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Julien Dray, la gauche se meurt, Manuel Valls, PS, social-démocratie
Bruno Cautrès
La gauche est en danger de mort. Après Manuel Valls qui l’assurait en juin dernier devant le Conseil national du PS, Julien Dray a de nouveau émis cette hypothèse dimanche 14 décembre, estimant qu’il y avait urgence à agir.
« Nous sentons bien que nous sommes arrivés au bout de quelque chose, au bout peut être même d’un cycle historique pour notre parti. » Dans une interview accordée à l’Obs, le premier ministre insistait : la gauche doit « se réinventer ou mourir ». Julien Dray, le vice-président PS de la région Ile-de-France, estime dans une interview dimanche qu’il y a « y a urgence, la gauche se meurt ».
Atlantico : Que doit-on comprendre par cette mise en garde sur la mort de la gauche ? Que signifie cette mort ? La même chose dans la bouche de Valls que celle de Dray ?
Bruno Cautrès : La tonalité volontairement dramatique de ces déclarations traduit bien l’état d’esprit de nombreux dirigeants de la gauche et pas seulement du PS.
La déclaration de Julien Dray intervient également au moment où le candidat du PS n’a pu se qualifier pour le second tour de la législative partielle dans l’Aube, avec un FN en progression entre le 1er et le 2nd tours. Elle est encore plus dramatisante que celle de Manuel Valls, elle cible les divisions entre socialistes et au sein de la gauche ; elle traduit également un regard plus gestionnaire sur la situation de la France, Julien Dray dans une autre déclaration stigmatisant la « gauche des interdits ». Il serait intéressant de demander à Manuel Valls ou Julien Dray, quelle serait leur vision de ce qui se passerait juste après cette « mort du PS ».
Quels sont les précédents historiques quant à la mort de partis de gouvernement en France ?
De grands courants politiques ou de grandes formations politiques au déjà disparu, bien sûr. Le plus souvent suite à des divisions et des scissions ou simplement par un effet des évolutions sur le long terme de la société française et de nos institutions. La Vème république de 1958 et ses 10 ou 15 premières années ont vu de très importantes recompositions parmi les centristes, les démocrates-chrétiens ou les radicaux. De même, le PCF d’aujourd’hui n’est que l’ombre de celui des années 1970 en termes de résultats électoraux. En 1971 la SFIO devenait le PS avec l’arrivée de nouvelles strates de la gauche non communiste en son sein.
De même, la création du FN s’est-elle opérée par regroupement de très petites formations de l’extrême-droite. On voit que le destin des partis politiques n’est pas figé dans le marbre ; les défaites électorales de grande ampleur ou les crises internes qui finissent par des scissions, ainsi que l’adaptation à un nouveau contexte politique et idéologique, sont toujours potentiellement porteuses de déclin, de renouveau, de mort et de (re)naissance.
Cela peut-il nous éclairer sur le cas de la mort présumée du Parti socialiste ?
Dans le cas du PS aujourd’hui, il faut se rappeler qu’il s’agit d’une grande organisation, avec des structures, des fédérations, des élus et des réseaux de militants.
Quels partis existants ou nouveaux partis émergents pourraient alors occuper l’espace vide laissé ?
Si l’on accepte l’exercice difficile de « politique fiction » de votre question, un exercice un peu risqué, on peut dire que si une grande organisation comme le PS « disparaissait », certaines de ses composantes ou adhérents rejoindraient d’autres formations politiques existantes (EELV, FDG, PRG), mais plus certainement on verrait émerger un parti dont les orientations seraient celles d’une « social-démocratie » assumé. Ce parti pourrait fédérer de nombreux socialistes. Il se pourrait aussi qu’un congrès de (re)fondation du PS permette de clarifier plus nettement les deux points mentionnés ci-dessus.
Mais nous n’en sommes pas là : créer un parti, quitter un parti où l’on a sa place, n’est pas aisé. Jean-Luc Mélenchon est un des rares hommes politiques à avoir fait ce choix et on voit que son chemin n’est pas si aisé que cela.
Un changement complet de schème est-il possible ? Basculement sur modèle plus droitier comme aux États-Unis plutôt que le traditionnel axe gauche droite ?
Je ne crois pas. Le clivage entre la gauche et la droite reste un élément très structurant de la vie politique en France et en Europe. La vielle question de savoir qui s’enrichit, grâce à qui, à quoi et comment ou encore de savoir comment l’on répartit/redistribue les fruits du développement économique et du progrès technique, reste une question essentielle pour nos sociétés post-industrielles. De nouvelles formes d’inégalités (entre sexes, entre générations, entre origines ethniques ou nationales) ont vu le jour. Leur interprétation n’est pas complètement traduisible en termes gauche/droite. Mais les partis de gauche et de droite investissent ces questions et tentent de faire alliance avec les plus petites formations qui souvent ont défendu en premier ces nouvelles causes. Pour la gauche française et le PS en particulier, la séquence à laquelle nous assistons depuis 2012 et ses différents signes (tournant de l’offre, nomination de M. Valls, E. Macron à Bercy, mais aussi Michel Sapin) sont autant d’indices qu’une transformation du PS est en cours, qu’elle prendra du temps et ne se fera pas sans crises internes. Quel que soit l’avenir, il y aura un avant et un après présidence Hollande ; le fait d’avoir revendiqué si haut la maîtrise des déficits publics, par exemple, fera date.