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par Rémi Mogenet
Frank Herbert est l’auteur du célèbre roman Dune, qui se passe dans le futur et sur plusieurs planètes; mais dans ce monde, la religion est loin d’avoir disparu. Et le plus étonnant est qu’elle n’est pas un simple élément psychologique ou sociologique: son contenu, largement inspiré par l’Islam, reflète des principes constitutifs de l’univers; il en vient de réelles métamorphoses, tant des hommes que de la planète Dune elle-même. Par son action, le héros, Paul Atreides, devient une sorte d’homme-dieu pouvant contrôler les forces de vie, présentes notamment dans l’eau.
On pense naturellement ce qu’on veut d’une telle philosophie, mêlant l’élémentaire au mystique; mais la force en est grande, et elle crée dans le roman un dynamisme, un élan qui manque par exemple à Pierre Bordage, grand imitateur en France de Frank Herbert: car lui aussi a parsemé son univers de
figures mystiques; mais elles tendent à l’ornementation: elles ne fondent pas l’action même, n’en sont pas le moteur, et ne résonnent pas concrètement dans l’univers. Elles s’ajoutent aux machines du futur sans fusionner avec elles.
Sans doute, c’est, jusqu’à un certain point, le cas aussi chez Herbert; mais l’exemple de l’arme à ondes sonores qui décuple sa puissance par le nom prononcé de Muad’Dib (par l’énergie spirituelle de celui qui la manie, puisque Muad’Dib est l’objet d’un culte), montre ce que cet auteur a pu faire, quand il a cherché à mêler le spirituel au mécanique – et qu’il y est parvenu.
Dans son roman, qu’on a dit écologiste, il présente des traditions islamiques sous un jour favorable: le mot Jihad est présent, et il exprime l’aspiration d’un peuple qui vit en communion avec son environnement – le désert torride. Ces Fremen – hommes libres – perçoivent les forces cosmiques cachées dans leur planète, et ils s’efforcent de s’en rendre maîtres. Ils se dressent contre l’empire galactique qui pactise avec l’ordre mécanique au lieu de sacraliser l’eau de la Vie – et de reconnaître la supériorité du flux magique de la foi sur la machine.
Paul Atreides, porté par eux, annoncé par leurs prophéties, fera la démonstration de cette supériorité.
Serait-il aujourd’hui encore possible, de faire un tel roman? On peut même se demander si, en France, cela l’aurait jamais été. La science-fiction n’y accorde que peu, somme toute, aux flux magiques de la volonté qu’enflamme une foi. Dans ses livres, Bordage présente un fanatisme religieux ressemblant au catholicisme comme quelque chose d’affreux, de coupé totalement des forces de Vie. Celles-ci se relient bien, comme chez Herbert, à du mysticisme oriental, mais de façon moins nette: ce qui est clair est justement constitué par la religion affreuse s’
apparentant au catholicisme. La puissance des hommes du bien, fondée sur les mystères de l’âme, reste assez théorique. Quant aux machines du futur, elles apparaissent comme décoratives, dénuées de portée morale. L’action du coup a du mal à avancer. C’est toute une différence d’approche.
On ne sait pas, en outre, jusqu’à quel point le roman de Herbert, très lu en France et dans le monde, a eu une influence sur ses lecteurs, jusqu’à créer de nouvelles représentations. Les événements actuels en portent peut-être la marque.