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Benoît Pellistrandi est ancien élève de l’École normale supérieure et agrégé d’histoire. Il est actuellement professeur en classes préparatoires au lycée Condorcet.


Depuis une semaine, le rôle stratégique de l’éducation est remis en avant par tous les responsables politiques et plus spécialement par le président de la République qui se rappelle qu’il a fait de la jeunesse le thème dominant de son quinquennat. Une jeunesse qu’on veut lire aujourd’hui sous la figure affolante de désaxés, déscolarisés et dénationalisés que sont les djihadistes ou candidats au djihad qui partent en Syrie ou qui en reviennent. Malek Boutih, député socialiste, vient (enfin!) de reconnaître qu’à côté de l’attention portée à ceux qui décrochent, il faudrait aussi s’intéresser à ceux qui s’accrochent. Depuis 30 ans, la politique scolaire des gouvernements se focalisent sur les 150 000 jeunes qui sortent du système sans diplôme et on oublie que 12 millions d’élèves et 2 millions d’étudiants sont scolarisés… On adapte toute la politique éducative à l’aune de cet échec oubliant que la réponse devrait être adaptée à ces 150 000 jeunes. Alors, oui, il est temps de redire que l’école est chemin de réussite et cesser de la stigmatiser sous la seule figure de l’échec ou de la violence sociale.

Le grand rattrapage, nous explique-t-on, passe par la remise à l’honneur des «valeurs» de la République au premier rang desquelles la laïcité. Le président Hollande a signifié à ses vœux au monde enseignant qu’aucun comportement portant atteinte à ces valeurs ne serait toléré et ne restera sans suite. Que l’annonce est belle et vaine.

Quelle autorité politique est aujourd’hui assez crédible pour porter ce combat des valeurs et des comportements? Le mot valeur est totalement galvaudé par des comportements qui ne cessent de trahir ces valeurs au nom desquelles nous voulons nous rassembler. D’ailleurs, le mot est brandi tel un totem, manière de ne pas nous interroger sur nos comportements.

Aucune valeur n’a d’effectivité si elle n’est portée et incarnée. Quand, à un jeune professeur qui vient de se faire cracher à la figure, un principal de collège répond que «ce n’est pas si grave», où sont le respect et l’autorité? Quand un proviseur dit à un professeur qui rapporte un incident avec un élève, «ce sera sa parole contre la vôtre», où sont le respect, l’autorité et le goût de la vérité? Quand un enseignant se trouve en difficulté face à sa classe et que l’administration feint de l’ignorer, où est la solidarité? Point n’est besoin de multiplier les exemples: ils ne serviraient qu’à nous démoraliser.

Mais prétendre éduquer les jeunes au respect, à la solidarité, au travail, à la valeur de la connaissance quand le monde médiatique et politique ne cesse soit de brocarder ces vies modestes, tenaces et décentes, soit de contredire la force normative des valeurs à cause des écarts rarement punis de nos responsables politiques, économiques ou sociaux, c’est se tromper lourdement. Prétendre reprendre le combat des valeurs par le biais de leur incantation républicaine, c’est se tromper de méthode.

L’école ne peut transmettre que des valeurs portées par la société. Il faut qu’il y ait adéquation entre les valeurs de l’école et les valeurs sociales. C’est d’ailleurs ce qu’avait compris Jules Ferry et c’est grâce à cette symbiose que l’éducation laïque, gratuite et obligatoire fit l’objet d’une adhésion sociale puis culturelle. Pour recréer aujourd’hui cette adhésion – c’est de cela dont on parle -, il faut partir de la société civile. L’État doit se mettre à son écoute, sans abandonner ses ambitions collectives. La question de l’école est une chose trop grave pour être laissée aux seuls responsables politiques, elle doit être l’affaire de tous. Ce qui veut dire deux choses. La première est une interrogation grave: de quelles valeurs notre société est-elle porteuse? La seconde est mobilisatrice: choisissons de porter haut le combat de l’instruction et de la construction de l’individu par la valeur libératrice de la connaissance!

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