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par Augustin Landier, David Thesmar et Sylvain Catherine.
Le choc inégalitaire lié à la transformation de notre économie a, avec l’essor des nouvelles technologies, polarisé le marché du travail. Si le creusement des disparités en France a été amoindri par le salaire minimum, celui-ci empêche néanmoins l’offre de prendre l’ampleur espérée, selon une récente étude de l’Institut Montaigne « Marché du travail : la grande fracture »
Ces vingt-cinq dernières années, la France a échappé à l’accroissement des inégalités salariales observé dans la plupart des économies développées, comme aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie, etc. Au regard de cette spécificité, ressusciter le thème de la fracture sociale peut donc sembler curieux.
Pourtant, les causes fondamentales de la hausse des inégalités n’ont pas épargné la France. Le progrès technique, notamment la robotique et l’informatique, a suscité le déclin de métiers, tels les ouvriers et les secrétaires, dont les salaires se situaient au centre de la distribution nationale. Parallèlement, il a favorisé l’essor des professions les plus qualifiées (ingénieurs, gestionnaires…), mais aussi des emplois de services faiblement rémunérés (la restauration, les services à la personne…).
Propice à la hausse des inégalités salariales, cette « polarisation » du marché du travail est si bien documentée aux Etats-Unis qu’elle dispose de sa propre page Wikipédia (lien).
Notre analyse de l’Enquête Emploi depuis 1990 montre que la France n’a pas échappé à cette tendance, mais lui a apporté une réponse politique originale : la hausse rapide du salaire minimum. En progression de 30% depuis 1995, ce dernier a cru trois fois plus vite que le salaire moyen. Malgré les vents contraires, cette politique a conduit à un tassement des inégalités salariales, mais sa contrepartie a été de rendre difficilement employable la population faiblement qualifiée.
Cet effet pervers n’est pas sans importance dans un pays qui, fier de « l’école de Jules Ferry », n’en est pas moins classé par l’OCDE dans les nations ayant un « niveau de formation historiquement bas. » Un quart des 25-64 ans n’a pas dépassé le collège, un chiffre au-dessus de la moyenne de l’organisation et clairement supérieur à l’Allemagne (14%) ou aux Etats-Unis (11%). Or tous les niveaux de qualification supérieurs au baccalauréat ont des taux de chômage proches de 5%. Le chômage de masse est donc essentiellement un problème pour les non-qualifiés.
L’expérience américaine indique que la résolution de ce problème ne passe pas par un sursaut industriel. En comparant l’emploi secteur par secteur, on constate qu’en 2012, la part de la population active occupée par l’industrie était de 2,1 points inférieure aux Etats-Unis, mais que la France accuse un déficit de 5,5 points dans le commerce de détail (1,9 points) et l’hôtellerie restauration (3,6 points). Ces écarts existaient non seulement avant la crise (2006), mais sont, de surcroit, semblables à ceux calculés par Thomas Piketty en 1997 (lien).
Une baisse du salaire minimum ne semble pas politiquement réaliste. Cependant plusieurs études ont montré qu’une baisse de charges produit des effets bénéfiques en réduisant le coût du travail (Kramarz et Philippon, 2001 (lien) ; Crépon et Desplatz, 2002 (lien); Bunel et L’Horty, 2012 (lien)). Pratiquées depuis le gouvernement d’Alain Juppé, ces politiques d’allégement de cotisations ne sont pas nouvelles mais ont souvent été implémentées dans l’ignorance de la théorie économique la plus basique et au détriment des comptes publics.
Les aides au logement dans une ville où l’offre immobilière est inélastique se répercutent naturellement dans la hausse des loyers. Similairement, les allégements de cotisations sur un segment du marché du travail au plein emploi (comme au-delà de 1,5 smic) sont intégralement absorbés par la hausse des salaires nets. Ils n’affectent, en revanche, ni le coût du travail, ni le taux de chômage. S’ils sont financés par d’autres impôts, ils ne profitent pas non plus au pouvoir d’achat.
Dans le cadre d’une redéfinition du périmètre de la Sécurité Sociale, une baisse générale des charges peut être souhaitable en elle-même. Cependant, au regard de la politique de l’emploi, les allègements ne peuvent réduire le coût du travail qu’en ciblant les niveaux de salaire réglementés où le chômage est significatif, c’est-à-dire au voisinage du salaire minimum. Pour peu qu’elle ne soit pas annulée par la hausse du smic, la baisse ciblée des cotisations peut donc relancer l’emploi.
Le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE), une subvention sur la masse salariale s’étendant jusqu’à 2,5 smic est l’exemple type d’une mesure non ciblée et dispendieuse. L’indice du coût du travail l’illustre parfaitement : la mesure a provoqué une baisse brutale de 2% du coût du travail au premier trimestre 2013, mais les mécanismaes de marché n’ont mis que neufs mois à dissiper cet effet (graphique) en ajustant le salaire net. Le coût pour les finances publiques, lui, persiste !
L’ensemble des statistiques évoquées dans cet article et bien davantage sont détaillées dans notre étude, Marché du travail : la grande fracture, disponible sur le site de l’Institut Montaigne (voir ici).
