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appartenance à une nation, autorité, cas médiatisés, passage à la maturité, service de la nation, service militaire
Jean-Louis AUDUC est agrégé d’histoire.Il est directeur-adjoint de l’IUFM de Créteil
Lors de sa conférence de presse du jeudi 5 février, François Hollande s’est exprimé sur les questions d’éducation. Il a annoncé la mise à l’étude en métropole du « service militaire adapté » pour les jeunes en difficultés, dispositif d’aide à l’insertion professionnelle déjà présent dans les DOM TOM.
Le retour du service militaire serait-il une bonne chose ? Crédit REUTERS/Stephane Mahe
Avec la fin du service militaire, a-t-on surinvesti l’école de responsabilités, dans la mesure où l’on a désormais uniquement compté sur elle pour insuffler les principes d’autorité, d’effort, de civisme et d’appartenance à l’ensemble national ?
Jean-Louis Auduc : La principale responsabilité de l’école, qu’elle peine d’ailleurs à accomplir, c’est de ne laisser personne au bord du chemin dans l’apprentissage du lire, écrire, compter et de la compréhension du monde. C’est cela qui construit sa légitimité et celle de ses personnels aux yeux de la société.
L’école doit également, mais en relation avec l’ensemble des institutions de la société, permettre au jeune de se construire son parcours de passage de l’enfance « irresponsable » à l’adolescence « co-partage de responsabilité avec la famille » et à l’âge adulte « âge des responsabilités ». Elle ne l’a sans doute pas assez joué, notamment parce que l’éducation civique est la seule matière enseignée dans le second degré qui n’a jamais fait l’objet d’une formation et d’une qualification spécifique de ceux qui doivent l’enseigner, alors que c’est indispensable !
Concernant le travail des autres institutions de la République, connaissez-vous beaucoup de collectivités locales qui célèbrent la sortie de l’enfance à 13 ans, âge de la responsabilité pénale ou à 18 ans, âge de la majorité sociale et civique ?
Le principe de précaution est devenu la norme à tous les étages de la société française. Quelles conséquences a-t-il eu sur les enfants dans leur rapport à l’autorité et aux limites ?
Le principe de précaution inhérent à toute activité a eu des conséquences redoutables dans le domaine éducatif d’autant plus qu’il a été lié à un processus d’indifférenciation des âges qui a plus pesé sur les garçons que sur les filles
Pèse sur les garçons la disparition de tous rituels d’intégration sociaux à un moment donné de leur vie et le flou régnant entre 16 et 25 ans autour de l’entrée dans l’âge adulte.
Cette société d’adolescence où l’on est pré ado, et post-ado, où se développe pour les trentenaires la notion « d’adulescence », ni tout à fait ado, ni tout à fait adulte, elle heurte, on le comprend bien, beaucoup plus la construction de l’identité masculine que celle de l’identité féminine où la rupture enfant/adulte est marquée par des transformations corporelles et le fait d’être devenue en capacité d’être mère. Nous vivons aujourd’hui une société marquée par la confusion des âges, où on demande le plus souvent à ceux qui la composent de devenir mature de plus en plus tôt pour rester jeune de plus en plus tard. La société semble avoir des difficultés à accepter qu’on puisse grandir et devenir adulte.
Dans la construction de sa personnalité, le jeune, spécifiquement le garçon, parce qu’il vit moins dans son corps le passage à l’âge adulte que les filles qui lorsqu’elles sont réglées savent qu’elles peuvent potentiellement être mère, a toujours eu besoin de rites d’initiation, de transmission et d’intégration. Ceux-ci ont été longtemps religieux (confirmation, communion solennelle) et civiques (les « trois jours » ; le service national). Aujourd’hui, il n’existe quasiment plus de rites d’initiation et de transmission, ce qui, la nature ayant horreur du vide, laisse le champ libre à des processus d’intégration réalisés dans le cadre de « bandes », de divers groupes, voire par des sectes ou des intégrismes religieux.
En effet, transgresser, c’est pour l’adolescent le moyen, une manière de prospecter les limites, de les tester, de se mesurer aux interdits. Il est donc important que l’adulte ne se laisse pas prendre à ce jeu de transgression qu’expérimente l’adolescent. Il ne s’agit pas d’être laxiste, mais de travailler sur les limites et les régulations possibles.
Pour quelques cas médiatisés, on empêche l’adolescent de se préparer à gérer efficacement son passage à la maturité.
Si l’on considère comme acté le fait qu’aucun retour à un équivalent généralisé du service militaire ne sera effectué, de quelle marge de manœuvre le corps enseignant dispose-t-il pour faire valoir les principes susmentionnés auprès des écoliers, collégiens et lycéens ? Et si le principe de précaution n’était pas aussi fort, quelle marge de progression pourrait-on observer chez ces derniers ?
Je ne suis pas si pessimiste. Il y a quinze ans nous étions quelques-uns à « prêcher dans le désert » contre l’erreur que représentait la suppression du service national. Aujourd’hui, beaucoup de personnes se rendent compte du coût pour la société que cela a représenté et en cherchent une substitution…
Il faut travailler dans le sens d’un moment obligatoire de trois ou six mois où le jeune sera au service du collectif et verra que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers.
Il faut que dans les établissements scolaires et autour puissent se développer des actions, des pratiques autour du bien commun, du sens commun , de l’intérêt général pour que le jeune puisse prendre conscience de ce qu’apporte le collectif. Cela doit se faire autour de l’école et pas diminuer le temps scolaire des apprentissages qui a besoin d’être revalorisé.
Pourquoi ne pas s’inspirer de pays où le temps de présence obligatoire en établissements scolaires est beaucoup plus important que le nôtre (autour de 36 heures) est divisé entre 2/3 d’apprentissage en classe et 1/3 d’activités collectives dans et autour de l’établissement scolaire ? En France, quand on parle de temps de présence, on ne parle que du temps en classe ……
Revenir à un service « national » universel obligatoire doit être une piste de travail. Il faut en revenir à ses principes :
- un brassage géographique et social pour donner du sens et un sentiment commun d’appartenance à une nation
- un impôt-temps de quelques mois qui montre que si on a des droits, on a aussi des obligations au service de la nation
- un rite d’entrée pour le s garçons et les filles dans l’âge adulte, l’âge des responsabilités qui doit les amener à se poser la question : « Que serions-nous prêts à défendre ou à considérer comme nécessaire de défendre ou de promouvoir ? »
- Et puis, on pourrait se poser la question : ne faut-il pas comme c’était le cas avec le service militaire , donner à la fin de leur service la possibilité aux jeunes de passer gratuitement le permis de conduire. Cela éviterait les millions de conducteurs sans permis ou avec des permis falsifiés…
Propos recueillis par Gilles Boutin