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Aléxis Tsípras, le patron de SYRIZA, a-t-il vraiment des chances de démontrer qu’une autre politique est possible ? La Grèce, dont certains disent qu’elle est la première responsable de son sort, peut-elle s’en sortir ?
Les seuls vrais responsables de la situation sont les deux dynasties politiques des Karamanlís et des Papandréou qui ont fait régner le clientélisme et la corruption pendant des décennies, et qui viennent fort heureusement de mordre la poussière. S’y sont ajoutées la fraude fiscale des plus riches, les exemptions d’impôt dont jouissent notamment les armateurs et l’Église, sans oublier la banque Goldman Sachs qui a poussé la Grèce à truquer ses comptes pour entrer dans la zone euro.
Tsípras est bien entendu taxé d’irréalisme par ceux qui soutiennent qu’il ne tardera pas à manger son chapeau ou qu’il va définitivement plonger la Grèce dans le chaos. Mais en fait, l’irréalisme est plutôt du côté des journalistes libéraux et des chroniqueurs stipendiés, qui assurent qu’une dette qu’il est impossible de payer doit l’être quand même, que la souveraineté populaire doit être tenue pour quantité négligeable et qu’il est légitime de mener jusqu’au bout l’équarrissement du peuple grec.
Dans l’immédiat, avec son ministre des Finances Yánis Varoufákis, Tsípras va tenter de renégocier la dette de son pays, soit en en réduisant le montant, soit sans toucher à ce montant, mais en réduisant les taux d’intérêt et en allongeant la maturité des prêts grâce à un moratoire permettant à l’État de mener à bien de vraies réformes, tout en cherchant à redonner une capacité d’action à la Banque européenne d’investissement (BEI). Ce sont là des exigences raisonnables. Elles viennent d’ailleurs d’être saluées par l’économiste Paul Krugman, dans un article retentissant publié dans le New York Times.
La « troïka » acceptera-t-elle de négocier ? Elle y est évidemment d’autant moins disposée qu’elle craint de créer un précédent (comment refuser à l’Espagne ou à l’Italie ce qu’on aura accordé à la Grèce ?) et, surtout, qu’elle ne veut à aucun prix donner à penser qu’il puisse exister une alternative aux politiques dogmatiques d’austérité. Mais trop d’intransigeance peut aussi aboutir à un défaut grec et à une sortie de l’euro (« Grexit »), ce que la « troïka » redoute également. Toute la question est donc de savoir ce que l’Union européenne estimera le pire pour elle. On devrait être rapidement fixés.
Le fait qu’en France le Front national et le Front de gauche aient pareillement salué sans réserve la victoire de SYRIZA peut-il donner matière à réflexion pour les temps à venir ?
Cela ne peut surprendre que ceux qui n’ont pas encore compris que de nouveaux clivages se mettent place, qui rapprochent objectivement tous ceux qui contestent l’idéologie dominante et la Nouvelle Classe qui en est le reflet. Le seul vrai clivage désormais est celui qui oppose partisans et adversaires de la mondialisation, partisans et adversaires de la souveraineté des peuples. Autrement dit : les nouveaux dominants et les nouveaux dominés, les possédants et les dépossédés.
Dans la Grèce antique, Jason passait pour avoir conquis la Toison d’or. En affirmant la souveraineté du peuple grec contre les bureaucrates de Bruxelles et de Francfort, Aléxís Tsípras s’attaque au mur de l’argent. La Grèce n’a certes pas la taille critique requise pour faire s’effondrer le Système, mais même un grain de sable peut avoir son effet. Les Grecs n’ont de toute façon plus rien à perdre. En cherchant à retrouver leur dignité, ils auront au moins sauvé l’honneur.
Entretien réalisé par Nicolas Gauthier