Pourtant, parmi les dessinateurs qui ont trouvé la mort dans le massacre commis au sein de leur rédaction, certains faisaient partie de notre paysage depuis tant d’années que c’est un peu de nos « connaissances » qui s’en est allé. Même si j’étais loin de cautionner leur façon d’appréhender une certaine vérité, même si je trouvais qu’ils faisaient fi du sacré des autres avec une désinvolte grossièreté, même si, contrairement à ce qu’ils disaient et à ce que le politiquement correct dit d’eux, ils épargnaient des cibles qu’on ne peut pas critiquer, même s’ils ont défié crânement leurs bourreaux annoncés, aucun de leurs débordements ne méritait le sort que des barbares leur ont réservé.
Alors, pour leur mémoire d’être humain, et seulement pour elle, et surtout pour celle des deux policiers dont l’un a été achevé froidement sur un trottoir, comme le montre la vidéo que les médias français ont censurée, je concède : pour une minute de silence seulement, je veux bien « être Charlie ».
A part cela, non, je ne suis pas Charlie…
Je ne suis pas Charlie parce que je ne veux pas bêler stupidement avec le troupeau dans une sorte de compassion orchestrée par les tenants du politico-médiatique, cherchant comme de coutume à masquer leur aveuglement coupable par des bons sentiments d’opérette.
Je ne suis pas Charlie parce le deuil national décrété est tout simplement l’objectif que visaient les auteurs – ou les commanditaires ! – de cet acte barbare.
Je ne suis pas Charlie parce que je ne souscris pas à une unité nationale bâtie sur un émoi de rencontre.
Je ne suis pas Charlie parce que les mêmes qui animent l’émotion autour de la mort – certes ignoble et inutile, encore une fois ! – de gens qui ont joué avec la provocation, ont encouragé des jeunes bien de chez nous à partir « faire du bon boulot » (sic) en Syrie, en Irak ou ailleurs, où il se sont livrés à des exactions contre des innocents qui n’avaient provoqué personne.
Je ne suis pas Charlie parce que le président Obama – peut-être sincèrement – a signé le livre de condoléances à l’ambassade de France à Washington, alors que le département d’Etat américain envoie nombre des conseillers de son ambassade à Paris former les jeunes de nos banlieues à la « démocratie ».
Je ne suis pas Charlie parce que je ne pense pas qu’Eric Zemmour, ni Michel Houellebecq aient quelque responsabilité dans ce massacre, comme l’ont lâché quelques cuistres en mal de bouc émissaire.
Je ne suis pas Charlie parce qu’après avoir visionné la vidéo, je suis resté longuement circonspect, d’abord en raison du mode opératoire des assassins, ensuite parce que je ne parvenais pas à me détacher de l’impression d’avoir assisté à un règlement de compte dans un film américain… Non, ce n’était pas une scène du Parrain !
Je ne suis pas Charlie…
Je concèderais encore d’être Charlie le temps d’une minute si l’on en venait à admettre que, dans notre XXIème siècle, il est tout de même plus dangereux de dessiner un turban explosif au Prophète que d’afficher le Pape en première avec un préservatif sur la tête.