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 Drieu Godefridi, juriste et docteur en philosophie à la Sorbonne.

Toujours à la pointe des dernières avancées idéologiques, le Conseil de l’Europe exige de la France qu’elle interdise la fessée (sur enfant). Cette demande est non contraignante. Toutefois, si cette décision n’était pas suivie d’effet, le Conseil de l’Europe menace expressément la France d’une condamnation par son bras armé, la Cour européenne des droits de l’homme, sise à Strasbourg.

Ce débat sur la fessée est le prototype du vilain sujet : comment peut-on légitimer la violence contre les enfants ? Faut-il être sans cœur, un monstre, pour refuser la protection des pouvoirs publics aux enfants ? Ne voit-on pas qu’en acceptant la fessée, on ouvre la porte aux violences les plus graves ?… Eh bien non, on ne voit pas. Parce que fessée et maltraitance n’ont strictement rien à voir : la différence est de nature, et non de degré.

En réalité, cette nouvelle intervention du Conseil de l’Europe pose trois problèmes intéressants, de théorie juridique, de démocratie et de liberté substantielle.

Du point de vue juridique, il est permis de se demander si une décision non contraignante avec menace de sanction n’est pas une contradiction dans les termes. Autrement dit : une décision non contraignante avec sanction à la clef ne serait-elle pas, tout de même, un tout petit peu contraignante ? Ou encore : une décision contraignante est-elle contraignante ? Tel est l’étrange empire de cette normativité internationale, entre recommandation et obligation, qui se revendique et se légitime d’elle-même.

Du point de vue démocratique, on dénonce, à juste titre, le déficit démocratique des institutions de l’Union européenne (qui n’a, rappelons-le, rien à voir avec le Conseil de l’Europe). Du moins l’UE dispose-t-elle d’un Parlement, dont les membres sont élus au suffrage universel et dont les débats publics font l’objet d’une couverture médiatique permanente. Rien de tel avec le Conseil de l’Europe, une organisation purement intergouvernementale en théorie, donc technocratique en pratique, dont la légitimité démocratique est inexistante. Ce qui n’empêche pas ce cénacle, aussi discret que puissant, de lancer d’audacieuses expéditions normatives au cœur même du droit matériel des Etats membres. Cela au titre d’une compétence interprétée de la façon la plus extensive, et par le moyen discutable de normes contraignantes-non-contraignantes qui, sitôt adoptées, mettent définitivement hors jeu les Parlements nationaux. Ainsi des minorités idéologiques qui n’ont aucune chance de l’emporter dans les débats nationaux imposent-elles de plus en plus fréquemment leur loi par le truchement d’organes internationaux.

Quant à la liberté individuelle. Nous assistons depuis quelques années, notamment à l’initiative du Conseil de l’Europe, à une invasion de la sphère familiale par les pouvoirs publics, dont la force irrépressible n’est pas sans évoquer la remontée des Russes sur Berlin en 1945. Autrefois considérée comme sanctuaire inviolable, la famille est désormais quadrillée par un maillage de plus en plus dense de normes pénales. Peut-être serait-il opportun de se demander si ces législations qui mettent les relations familiales au pas de fantasmes minoritaires sont légitimes, efficaces, efficientes, ou si elles ne sont que l’habillage hâtif de pulsions idéologiques hérissées d’arbitraire en pratique.

Au triple point de vue juridique, démocratique et de la liberté, il s’impose que nos démocraties remettent à leur place les experts sans visage du Conseil de l’Europe.

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