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C’est il y a seulement six ans que s’en allait pour toujours le dernier « poilu », à l’âge canonique de cent dix ans. La longévité exceptionnelle de Lazare Ponticelli avait fait de cet homme l’ultime rescapé et le dernier témoin de la grande hécatombe, le dernier lien entre tant de morts et le monde des vivants.
La Deuxième Guerre mondiale a suivi de si près la Grande Guerre que ceux qui la vécurent et y jouèrent un rôle, important ou mineur, nous ont déjà presque tous quittés. Les plus jeunes sont aujourd’hui nonagénaires et les célébrations, l’an dernier, du centenaire de 1914 et du soixante-dixième anniversaire de la Libération, ont confondu dans la même piété et dans le même hommage les combattants de la Marne ou de Verdun et les héros de la Résistance tout comme les enfants et les jeunes gens, en ce début du XXIe siècle, mêlent dans le même souvenir et trop souvent le même flou et la même ignorance les monuments, les tombes et la mémoire de leurs ancêtres disparus. Le Panthéon attire moins de visiteurs que Disneyland.
Robert Chambeiron, mort avant-hier à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, était le dernier membre encore vivant du Conseil national de la Résistance, l’un des tout derniers compagnons de Jean Moulin, dont il avait fait la connaissance au cabinet de Pierre Cot, ministre de l’Air dans le gouvernement du Front populaire et dont il avait rejoint le combat « dans la nuit de l’Occupation ». Des mille trente-huit Compagnons de la Libération, dix-huit sont encore parmi nous. Comme Chambeiron, ils ont eu tout loisir de voir ce que le temps et les hommes ont fait de leur combat et de leurs idéaux et dans quelle mesure le monde tel qu’il est ressemble ou ne ressemble pas à celui qu’ils ont rêvé et que d’autres ont bâti.
Les Archives nationales consacrent jusqu’en mars prochain une exposition tout à fait intéressante à un autre monde, au microcosme de la Collaboration. On peut y voir, entre autres pièces remarquables, des autographes de Céline, un exemplaire dédicacé des Décombres de Lucien Rebatet ou la cantine de Jacques Doriot, engagé volontaire dans la Légion des volontaires français contre le bolchevisme. Une telle manifestation aurait à coup sûr, il y a encore quelque temps, provoqué contestation, indignation, ferveur, passion. Elle n’éveille aujourd’hui que la curiosité légitime de ses visiteurs. Les années ont passé. Les derniers acteurs sortent discrètement de la scène. Nous sommes à cet inévitable moment où ce qui fut la vie n’est plus que de l’histoire.