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À qui les enseignants apportent-ils leurs votes ? À gauche, répondent les gens de droite. Pas si simple, explique Jean-Paul Brighelli. Explications.

Tous les enseignants ne votent pas à gauche, rappelle Brighelli, et les partis extrêmes gagnent de plus en plus de voix auprès d'eux.
Tous les enseignants ne votent pas à gauche, rappelle Brighelli, et les partis extrêmes gagnent de plus en plus de voix auprès d’eux. © Alain Le Bot/Photononstop / AFP
 Par Jean-Paul Brighelli
Un forum enseignant a sondé ses fidèles sur leurs intentions de vote ce dimanche – et, sans doute, à plus longue portée, étant bien entendu que les élections départementales auront un sens plus purement politique que strictement local.

Le fait même que ce sondage soit lancé implique que les résultats n’étaient pas évidents. On croit volontiers, à droite, que les enseignants votent à gauche : c’est une idée héritée des années Mitterrand, où cela était globalement vrai. Les syndicats enseignants majoritaires d’alors hésitaient entre obédience au PS et tentations communistes. À ne prendre en considération que le syndicalisme enseignant, cela reste vrai : le SNALC (Syndicat national des lycées et collèges) même, « classé à droite » par une presse un peu paresseuse, rassemble toutes les tendances « républicaines » et grouille d’ex-chevènementistes.

Mais nombre d’enseignants (la majorité en fait) ne sont pas syndiqués. Et les syndicats peuvent bien faire part de leurs préférences, leurs adhérents ont leur idée sur la question.

Confirmation des tendances antérieures

Le « sondage » de Néoprofs nous apprend ce que nous savions depuis 2007, où 20 % des enseignants ont voté Sarkozy au second tour : la droite, sans être plébiscitée (en additionnant FN, UMP, UDI, MoDem et Divers droite, on arrive à 23 %), a fait une percée significative dans une forteresse que l’on croyait un bastion inexpugnable de la gauche. L’institut de sondages Ifop a analysé en détail les tendances successives du vote enseignant de 2002 à 2012 : on trouvera ces analyses ici.

Ce qui est bien plus significatif, c’est l’érosion – il vaudrait mieux parler de glissement de terrain – du vote socialiste. L’addition PS + EELV + PRG ne s’élève qu’à 16 % – c’est dire la cote d’amour de l’actuelle majorité, minoritaire dans le corps enseignant comme dans le reste du pays.

Plus significative enfin, l’attraction du Front de gauche (20 %). Non que la personnalité de Jean-Luc Mélenchon enthousiasme tout le monde, mais il existe ici ce que j’appellerais la tentation Syriza/Podemos, qui me paraît un révélateur sûr des tentations profondes de l’électorat français, dégoûté des partis traditionnels, écoeuré par l’Europe des banquiers et des technocrates, et dégustant de face la politique d’austérité.

Chronologie d’un désamour

Les enseignants, échaudés par les années Allègre, avaient en 2002 dispersé leurs voix sur l’ensemble de la gauche – et leur affection pour Jean-Pierre Chevènement ou Christiane Taubira a pesé dans l’échec de Lionel Jospin. En 2007, François Bayrou, porteur d’un programme centré sur les questions d’éducation, a vu sa cote monter sensiblement, et Nicolas Sarkozy a profité des maladresses de Ségolène Royal pour engranger une bonne part du vote de rejet de la gauche PS. La politique aberrante d’économies budgétaires réalisées sur le dos de l’Éducation nationale entre 2007 et 2012 a permis un rebasculement massif – mais temporaire – vers la gauche : sans trop d’illusions, les enseignants sont revenus au PS. C’est bien fini.

Il existe aux États-Unis une raison de divorce inconnue en France, intitulée « irréconciliables différences ». Les enseignants en sont là avec l’Éducation version Peillon/Hamon/Vallaud-Belkacem : la politique menée est si aberrante, si mensongère aussi, si froidement illusionniste qu’elle entraîne un rejet massif d’un parti que plus personne, dans les écoles, les collèges et les lycées, ne situe « à gauche ». D’où le recours, un peu magique, en l’absence de propositions précises, au Front de gauche.

Extrêmes

D’où surtout la montée, stupéfiante pour certains, d’un FN enfin débarrassé de l’ombre embarrassante de Jean-Marie Le Pen, qui n’a jamais rassemblé plus de 3 % des voix enseignantes. Le FN tourne désormais au-dessus de 10 %, même si ceux qui voteront pour lui ne l’affichent guère en salle des profs. Non que les enseignants adhèrent à un discours d’extrême droite, qui choque les valeurs fondamentales enseignées aux élèves. Mais le caractère « républicain » (factice ou non, c’est une autre histoire) des propositions de Florian Philippot (rendons à César ce qui lui appartient, il est le grand artisan de cette réorientation payante du FN qui défrise si souvent les vieux de la vieille) peut effectivement séduire des enseignants soucieux désormais d’une pédagogie de la transmission et du mérite républicain – et choqués, depuis quelques mois, malgré les avertissements prodigués depuis quinze ans par les mauvais augures (dont votre serviteur), par l’extrémisme religieux si peu conforme à l’idéal laïc. Il reste à Nicolas Dupont-Aignan, qui incarne à plein ces valeurs et ne partage guère celles du parti Bleu Marine, à opérer une percée significative dans un électorat auquel ses convictions ne déplairaient pas, si elles étaient mieux connues.

Le vote enseignant ne reviendra pas au PS. La droite, à moins qu’elle ne bouleverse ses convictions, ne bénéficiera plus d’une indulgence qu’elle ne mérite pas. La gauche républicaine (appelons ainsi la tendance Podemos) comme le FN pourraient bien récolter, dimanche prochain et jusqu’en 2017, les fruits de ces désamours successifs. Les extrêmes vivent de l’effondrement du centre.

Sondage : pour qui voteront les enseignants aux départementales ? ©  DR