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Michaël Lambert
Angela Merkel était à Washington lundi pour présenter le plan de paix élaboré avec François Hollande, à Barack Obama. Mais pendant ce temps, les victimes civiles sont de plus en plus nombreuses en Ukraine. Un conflit qui fait ressentir habitants un sentiment d’abandon.
Le conflit en Ukraine orientale s’enlise de jour en jour. Si les rebelles épaulés par la Russie semblent toujours prêts à se battre, la lassitude atteint les civils, notamment les Ukrainiens qui ne souhaitent pas forcément être réquisitionnés pour aller mourir dans le Donbass. Peut-on dire que le pouvoir de Kiev a aujourd’hui perdu la bataille des esprits ?
Michaël Lambert : Les Ukrainiens attendaient beaucoup de la part de l’Union européenne, de l’OTAN et des Etats-Unis. Ces trois acteurs avaient pour ambition de pouvoir faire plier la Russie et les séparatistes en usant successivement des pressions économiques, puis en apportant un soutien militaire décisif pour, au minimum, contenir les rebelles et les pousser à l’épuisement.
Dans une mesure similaire, les Etats-Unis semblent de moins en moins aptes à s’opposer à la Russie dans les Etats membres de la CEI, et un schéma similaire à celui de la Géorgie en 2008 semble refaire surface. Les Etats-Unis savent pertinemment qu’il est impossible d’envoyer des troupes, difficile d’envoyer des armes, ou encore d’inciter l’OTAN à intervenir, cela n’aurait pour effet que de pousser Moscou ou les groupes mafieux à faire de même chez les séparatistes, et rendre le conflit encore plus meurtrier.
Ces éléments, auquel s’ajoute la situation économique catastrophique en Ukraine, poussent les citoyens à ne plus croire en la fin du conflit sans renouer le dialogue avec les russes. On peut donc dire que Kiev à objectivement perdu la bataille des esprits, et regarde impatiemment un renforcement de la puissance diplomatique et militaire européenne, une perspective qui semble impossible avant plusieurs décennies.
De leur côté, les citoyens des républiques autoproclamées de Nouvelle-Russie, ne sont-ils pas prêt à accepter la mainmise des rebelles et des Russes sur leur région afin d’éviter de nouvelles frappes ukrainiennes ?
Les citoyens de Novorossia (Nouvelle-Russie) ne sont pas fondamentalement contre les séparatistes.
Le manque de perspective d’avenir et l’aversion pour le gouvernement ukrainien, et ce depuis la fin de la Guerre froide, font que les habitants acceptent l’idée de lutter contre Kiev pour se rapprocher de Moscou, en témoigne les campagnes de recrutement de Novorossia, bien qu’irréalistes sur un plan quantitatif.
A l’inverse les chefs militaires des séparatistes, eux, semblent déterminés à se battre. Leur jusqu’au-boutisme leur permet-il de s’imposer sur le terrain de la « guerre mentale » ?
A l’heure actuelle, les chef militaires des séparatistes ont tout à gagner à continuer le conflit, et tout à perdre à l’arrêter. Premièrement, car le gouvernement ukrainien les condamnerait à la peine de prison à vie en cas de rattachement à l’Etat central. Deuxièmement, les chefs militaires entretiennent souvent des relations avec les groupes mafieux locaux et du Caucase russe. Le conflit est l’opportunité idéale pour vendre des armes devenues de plus en plus difficiles à écouler depuis la fin des guerres dans le Caucase.
Enfin, il est a noter que les séparatistes ne souhaitent pas rendre les armes, le taux de chômage et le manque de perspectives d’avenir poussent les plus jeunes à préférer l’action sur le terrain que de retourner au mode de vie d’avant guerre. Un constat similaire à celui advenu pendant la Guerre de 2008 en Géorgie, ou les Tchétchènes étaient venus piller et se battre en Abkhazie par “amour” de la guerre, même si ce concept semble complètement étranger à la mentalité occidentale.
En ce sens, les séparatistes ont effectivement une longueur d’avance sur le plan psychologique par rapport aux troupes ukrainiennes.
Un an après l’annexion de la Crimée par la Russie, le thing-tank pro Kiev « Free Crimea » (dirigé par Taras Berezovets) a réalisé un sondage téléphonique pour mesurer le ressenti des habitants de la péninsule.
Contrairement à ce qui était pressenti, 82% des sondés affirmaient être satisfaits de l’annexion. Dans ce cas précis, Moscou n’a-t-elle pas gagné une bataille psychologique décisive ?
Les résultats du sondage semblent cohérents. Les habitants de la Crimée se sentaient déjà “russes”, et ce depuis la fin de la Guerre froide. Le rattachement-annexion à la Russie est positivement perçu par la population dans le mesure ou il permet aux familles de Crimée d’aller voir leurs proches en Russie sans contrainte de visa, de nouer des relations commerciales, et de pouvoir parler le russe sans aucune intrusion de la langue ukrainienne dans le vie de tous les jours.
On ne pourrait pas dire que Moscou à gagné une bataille psychologique. On peut juste avancer que les occidentaux ont mal évalué la situation en Ukraine avant 2014. Auquel s’ajoute le début de la confrontation entre l’Union européenne et l’Union eurasiatique, qui redessine la carte géopolitique du monde dans lequel nous vivons. Si pour les occidentaux de tels changements territoriaux sont inquiétants, pour les russes, ils ne sont rien de plus qu’une renégociation du partage des territoires de l’URSS après 1991.
Le simple fait qu’Angela Merkel et François Hollande se présentent face à Vladimir Poutine est un échec. Cela montre que l’Union européenne n’a toujours pas un représentant supranational qui peut imposer aux Etats membres une vision commune, et donc un échec du passage de la diplomatie des Etats membres vers une diplomatie supranationale. On revient à cette idée fondamentale qu’il est temps pour les Européens de fusionner leurs armées et les services de renseignement, et de passer vers une Europe fédérale, qui sera la seule à pouvoir s’affirmer face à la Russie, mais aussi aux USA et la Chine. Le message est donc évident pour Poutine, le manque d’unité des Européens lui laisse carte blanche pour faire ce qu’il souhaite car l’UE n’est pas assez puissante, ce qui explique le manque de respect qu’il a envers elle.