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par Christine ALFARGE
Montréal, c’est capital ! (Charles de Gaulle.)
Il est avant tout primordial de situer la place que le Québec ou le Canada français occupait dans le cheminement de la pensée du Général de Gaulle et son action. Bien que son premier appel aux Canadiens français soit lancé à la radio de Londres, le 1er août 1940, son intérêt pour le Québec remonte à 1944. Le général de Gaulle y accomplira quatre visites, la première en juillet 1944, un an avant la fin de la guerre, la seconde assez brève en août 1945, la troisième en 1960 en tant que président de la République française et la quatrième lors de l’Exposition universelle de Montréal, en juillet 1967.
Revenu au pouvoir en 1958, ardent défenseur de toutes les indépendances, il est naturel qu’il ait eu le souci du Canada français et son développement. Lors du Conseil des ministres du 31 octobre 1962, l’exposition universelle de Montréal prévue cinq ans plus tard sera évoquée, le Général de Gaulle s’exprimera ainsi en défendant les intérêts français : « Il faut que la France, au coeur du Canada français, montre ce qu’elle est capable de faire. Songez-y dès maintenant. Les Canadiens relèvent la tête et nous ne devons pas les laisser tomber. ».
Auparavant, le Général de Gaulle permettra la création, à Paris, de la Maison du Québec dont André Malraux, ministre de la Culture, en présidera l’inauguration officielle le cinq octobre 1961en présence du Premier ministre québécois Jean Lesage et reconnaîtra dans son discours d’inauguration : « Il me semble que si la France se prévalait trop d’une amitié qu’elle a si peu montrée, nos amis Canadiens seraient en droit de nous dire : Qu’avez-vous fait depuis cent cinquante ans ? ».
Cette journée annonçait, dans les relations franco-québécoises, une ère nouvelle mais en réalité, depuis la cession du Canada en février 1763 par le traité de Paris, le lien n’avait jamais été véritablement rompu entre la France et le Canada français. Au fil de l’histoire, plusieurs personnalités françaises se succédèrent à travers de nombreux voyages, parmi les plus marquantes, Hector Fabre désigné en 1882 comme agent général du Québec à Paris.
Il faudra véritablement attendre jusqu’en 1960 et des élections régionales pour amorcer « la Révolution tranquille » par la volonté de doter le Québec d’un État face aux enjeux de développement et un véritable changement politique à travers des réformes courageuses dans les domaines de la culture, de la science, de la technique et de l’économie.
La coopération franco-québécoise
Le Général de Gaulle sera à l’origine de la coopération franco-québécoise, c’est ainsi que la Maison du Québec inaugurée en 1961deviendra la Délégation générale du Québec en 1964. Dès lors, la diplomatie française s’inscrira dans la continuité de son action à travers une Commission permanente de Coopération Franco-québécoise se réunissant tous les deux ans afin de définir des objectifs et des politiques communes. La France sera désormais liée au sort du Québec.
Visite à Montréal, le 24 juillet 1967
A l’occasion de l’exposition universelle de Montréal aux côtés du maire de la ville Jean Drapeau, le Général de Gaulle marquera sa visite par un discours prononcé depuis le balcon de l’hôtel de ville, place Jacques-Cartier.
Applaudi avec ferveur par une foule où l’on brandit les pancartes du parti du rassemblement pour l’indépendance nationale, le Général de Gaulle s’exprimera ainsi : « C’est une immense émotion qui remplit mon coeur en voyant devant moi, la ville de Montréal française. Au nom du vieux pays, au nom de la France, je vous salue de tout mon coeur. Je vais vous confier un secret que vous ne répéterez pas, ce soir ici et tout le long de la route, je me trouvais dans une atmosphère comme celle de la Libération. Et tout le long de ma route, outre cela, j’ai constaté quel immense effort vous accomplissez ici de progrès, de développement et par conséquent d’affranchissement»
« Et c’est à Montréal qu’il faut que je le dise, car s’il y a au monde une ville exemplaire par ses réussites modernes c’est la vôtre et je me permets d’ajouter c’est la nôtre. Si vous saviez quelle confiance la France réveillée vous apporte et quelle affection elle recommence à ressentir pour les Français du Canada ».
Le Général redit ensuite que la France se sent obligée de concourir « à votre marche en avant ». Il évoque les accords signés « avec mon ami Johnson » pour que des Français de part et d’autre de l’Atlantique travaillent ensemble à une même oeuvre française.
Ce concours, dit le Général, la France est prête à l’accorder « un peu plus tous les jours » elle sait qu’il lui sera rendu ajoute-t-il et il prédit que les progrès du Canada français feront « l’étonnement de tous » et lui permettront un jour d’aider la France face aux hégémonies. « Voilà ce que je suis venu vous dire ce soir. J’emporte de cette réunion inouïe un souvenir inoubliable. La France entière sait, voit et entend ce qui se passe ici, conclut le Général de Gaulle. Vive Montréal, Vive le Québec, Vive le Québec libre, Vive le Canada français, Vive la France ».
À son retour en France, le Général de Gaulle très touché par l’accueil que lui ont réservé les Français du Canada, confiera quelques mots « Messieurs, ce fut un voyage magnifique? Car il fallait bien que je parle aux Français du Canada. Nos rois les avaient abandonnés et je n’aurais plus été de Gaulle si je ne l’avais pas fait ».Quand le général de Gaulle parle de la dette de Louis XV, il fait allusion au peuple acadien qui s’est installé le premier en Amérique en 1604, balloté entre domination française et anglaise jusqu’aux guerres du XVIIIe siècle pour fonder la Nouvelle-France.
Aujourd’hui, la question de l’accès à l’éducation, se pose régulièrement au Québec. L’accès à l’université a été à la fois réalisé comme un instrument de mobilité sociale pour les francophones et comme le symbole de la nouvelle identité collective présentée au moment de la « révolution tranquille » (1960-1966). Quels seront les effets du « printemps québécois » d’une part sur la « question nationale »pour savoir, deux cent cinquante ans après la conquête britannique, si le Québec doit ou non sortir de la fédération canadienne pour se constituer en État souverain d’autre part sur « les frontières linguistiques et culturelles » au quotidien de la société québécoise comptant un peu plus de huit millions d’habitants dont 79,6 % ont le français pour langue maternelle, 8,2 % l’anglais et 12,2 %, une autre langue.
Fidèle à ses principes, le Général de Gaulle soutiendra l’ambition du Québec à jouer un rôle dans la francophonie permettant d’obtenir en 1969 le statut de gouvernement participant au sein de l’Agence de coopération culturelle et technique. La stratégie d’anticipation prévaudra toujours dans la politique du Général de Gaulle, s’inscrivant dans une vision globale du monde défendant les intérêts de la France. Ainsi, la réalité canadienne et québécoise s’imposera à lui à travers ses différents voyages. Nul doute que les indépendances face aux hégémonies des grandes puissances auront contribué à ce que le Québec prenne son destin politique en main, soutenu par la France.