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Américains, Cuba, La prostitution, paradis sexuel, précarité
Par Léon Chabaneau.

Selon Julietta, au moins 70% des Cubaines se prostituent. «A cause de la précarité», explique-t-elle. DR
Julietta (prénom d’emprunt) a un joli visage rond, des yeux en amande et un sourire révélant les dents du bonheur. La jeune femme menue de 30 ans, qui élève seule son fils de 8 ans, a aussi une tête bien remplie. La journée, elle est médecin, responsable d’un service dans l’un des hôpitaux de La Havane et bénévole pour une organisation de prévention des maladies sexuellement transmissibles. Le soir, elle se prostitue ponctuellement pour arrondir ses fins de mois. «Parfois, je dois être escort, raconte-t-elle. J’ai un ami qui loue une maison et il y a beaucoup d’étrangers qui ont besoin d’une «dame de compagnie». Il m’appelle et je le fais car je ne gagne pas assez d’argent à l’hôpital et je dois subvenir aux besoins de mon fils.»
La rencontre se déroule dans une voiture parquée sur un long boulevard menant à la plage de La Havane. Il est 23 heures. L’ami de Julietta qui l’accompagne ce soir-là a soulevé le capot de son véhicule pour faire croire à une panne. Il veut éviter d’attirer l’attention de la police, car Julietta prend des risques en acceptant de témoigner.
La prostitution reste officiellement interdite à Cuba, même si elle est omniprésente dans les rues de La Havane. Des travailleuses du sexe abordent discrètement les touristes aux abords du Capitole au cœur de la capitale cubaine. Elles viennent aussi chercher quelques dollars dans certaines discothèques du Malecon, le bord de mer de La Havane. «Je dirais qu’au moins 70% des Cubaines se prostituent, glisse Julietta. C’est énorme. La prostitution dans ce pays est comme dans tous les autres pays. On doit y recourir à cause de la précarité. Je ne l’ai jamais fait par plaisir.»
L’histoire de Julietta jette une lumière crue sur le quotidien des jeunes cubaines comme elle. Après avoir fait six ans de médecine et avoir été nommée à un poste à responsabilité, elle gagne 19 CUC cubains par mois (20 francs suisses). Ce salaire couvre à peine la moitié de son loyer. Elle rêverait de travailler plus à l’hôpital, mais elle ne peut pas faire des gardes de nuit qui lui permettraient de doubler son salaire, car elle s’occupe de son fils, né avec une malformation cardiaque.
«J’ai commencé à me prostituer il y a une année, poursuit-elle. Avant, j’avais un deuxième emploi après mon travail à l’hôpital. Je faisais des ménages et la lessive dans une maison à louer. C’était pratique, car je pouvais aller chercher mon fils à l’école et il restait avec moi. Je recevais 60 CUC (62 francs) par mois pour ce travail. Et je ne voyais pas le besoin de me prostituer. Mais mon ami a arrêté de louer la maison et je n’ai pas pu retrouver un travail comme celui-ci.»
Il y a une année, alors qu’elle empruntait de l’argent à l’une de ses connaissances, celui-ci lui a glissé qu’un Italien cherchait une fille. «Tu ne sais pas qui c’est, mais tu sais que cette personne ne veut qu’une heure de sexe», ajoute-
t-elle. «C’est très difficile. J’ai pensé à mon fils et non pas que j’étais une prostituée. Et je l’ai fait.» Depuis, Julietta dit avoir eu une vingtaine de clients en une année. Elle imagine que le dégel des relations entre les Etats-Unis et Cuba ainsi que l’assouplissement de l’embargo vont probablement provoquer un afflux de clients américains. «Je pense que Cuba sera un paradis sexuel pour les Américains, dit-elle. La précarité nous oblige à le faire pour peu. Et avec peu d’argent, ils peuvent obtenir beaucoup de choses.»
Julietta ne se voit pas quitter Cuba, parce que les soins médicaux pour son fils sont gratuits dans son pays. Elle rêve d’une augmentation de salaire et d’avoir le droit d’avoir deux emplois. Mais en attendant, elle s’accroche à l’amour de son fils, son bien le plus précieux lorsqu’elle contemple l’avenir. Elle raconte une récente rencontre avec quatre clients italiens qui l’avaient engagée pour assister à une réunion d’affaires avec eux: «A l’issue du dîner, ils n’ont rien demandé de plus», glisse-t-elle. «Ils m’ont payé 100 CUC (103 francs) et je suis rentrée chez moi. Je me suis douchée et me suis couchée à côté de mon fils. J’étais heureuse.»