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 Par  HADDAD Mezri

C’est le paradigme démocratique tunisien que les islamo-terroristes ont voulu frapper au Bardo, assurent les « printologues ». C’est la jeune démocratie du monde arabe, le seul pays qui a réussi son printemps qu’on a essayé d’atteindre, renchérissent certains amis de la Tunisie. Cela est sans doute vrai, comparé à la tragédie syrienne et au chaos libyen. Mais si tel était le cas, que l’on nous explique alors pourquoi la Tunisie avait subie, le 11 avril 2002, une attaque terroriste aussi spectaculaire et sanglante que celle qui vient de la frapper et qui avait d’ailleurs fait exactement le même nombre de morts. L’attentat suicide contre la synagogue de Djerba en 2002, commis par des jeunes de la « diversité » française originaires de Toulouse, avait en effet entrainé la mort de 19 touristes allemands.

A l’époque, réagissant contre l’opposition islamo-gauchiste et ses idiots utiles en France, qui accusaient le régime de simuler l’épouvantail du terrorisme, j’avais écrit ici-même qu’il faut savoir décrypter le message universel des terroristes : « nul n’est à l’abri de notre vengeance, nous avons attaqué la première puissance mondiale (11 septembre 2001), nous venons de frapper le pays arabe le plus sécurisé ; où qu’ils soient, les soldats de Dieu pourchasseront les mécréants et leurs complices » (Les leçons d’un attentat, dans Le Figaro du 20-21 avril 2002).

C’est pour dire que les terroristes islamistes s’en moquent comme d’une guigne de la nature du régime qu’ils visent. Qu’il soit dictatorial ou démocratique, musulman ou laïc, arabe ou occidental, il restera l’ennemi irréductible à abattre tant qu’il n’adoptera pas le Coran comme constitution et la charia comme norme juridique. C’est dans la nature même de l’idéologie islamiste en général et du djihadisme terroriste en particulier de frapper indistinctement les pays, les peuples, les individus, les minorités religieuses, les patrimoines culturels… Et c’est en cela qu’il constitue une menace globale que le monde arabe autant que les puissances occidentales doivent impitoyablement combattre.

La Tunisie a-t-elle été suffisamment vigilante et déterminée à mener ce combat ? Non, a posteriori. C’est parce que Béji Caïd Essebsi a reconnu cette vérité et promis d’y remédier qu’il  été porté à la présidence. Dès janvier 2011, dans l’euphorie révolutionnaire, tous les terroristes ont été libérés au nom des droits de l’homme. Tous, y compris les complices locaux dans l’attentat de Djerba. Concomitamment, les meilleurs cadres de la lutte anti-terroriste ont été limogés, toujours au nom des sacro-saints droits de l’homme. Deux jours avant la récente action terroriste du Bardo, l’actuel secrétaire d’Etat à la Sûreté, Rafik Chelly, a déclaré que la plus grande faute commise en janvier 2011 a été « le limogeage des meilleurs responsables sécuritaires que comptait le ministère de l’Intérieur ». Plus grave encore, jusqu’à ce jour, malgré la soixantaine de militaires et gendarmes tués par les terroristes ces deux dernières années, les députés d’Ennahdha et leurs alliés libéraux refusent de réactiver la loi antiterroriste de 2003, elle aussi abolie par les révolutionnaires sous le prétexte fallacieux qu’elle était liberticide.

Concilier la liberté de chacun dans la sécurité de tous, tel a toujours été le grand dilemme des Etats démocratiques, particulièrement depuis le 11 septembre 2001. La liberté et la sécurité, nous le savons depuis l’Aufklärung, ne sont pas incompatibles. Mais nous savons aussi, bien avant les Lumières, que sans la sécurité, la liberté n’a aucun sens si ce n’est celui que lui ont assigné les anarchistes.
Chez les contractualistes, de Rousseau à Hobbes en passant par Locke, le but suprême du contrat social est bien plus la sécurité que la liberté. On oublie souvent que dans l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), la sûreté est mentionnée comme un droit de l’homme au même titre que la liberté.
La Tunisie vient de subir ce que la France à vécue en janvier dernier. Mais plus que la France qui est une grande puissance, la Tunisie a besoin de la solidarité active de la communauté internationale, qui doit d’abord se traduire par une aide économique conséquente. Déjà en piètre état, c’est à l’économie tunisienne que les terroristes viennent de porter un coup mortel, le secteur du tourisme représentant 7% du PIB et faisant vivre près de 400 000 personnes.

Paru dans Le Figaro, 20 mars 2015