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Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l’immigration
La notion « d’apartheid ethnique » mise en avant par Manuel Valls lors de ses vœux à la presse a suscité la réprobation de nombreuses personnes, pour lesquelles il est « allé trop loin ». Un constat qui, éloigné des preuves irréfutables, tombe nécessairement dans le flot des polémiques.
N’est-il pas contradictoire de la part du Premier ministre de faire cette déclaration, alors que l’établissement de statistiques ethniques au niveau étatique a toujours été rejeté ?
Michèle Tribalat : La notion d’apartheid n’est pas très adaptée pour décrire les concentrations ethniques en France. Les concentrations ne proviennent pas d’une politique d’État visant à mettre à l’écart des populations d’origine étrangère pour les enfermer dans un statut particulier, populations qui ne seraient pas dotées des mêmes droits. Par ailleurs, beaucoup d’argent a été dépensé pour améliorer l’habitat et l’environnement depuis de nombreuses années.
D’autres études étrangères ont également montré que ce n’était pas tant la fuite des autochtones que leur évitement des lieux connaissant de fortes concentrations ethniques qui expliquait l’accroissement de ces concentrations. S’agissant des données permettant d’établir des statistiques ethniques, c’est vrai qu’elles ne sont pas collectées lors des enquêtes annuelles de recensement, les seules à même de mettre en évidence ces phénomènes de concentrations ethniques au niveau local. Car il faut disposer de très gros échantillons.
Bernard Aubry et moi-même avons utilisé les recensements et les enquêtes annuelles de recensement en retenant les moins de 18 ans encore au foyer des parents (ce qu’ils sont presque tous) et dont on peut savoir donc, si leurs parents sont immigrés. Nous avons montré l’accroissement très important des concentrations dans les villes moyennes ou grandes. Ces concentrations sont très massives en Ile-de-France mais touchent désormais aussi des villes de l’Ouest (Nantes, Rennes, Blois…).
Graphique sur la proportion de jeunes d’origine étrangère selon la taille de la commune de résidence – Source Michèle Tribalat

Sur quels éléments autres que son observation Manuel Valls se fonde-t-il ? S’il n’a pas de données pour étayer son propos, quels risques cela peut générer ?
Ces données élaborées avec Bernard Aubry ont été publiées à plusieurs reprises depuis déjà cinq à six ans. Non sans mal, il faut bien l’avouer. Mais elles l’ont été. Nous travaillons à leur mise à jour. Je me souviens même avoir envoyé les données sur la ville d’Évry à Manuel Valls lorsqu’il en était encore le maire. Il n’est donc pas ignorant de la situation de sa ville, pas plus que celle d’autres villes de France. À Blois, en 2009, 40 % des jeunes sont d’origine étrangère. C’est le cas de 60 % des jeunes de Seine-Saint-Denis et de plus de 80 % de la jeunesse de Clichy-sous-Blois.
On peut donc légitimement discuter le terme d’apartheid, mais il est difficile de contester l’existence et l’accroissement des concentrations ethniques en France.
Quelles conclusions le gouvernement et la classe politique en général devraient-ils tirer de ce type de polémique ? Quels bénéfices la société française en retirerait-elle ?
Le gouvernement devrait sans doute, pour éviter les polémiques inutiles, favoriser le recueil des données utiles (pays et nationalité de naissance des parents) déjà collectées dans les grandes enquêtes de l’Insee, lors des enquêtes annuelles de recensement afin de mieux mesurer ces concentrations ethniques. Mais d’ores et déjà, les données élaborées avec Bernard Aubry sur les jeunes d’origine étrangère ont été publiées, et sont donc accessibles à ceux qui montrent un peu de curiosité sur le sujet.