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élites corrompues, demeurés de l’histoire, Grèce, populiste, Syriza
Il est intéressant de voir que le parti Syriza n’est pas appelé « populiste » par les médias, mais « gauche radicale ».
Le terme « populiste » est une injure, et en général réservé à la droite.
Ce n’est pas une épithète objective. Personne ne s’en prévaut, sauf exceptions.
On ne peut donc pas dire de Syriza qu’il est populiste. Et cela affole les boussoles de nos commentateurs : le premier à faire un pied de nez à l’Europe institutionnelle n’est pas un parti populiste…
– Comment expliquer la défiance des peuples européens qui s’exprime d’élections en sondages vis-à-vis de l’Union européenne ?
Les peuples européens ont le sentiment de n’être plus maitres de leur destin, et ce sentiment est justifié. Ils ont été pris en main et en charge par des super-gouvernants qui pensent connaître leur bien mieux qu’eux-mêmes.
C’est ni plus ni moins une variante du despotisme éclairé, ce qui à l’âge contemporain s’appelle une technocratie : le gouvernement ressortit à une science, entre les mains de quelques compétents.
Avant chaque élection on dit aux peuples ce qu’ils doivent voter, et on injurie ceux qui n’ont pas l’intention de voter correctement. S’ils votent mal, on attend un peu et on les fait voter à nouveau jusqu’à obtenir finalement le résultat attendu.
Les instances européennes ne se soucient pas d’écouter les peuples, et répètent que les peuples ont besoin de davantage d’explications, comme s’il s’agissait d’une classe enfantine et non de groupes de citoyens.
– Ceux qui sont hostiles à la construction européenne telle qu’elle se déroule sont-ils des demeurés de l’histoire ?
Nul doute que la construction européenne, si longtemps attendue par nos ancêtres, constitue une avancée désirable vers l’entente entre les peuples et la fin des guerres civiles européennes.
Mais jamais les avancées salutaires ne doivent nous défaire de nos racines – nous avons besoin de tout. Traiter comme des demeurés ceux qui ne veulent pas abandonner leurs appartenances locales et patriotiques, c’est suicidaire.
La construction européenne éclatera si elle ne respecte pas les opinions des citoyens, les autonomies des régions et des nations.
L’Europe n’a jamais été un empire centralisé, et ce n’est pas aujourd’hui qu’elle peut le devenir, car cela va trop à l’encontre de sa culture : les peuples préfèreront briser le contrat – c’est ce qui est en train de se produire.
– Pour une grande partie de la population, l’Union Européenne semble être devenue le bouc émissaire des peuples, la cause unique de l’impuissance collective….
En effet : essentiellement en raison de cette gouvernance anti-démocratique qui se cache derrière une prétendue démocratie. Les peuples ont le sentiment d’être trompés. Il faudrait au moins que les gouvernants européens, qui ne sont élus par personne et pensent détenir la seule bonne vision du bien commun, cessent de se dire démocrates.
Les peuples ne voient pas l’Union Européenne en bouc émissaire, ce serait trop simple et ils sont plus intelligents que les élites ne le croient ordinairement.
Les Grecs ne s’imaginent pas par exemple que Tsipras va rétablir la situation dès qu’il aura fait un bras d’honneur à l’Europe. Mais ce sont des gens qui veulent retrouver leur dignité démocratique. Ils le disent d’ailleurs : retrouver leur fierté. La dignité de ne plus être traités comme des enfants… Ils savent qu’ils ont commis des erreurs, ils savent qu’ils vont souffrir, mais ils veulent trouver les réponses eux-mêmes et supporter leurs propres souffrances – cela s’appelle : être responsables. Peut-on les en blâmer alors que l’Europe cultive en permanence les valeurs d’autonomie et de responsabilité ?
– La dialectique peuple/ élite est l’un des ressorts de la parole politique.
Le peuple est-il vertueux par nature et les élites forcément corrompues ?
Ah certes non ! La corruption guette tous les humains que nous sommes et dans notre monde il n’existe pas d’anges ni de diables…
Ce qui distingue l’élite du peuple n’est pas de nature morale, mais plutôt dans l’appréciation du monde. L’élite, urbaine, mondaine, branchée, cosmopolite, vise facilement l’universel, l’émancipation, les nouveautés. Tandis que le peuple plus attaché à ses bases tient à l’enracinement, à ses communautés d’appartenance, à ses traditions.
La dialectique entre les deux est de toujours. Chacun des deux rappelle de façon plus aigüe une caractéristique humaine fondamentale, car nous avons besoin à la fois de racines et de progrès. Chacun des deux trouve sa perversion dans l’excès de ce qu’il chérit. L’élite se pervertit dans l’ubris émancipatrice. Le peuple se pervertit dans le repli et l’enfermement. L’idéal est un débat entre les deux, et c’est ainsi qu’une démocratie doit fonctionner, parce qu’il faut toujours éduquer le peuple à davantage d’ouverture, mais il faut toujours éduquer l’élite à la recherche des limites. Ce n’est pas ainsi que les choses se passent en ce moment : les élites injurient le peuple et le méprisent, le peuple se défend en votant pour des extrêmes.