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Par Guillaume Berlat

La France ne respecte pas les traités européens. Elle hésite à engager des réformes structurelles douloureuses mais nécessaires. Faute de moyens, elle peine à maintenir sa puissance militaire. Son influence s’érode. Résultat : la chute devient prévisible.

« En politique, le plus grand crime est d’avoir des ambitions plus hautes que ses capacités » (Napoléon). Divulguée par le site Médiapart, la lettre adressée, en anglais, le 24 octobre 2014 par le commissaire européen aux affaires économiques, Jyrki Katainen, au ministre des Finances, Michel Sapin, fait l’effet d’une bombe. Prise en flagrant délit de déficit excessif, la France est sommée par la Commission européenne d’expliquer comment elle « prévoit de se conformer à ses obligations de politique budgétaire en 2015, conformément au pacte de stabilité et de croissance ». Cette missive intervient dans un contexte où « le mot ‘réduction de dettes’ devient familier. Longtemps demeuré dans le registre pornographique, il fait son entrée au catéchisme » (Michel Camdessus). La France est « l’homme malade de l’Europe », un « pays déficitaire récidiviste », le « cancre de la zone euro » pour 2016. L’aval de son budget 2015 sous forme d’ultime avertissement n’écarte pas les risques de déclassement.

La France, « l’homme malade de l’Europe ».

Les gouvernements se succèdent, les politiques ne changent pas. « Depuis dix ans, La France, comme tous les pays de l’Europe latine, s’est laissée aller au dévergondage budgétaire, c’est-à-dire à l’abandon de toute discipline en matière de comptes publics » (Valéry Giscard d’Estaing, 25 octobre 2014). Notre pays ne cesse de souscrire à des engagements précis en termes de discipline budgétaire qu’il ne peut ou veut pas respecter. Ainsi, il réclame des délais supplémentaires pour parvenir à l’engagement d’un retour du déficit public sous la barre des 3%. « Tournons-nous vers le passé ; ce sera un progrès » (Giuseppe Verdi). Que nous-dit-il ? La France adhère fin 2012 au pacte de stabilité et de croissance dont la Commission a la responsabilité de juger de la conformité des projets de budget. Elle ne peut donc feindre aujourd’hui d’ignorer ce qu’elle acceptait hier de plein gré. La duplicité n’a qu’un temps dans les relations internationales.

(photo agence spatiale européenne)

(photo agence spatiale européenne)

Reprenant l’adage romain Pacta sunt servanda, l’article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 dispose que « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté de bonne foi ». Juridiquement, la France se retrouve « en manquement grave » à ses obligations au nom d’une discipline collective acceptée. Or, que se passe-t-il ? Certains hommes politiques ne tolèrent pas que la France soit traitée ainsi par les technocrates de Bruxelles. Emmanuel Macron rappelle que « la réduction des déficits budgétaires et le respect des engagements que nous avons pris sont indispensables ». C’est peu dire que les tentatives françaises visant à déroger aux contraintes du pacte accepté en 2012 font grincer des dents nos partenaires. Ils attendent des actes. Les belles paroles ne suffisent plus. Les rappels succèdent aux mises en garde. Les projets de loi de finances rectificatives se succèdent pour satisfaire aux exigences de la Commission.

La France : le chemin du déclassement.

Le temps de l’angélisme est passé. La Commission européenne exige des résultats rapides (Cf. son avis sur le projet de budget 2015 rendu le 28 novembre 2014). Or, l’économie française est en panne ; le déficit égal à 4,4% du PIB ; l’autorité politique affaiblie ; la confiance des citoyens ébranlée. La France doit réformer le périmètre de ses missions régaliennes, doit rechercher le « mieux d’Etat ». La France est tentée par la rupture politique dès que l’Europe l’attaque sur le plan financier. Aujourd’hui, les Etats de la zone euro partagent leur souveraineté budgétaire. Même si Paris évite de justesse la sanction de la Commission en corrigeant in extremis son budget 2015, l’horizon n’est pas durablement éclairci. La France ne pourra faire l’économie de réformes structurelles douloureuses sauf à se mettre au ban de l’Union européenne. Faute d’un réel sursaut, de l’abandon de la « comédie de la réforme », Paris risque d’être mis à la diète.

Utopie hier, réalité demain. L’épée de Damoclès européenne place la France dans une situation de souveraineté limitée, de tutelle renforcée. Faute de maîtriser ses choix budgétaires, « notre pays risque de se retrouver dans la situation qu’a connue la Grèce. Les pouvoirs publics seront conduits à demander l’aide du FMI » (VGE). Sur la scène mondiale, la France, qui enregistre une perte d’influence à Bruxelles, risque de subir un sérieux déclassement par rapport à son statut de « puissance moyenne d’influence ». Déclassement d’autant plus sensible qu’elle ne pourra plus s’appuyer sur un outil militaire fort, un engagement à niveau nécessaire pour garantir un effet de crédibilité politique suffisant. Les questions ne manquent pas. Comment peser en continuant à réduire drastiquement le budget de la défense ? Comment moderniser un outil militaire vieillissant ? Comment s’engager dans de multiples opérations extérieures budgétivores (plus d’un milliard d’euros en 2014) avec des moyens contraints ? En un mot, comment résoudre la quadrature du cercle ?

La France qui tombe ?

Cet avatar d’une saga européenne n’est une surprise que pour certains Candide. La perte d’influence du pays est avérée, mais somme toute logique. Une réponse rapide s’impose. Elle passe par l’impérieuse nécessité de s’écarter des contingences du moment au profit de la vérité, si contraignante soit-elle. Elle passe par le choix incontournable d’assumer le réel. Prenons garde à la culture de la fausse grandeur. Si nous ne faisons rien, que restera-t-il de la « grande nation » ? Faute de puissance, il ne nous restera plus que la mise en scène de la souveraineté. Sans parler de son décrochage économique, de sa perte de leadership en Europe et dans le monde, la France serait menacée d’une « portugalisation » que redoutait en son temps le général de Gaulle. La morale de cette histoire est à chercher dans un plagiat de Jean de la Fontaine : « Adieu défense, diplomatie, puissance, influence » (La laitière et le pot au lait).

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