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AMF, Droite, Gauche, Lobbies, Maires, Manuel Valls, népotisme, technocrates
Entretien avec :Éric Verhaeghe, Roland Hureaux, Jean-Luc Bœuf
Alors que François Hollande a annoncé vouloir favoriser les référendums locaux à l’avenir, et que Manuel Valls a participé au Congrès annuel des maires de France, le maire apparaît aujourd’hui comme une solution au sentiment d’éloignement des processus de décision grâce à sa lisibilité et à son accessibilité.
Manuel Valls a donné un discours devant 4000 maires réunis au sein de l’AMF, et François Hollande a d’ores et déjà annoncé vouloir appuyer la démocratie participative locale, une mesure a priori populaire. L’élu local reste, de loin, celui qui a la meilleure estime des citoyens et qui fait office de rempart face à certaines dérives ou à un éloignement excessif des processus de décision. Pourquoi la commune réussit-elle là où les autres ont échoué ?
Jean-Luc Boeuf : Un peu d’Histoire tout d’abord. Il y a un peu plus de cent ans, à l’aube du XX ème siècle, le président de la République réunit à Paris l’ensemble des maires, à l’occasion de l’exposition universelle de 1900.
Eric Verhaeghe : D’abord et évidemment parce que la commune est un lieu de proximité, et l’attente fondamentale du citoyen est bien celle de pouvoir discuter directement et de façon proche avec son élu. Le principal objet de dépit, dans notre démocratie, est l’éloignement du citoyen vis-à-vis du processus de décision. Et l’éloignement vient vite: dès la naissance de l’intercommunalité, s’établit une distance entre le citoyen et le décideur local. Cette distance est accrue par le processus très peu démocratique en vigueur dans les intercommunalités. Le suffrage n’y est pas direct et le citoyen ne sait plus qui détient les mandats intercommunaux, ni quelles en sont les compétences. Au fond, la réussite de la commune, c’est sa simplicité, son accessibilité, sa lisibilité.
Roland Hureaux : Il faut se méfier des idées reçues. Le maire : seul élu ayant une bonne cote, dit-on – et disent les sondages. Oui, mais dans sa ville ou son village, on n’en dit généralement pas du bien tous les jours. Qu’il soit bon ou mauvais, cependant, le fait qu’on le voie crée un attachement affectif. Des gens de Villeneuve-sur-Lot m’ont dit que si Jérôme Cahuzac s’était représenté aux municipales, il serait repassé. Dans son domaine propre, qui lui laisse une vraie marge de manoeuvre, le maire peut, plus que d’autres, faire prévaloir le bon sens. Je ne vois pas en revanche comment il peut protéger ses concitoyens de la folie bureaucratique qui règne à d’autres niveaux et devant laquelle il se trouve, comme nous tous, impuissant, voire désemparé.
Pourquoi les autres députés « locaux » (comme les conseillers généraux, ou même les députés qui bien que n’étant pas élus locaux sont souvent abusivement considérés comme tels) n’ont-ils plus les moyens de jouer le rôle de contre-pouvoir ?
Eric Verhaeghe : Les conseillers généraux ne me semblent pas avoir les mêmes difficultés que les députés. Dans le cas du conseil général, il y a d’abord un problème de compétence. Le champ d’action du conseil général est très restreint. Dans la pratique, il vaut surtout pour le domaine social, qui est devenu une sorte de spécialité départementale dont les autres collectivités ne sont guère envieuses. Le rôle d’un conseiller général est donc de peu de poids sur la vie quotidienne.
Dans le cas du député, le sujet est un peu différent. De plus en plus, les députés sont devenus des représentants de leur circonscription, des lobbyistes officiels chargés de défendre leurs intérêts particuliers auprès du gouvernement. Cette évolution de la République pose problème. A la base, le député est un législateur: il exprime l’intérêt général. Avec le temps, il se réduit au rôle de simple solliciteur auprès du gouvernement pour des intérêts locaux.
Roland Hureaux : Je ne crois pas que ceux dont vous parlez n’aient jamais été des contre-pouvoirs. Mais il est vrai que les logiques technocratiques sont de plus en plus strictes et de plus en plus contraignantes, en matière d’urbanisme par exemple. Pour ce qui est des élus nationaux, les contraintes européennes et la prolifération des autorités indépendantes (CSA, CRE pour l’énergie, ART pour les communications, Comités d’éthique etc.) auxquels ils ont abandonné leurs pouvoirs, leur lient de plus en plus les mains.
Médias, syndicats, corps intermédiaires, organes de contrôle, les sondages indiquent tous qu’ils subissent un niveau de défiance élevé. Quels sont aujourd’hui les contre-pouvoirs qui faillissent à leurs missions ?
Eric Verhaeghe : Votre question est un peu compliquée, parce qu’elle laisse sous-entendre que, avec un peu plus de contre-pouvoirs, ces corps en question pourraient retrouver de la confiance. Je ne suis précisément pas sûr de cette logique. De mon point de vue, une grande partie de la défiance qu’inspire ces corps vient de leur capacité de bloquer les réformes nécessaires, par des jeux de pouvoir éloignés de l’intérêt général. Quand la presse passe son temps à dénigrer au lieu d’informer, elle est incontestablement en tête de ce jeu perdant. Mais les syndicats corporatistes ne sont pas forcément loin de ce classement.
Il me semble que la bonne question serait de savoir quelle devrait être l’action de ces corps pour retrouver de la confiance. Peut-être que la seule réponse possible à cette question est négative: rien! en réalité, les Français n’aiment pas les corps intermédiaires et se trouvent très bien avec un corps législatif qui décide de tout ce qui concerne les affaires publiques. Pour le reste, les Français aiment leur liberté.
Roland Hureaux : A peu près tous les pouvoirs et contre-pouvoirs sont disqualifiés, en particulier la justice (le 3e pouvoir !) et la presse (le 4e). La Cour des comptes n’a pas mauvaise réputation mais elle a la partie facile, n’ayant qu’à critiquer, et elle a le sens de la communication. Pour la connaître de près, je pense qu’elle pourrait cependant faire mieux.
Le fond du problème est double :
– la perte d’indépendance de nos décideurs au bénéfice l’instance internationales, pas seulement européennes : à quoi sert un député que l’on a élu pour commander et qui ne fait qu’obéir ?
– l’imprégnation générale par des idéologies, non pas globales, mais sectorielles, comme à l’éducation nationale, si puissantes que personne n’ose s’y opposer et qui s’imposent d’un bout à l’autre de la chaîne de commandement si j’ose dire, presse incluse.
Ceux qui gouvernent la cité doivent être libres pour pouvoir servir les intérêts des citoyens. S’ils ne le sont pas, les gens le sentent et les méprisent.
Dans quelle mesure la « consanguinité » de ces élites et par conséquence son manque de prise avec le réel participe-t-elle de ce phénomène ?
Eric Verhaeghe : Là encore, je poserais la question un peu différemment.
J’ai toujours été persuadé que la France oscillait en permanence entre un goût pour l’aristocratie héréditaire, et une envie de rupture révolutionnaire.
Roland Hureaux : Depuis les origines de l’histoire, les élites ont été consanguines comme vous dites, ce qui ne les empêchait pas d’avoir du bon sens et du courage. Si vous voulez dire qu’en allant chercher des homi novi comme on disait à Rome, des chefs d’entreprise par exemple, ça sera mieux, vous vous trompez. Ces nouveaux venus sont souvent plus technocrates que les technocrates! Il y a cependant une part de vrai dans ce que vous dites : dans les cercles parisiens dirigeants où se retrouvent des politiques, des hauts-fonctionnaires, mais aussi de grands journalistes, règnent des préjugés très enracinés et faux qu’il est très difficile de changer. Par exemple que les petites communes étaient source de gaspillage et d’inefficacité ou que les länder allemands sont, eux, source d’efficacité. Ces préjugés sont à l’origine de réformes désastreuses. C’est l’orgueil et la suffisance de ces gens, leur esprit panurgique aussi, qui les rend inaccessibles à des arguments allant en sens inverse.
Quelles en sont les autres raisons ?
Eric Verhaeghe : Historiquement, les Français aiment les lois. Ils n’aiment pas les autres normes. Le fait de déléguer du pouvoir à des corps intermédiaires n’a jamais été un choix qui s’est imposé au coeur des citoyens. La décentralisation a beaucoup plu aux élus locaux, mais elle continue à susciter un fort scepticisme chez les contribuables, qui ne comprennent rien à la complexité administrative si coûteuse et si inefficace. On proposerait aujourd’hui aux Français une recentralisation de fait qu’ils applaudiraient largement.