surplus, la demande du duc du Maine à l’évêque de Langres ; pour obtenir, ce qui est toujours fort difficile, l’ouverture de la châsse de saint Mammès, il a fallu justifier cette demande par une très ancienne possession.

J’ai recherché vainement, aux archives de Langres et de Chaumont, la supplique du duc du Maine à Mgr de Pardaillon de Gondin d’Antin, évêque de Langres;
elle ne s’y trouve plus; sa perte est regrettable, car elle contenait, très certainement, l’historique de la dévotion de saint Mammès à Sceaux, et de l’apport de ses reliques. En l’absence de ce document, celui ci-après devient des plus précieux. C’est l’extrait d’un manuscrit contemporain, resté inédit, et qui est connu sous le titre de: « Journal de M. Gousselin, Conseiller, puis Lieutenant au Présidial de Langres. » Voici, textuellement, la partie relative à la question qui nous occupe:

« Le 24 de juillet 1726, M. le duc du Maine ayant souhaité d’avoir quelques reliques de saint Mammès, sous l’invocation duquel sa chapelle de sceau est consacrée, et M. de Langres, notre évêque, en ayant fait la proposition au chapitre qui y a consenti, ce matin à l’issue de la Grande Messe, on a apporté sur le grand autel la châsse où repose un os du bras de ce saint martyr, duquel on a scié un morceau en présence de deux chirurgiens qui ont signé le procès-verbal qui a esté dressé de cette cérémonie; la petite partie qui a esté destinée à M. du Maine, longue environ d’un travers de doigt, a esté mise ensuite dans une petite boitte d’argent, bien et dûment cachetée, que M. de Langres a emportée pour la remettre lui-même à M. du Maine. Le chapitre avoit proposé de lui faire faire ce précieux don par son agent qui est à Paris: mais M. d’Autun a voulu lui présenter lui-même. »

La tradition locale, d’accord avec d’anciens auteurs, et elle mérite d’être souvent consultée, surtout pour les faits religieux, est absolument favorable à la croyance d’une dévotion originelle à saint Mammès, comme premier patron de la paroisse.

On sait, par ce qui précède, quelle était à cet égard l’opinon de l’abbé Leboeuf; nul doute qu’elle ne fût alors en parfait accord avec les plus sérieuses traditions. L’auteur de la Description de la généralité de Paris, qui vivait dans le même temps (1759), dit lui-même que « Sceaux ou Ceau a pour patron saint Mammès ». L’auteur resté inconnu (mais qui, à en juger par l’ensemble des faits, était du pays) d’un petit livret intitulé : Guide des promeneurs dans la campagne de Sceaux (1849), dit aussi que l’église était primitivement dédiée au même saint.

J’ajoute surabondamment, comme dernier et principal argument, que le procès-verbal de dédicace de l’église, en date du 6 juillet 1738, porte textuellement ceci: « Cette église commencée sous le titre de saint Mammès martyr, et depuis démolie et rebâtie, etc. »

Comme détail, infime sans doute, mais encore concluant, et qui indique une dévotion particulière et continue, j’ajoute enfin que, tandis que l’abonnement annuel par chaise dans l’église, y compris les chapelles, est de six francs, cet abonnement est exceptionnellement de sept francs pour les chaises placées dans la chapelle Saint-Mammès.

Tout ceci démontre donc une dévotion particulière, fort ancienne et persistante.

Qu’on les juge avec les yeux de la foi ou simplement avec les yeux du monde, les hommes qui, comme Mammès, ont résisté aux ordres barbares des empereurs et aux entraînements de leur temps, étaient très certainement supérieurs à la plupart de leurs contemporains, supérieurs par la pureté de leur vie, supérieurs aussi par l’influence civilisatrice qu’ils ont exercée et dont, il ne faut pas l’oublier, nous profitons encore aujourd’hui.
C’est à eux, en effet, que nous sommes redevables, suivant la belle expression de Silvestre de Sacy, « de cette grande religion qui a changé et régénéré le monde ».
A leur voix, les idoles ont été abattues, les tortures abolies, les mœurs des peuples païens améliorées; et pour la première fois, nous sommes entrés dans cette période, sans cesse perfectible, qui a fait dire à Paul-Louis Courier que « nous valons mieux que nos pères et que nos fils vaudront mieux que nous». Honorons donc publiquement et sans fausse honte le nom de Mammès, que nous trouvons placé comme un guidon à l’origine même de ce pays; soyons très convaincus qu’il a consolé bien des infortunes, calmé bien des douleurs et rendu la confiance aux âmes éplorées qui sont allées le prier, le solliciter, d’abord à l’autel du château et plus tard dans l’église paroissiale. Le bien moral qu’il a fait dans le pays a, dès lors, été immense; et c’est par là qu’il a droit toujours à notre vénération.

Que d’autres ricanent en passant devant une statue de saint et s’imaginent faire acte de sagesse en insultant la mémoire des héros chrétiens; nous, libres penseurs aussi, mais dans un autre sens, nous respectons infiniment, nous honorons à l’égal des plus grands, ces modestes pionniers de la civilisation. Leur robe de bure, leur austérité, leur ascétisme même, ne nous effarouchent point; car l’histoire nous a appris tout ce que le peuple, le vrai peuple des cités et des  campagnes, dont nous sortons tous, sans exception, riches et pauvres
(car le premier de chaque famille, à de très rares exceptions près, a été cultivateur ou manouvrier), a dû et doit encore à ceux qui, comme Mammès, ont revendiqué jusque sur le chevalet du martyre la liberté de conscience et le droit de vivre honorablement à l’abri des lois.

Source: HISTOIRE DE LA  Ville de Sceaux
DEPUIS SON ORIGINE JUSQU’A NOS JOURS
PAR
M. VICTOR ADVIELLE
Officier d’Académie
SOUS LA DIRECTION DE
M. MICHEL CHARAIRE
Délégué cantonal
Ancien Maire de Sceaux

Année 1883.