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INTERVIEW – Professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers, Alain Bauer estime que « la collecte des renseignements est d’une grande qualité. En revanche, l’analyse qui en est faite est parfois défaillante. »
Oui. Depuis les attentats de 1986 et de 1995, et les améliorations successives apportées par les différents gouvernements, on peut considérer que la couverture juridique est assez correcte. La loi Cazeneuve est venu combler techniquement certaines failles, notamment concernant Internet, les entreprises terroristes unipersonnelles ou encore les « loups solitaires », d’ailleurs appelés ainsi à tort. Mais cette loi pose aussi un problème : elle ne fait pas assez confiance au juge judiciaire pour contrôler les intrusions et les interceptions sur Internet. On considère qu’il est naturel de confier cette tâche au juge administratif.
Qu’en est-il d’un point de vue opérationnel ?
La collecte des renseignements est d’une grande qualité. En revanche, l’analyse qui en est faite est parfois défaillante. Elle a du mal à intégrer les « hybrides » et les franges du terrorisme. Ils ne rentrent pas dans le moule. Jusqu’en 1989 et la chute du mur de Berlin, les groupes terroristes dépendaient de Moscou et de Washington. Il leur fallait absolument bénéficier de la protection des superpuissances pour exister. Car se doter d’un arsenal et disposer d’appuis logistiques demandait beaucoup de moyens. Ce modèle a brutalement changé. Le terrorisme s’est émancipé et il a ensuite bénéficié de l’effet accélérateur produit par Internet dans la diffusion d’informations de propagande. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire de faire des séjours dans des camps d’entraînement.
En face de ce choc culturel, les méthodes d’analyse sont restées les mêmes. Les habitudes de travail n’ont pas changé. Nous avons des difficultés d’adaptation à cette réalité technologique. Nous sommes meilleurs dans l’action-réaction que dans la prévention. A chaque commission d’enquête qui suit un attentat, c’est toujours le même constat : nous avions bien toutes les informations, mais on ne les a pas comprises, on n’y a pas cru. Il y a un problème de compréhension de ce qu’est le terrorisme contemporain.
La coopération entre les Etats est-elle suffisamment efficace ?
On peut dire qu’elle est de très bonne qualité depuis l’attentat du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center. Les Etats occidentaux sont très coopératifs. Ils échangent des informations, ce qu’ils ne faisant pas jusqu’alors. Les Etats hypocrites ont des pratiques évolutives qui dépendent des enjeux locaux. Le Pakistan a pu longtemps se livrer à un double jeu. Mais c’est en train de changer et ce pays commence à le payer cher.