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Stephen Harper a beau avoir promis une mission sans combat terrestre en Irak, les soldats déployés au pays ont échangé des coups de feu avec le groupe État islamique (EI). Le gouvernement clame qu’il s’agit simplement de légitime défense. Mais l’opposition et certains spécialistes arguent que c’est un travestissement de la mission originale.
Début octobre, le premier ministre s’est levé en Chambre pour annoncer que le Canada irait aider ses alliés à combattre le groupe armé État islamique en Irak. « Le gouvernement du Canada ne déploiera pas de militaires dans le cadre d’opérations de combat terrestre », stipulait sa résolution déposée aux Communes.Trois mois plus tard, son armée vient de révéler que des membres des forces spéciales ont été la cible de tirs la semaine dernière. Ces soldats, qui conseillent les forces irakiennes, le font loin des lignes de front « 80 % du temps », a révélé le brigadier-général Michael Rouleau, commandant des Forces d’opérations spéciales du Canada, après que le gouvernement eut martelé tout l’automne que ses soldats n’approcheraient pas des combats.
Or, la semaine dernière, certains membres de la mission sont allés au front. Ils venaient d’établir une stratégie avec les forces irakiennes, dans un bureau, à « plusieurs kilomètres » des combats. Mais il fallait aller sur place pour vérifier si le plan de match tenait sur le terrain. « Dès qu’ils sont arrivés, ils ont été la cible de tirs très efficaces et très directs », a rapporté le brigadier-général lors de cette première séance d’information sur le rôle des forces spéciales en Irak. Les Canadiens n’ont pas été blessés. Mais ils ont répliqué. « Ils ont neutralisé la menace. » Un premier échange du genre en trois mois de mission. De la légitime défense, a résumé l’armée.Un dangereux engrenage
La question n’a pas tardé : est-ce dire alors que le mandat de cette mission a changé ? « Le fait qu’on ait eu un échange de tirs avec l’EI ne veut pas dire que c’est devenu une mission de combat », a rétorqué le brigadier-général Rouleau. « Ce genre de choses peut se produire. Ce genre de choses nous est arrivé dans le passé, quand on portait des casques bleus en Bosnie. »Cette distinction entre combat et légitime défense ne tient pas la route aux yeux du NPD. « C’est troublant de voir qu’effectivement nos forces canadiennes effectuent des combats au sol, alors qu’on nous a dit depuis le départ que ce ne serait pas le cas et qu’on essaie de cadrer le tout autour de l’aide logistique », a dénoncé la députée Élaine Michaud.
Au bureau du premier ministre Stephen Harper, on a rétorqué qu’« un rôle de combat consiste pour nos troupes à avancer vers l’ennemi et à chercher à l’affronter physiquement, agressivement et directement. Ce n’est pas le cas avec cette mission ».Mais le politologue Michael Byers est du même avis que Mme Michaud. « Il n’est pas honnête de s’attendre à ce que l’ennemi tire sur certains soldats et pas d’autres. On parle d’une zone de guerre. Les forces ennemies tireront sur tout soldat du côté adverse qu’elles verront. […] Alors si vous vous approchez de la ligne de combat, vous vous placez en situation de combat », a fait valoir au Devoir ce professeur de politiques internationales à l’Université de Colombie-Britannique.
Le raisonnement du Canada lui rappelle celui des Américains, qui avaient envoyé quelques conseillers militaires au Vietnam en 1961 pour leur accorder ensuite le droit d’utiliser la force en cas d’autodéfense. « On connaît la suite. La taille de cette délégation de conseillers militaires n’a cessé de croître et, en 1965, on a cessé de les appeler comme cela. » Mme Michaud s’inquiète aussi d’un « prélude de la prolongation de la mission ». Les libéraux n’ont pas voulu faire de commentaires lundi.Dans le camp inverse, David Perry de l’Institut de la Conférence des associations de la défense juge, comme le gouvernement, que cela ne change rien à la mission en Irak. « Il semble qu’ils voulaient surveiller sur le terrain certains éléments de leur planification », a observé cet analyste de la défense, qui juge que cela ne sort pas du cadre de leur mission de soutien des forces irakiennes.
Ligne griseLa Défense a cependant aussi révélé que ses forces spéciales ont aidé à 13 reprises à identifier les cibles des bombardements de la coalition internationale. Parfois des airs, parfois sur le sol en fournissant une « évaluation terrain » aux commandants. Dans ce cas, « la ligne est pas mal grise » selon M. Perry. La mission aérienne du Canada est une mission de combat, soit. Mais en soutenant au sol une mission aérienne de combat, les Canadiens mènent-ils aussi une mission de combat terrestre, s’est-il demandé en entretien téléphonique avec Le Devoir.
De l’avis de Michael Byers, le gouvernement doit sommer ses troupes de reculer ou obtenir un nouveau mandat parlementaire. « Les soldats ne respectent pas le libellé de la motion parlementaire », a-t-il reproché. Le professeur insiste sur le fait qu’il ne porte pas de jugement sur la pertinence de s’impliquer ou pas militairement en sol irakien. L’enjeu pour lui est qu’Ottawa n’avait pas annoncé que ses soldats sortiraient sur le terrain.
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