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antiracisme, FN, L'instrumentalisation, Marc Crapez, tontomania
Par Alexandre Devecchio

Marche du 11 janvier, diabolisation du FN: François Hollande semble avoir pris un «tournant antiraciste». Marc Crapez compare cette stratégie avec celle employée par François Mitterrand à la fin des années 80.
Marc Crapez est chercheur en science politique associé à Sophiapol (Paris-X).
La marche du 11 janvier et la rhétorique de François Hollande durant cette campagne départementale rappelle la stratégie de François Mitterrand dans les années 80. Après son tournant de la rigueur, le président socialiste avait axé sa politique sur l’antiracisme. Parleriez-vous de «tournant antiraciste» de la part de François Hollande?
Avant d’aborder cette rhétorique, il faut constater que nous sommes en plein remake de la «tontomania», cette servilité à l’endroit de Mitterrand. Certains journalistes, peu nombreux il est vrai, sont revenus aux recettes hagiographiques des thuriféraires de Pétain ou Staline. Juste avant le 2ème tour du Doubs, on pouvait lire cet éloge dans le Journal du dimanche: «Le chef de l’État essaie de prolonger cet esprit de concorde nationale il incarne vraiment tout son pays un président chef de guerre, de paix, et un père de la nation proche de son peuple».
Vient de paraître, dans le magazine Challenges, une vraie-fausse interview de Hollande. Il s’agit d’une audience que le président a accordé à Nicolas Domenach, qui en a fait un article ponctué de quelques citations. Le registre s’apparente à celui de la flagornerie: «Pas le moindre signe de faiblesse les mots et la résolution du guerrier des yeux de flamme optimisme chevillé à l’âme faveurs affectueuses, quasi paternelles la nuit surtout, un peu comme Pénélope, mais pas seulement».
Et pource qui est de l’antiracisme ?
SOS-Racisme et la séquence Malik Oussekine offrirent, effectivement, un second souffle au premier septennat de François Mitterrand. Réélu en feignant de «conjurer» les Français d’éloigner d’eux «l’égarement raciste» (1988), Mitterrand trouva son heure de gloire dans l’effet d’alignement unanimiste de Carpentras (1990) et l’effet de surplomb régalien de la 1ère guerre du Golfe (1991).
L’instrumentalisation de l’antiracisme est un levier idéologique qui permet de contourner les difficultés économiques. Le gouvernement Jospin n’en eut pas besoin, une embellie de la conjoncture mondiale lui offrant la croissance sur un plateau. Mais le gouvernement Valls-Macron est en décalage par rapport au langage de campagne du candidat François Hollande, un peu comme le tournant de la rigueur de 1983 représentait une mutation idéologique. L’antiracisme permet donc de détourner l’attention en s’offrant une virginité politique.
D’autant qu’il correspond chez Hollande à un penchant obsessif. N’avait-il pas qualifié le Livre noir du communisme de «livre pour faire monter le Front national»? En fait, son indécision tient moins à une incapacité à trancher (procrastination) qu’à une posture philosophique dont le mot d’ordre est de ne pas singulariser (not to single out, en anglais). Hollande ne veut «ni polariser, ni distinguer». Une réticence à classifier, différencier, discerner, désigner, identifier, qui biaise toute la chaîne du raisonnement.
Lors de sa 3ème conférence de presse, il justifia donc l’épisode Leonarda par la nécessité de «pourchasser» le racisme (01/2014) et le «nationalisme». Et il utilise les mêmes ficelles rhétoriques que Mitterrand. Outre une scansion qui ne respecte pas la ponctuation afin de tenir en haleine, il use de pléonasmes à la limite du janotisme: «la vie privée relève de la vie privée» (BFM, 05/2014); «un chemin sait là où il conduit» (vœux, 12/2014); «nous n’avions pas anticipé que cette crise allait durer plus longtemps que prévu» (journal de 20h, 03/2013).
Peut-on aller jusqu’à évoquer une forme de mimétisme? Comment celui-ci se manifeste-t-il?
Sa dernière conférence de presse illustre l’art du double discours, ou amphibologie, qui brouille les pistes en suggérant plusieurs interprétations possibles. Hollande dissocie la notion d’efficacité économique de son propre fiasco en matière de croissance et de chômage, en reparlant du choc de simplification dans l’administration. Mais au lieu d’accroître la richesse nationale, il s’emploie à répartir la pénurie. Les ressources de l’État sont déjà ponctionnées par pléthore de comités Théodule et autres associations? Qu’à cela ne tienne, Hollande annonce une augmentation des «crédits aux associations» pour favoriser une «démocratie associative» dans les «quartiers». Sans oublier la création d’une Agence nationale pour le développement économique destinée à combattre les «discriminations insupportables»!
L’amphibologie lui permet d’ailleurs de désigner comme ennemi non pas tant le terrorisme islamiste que le Front national. Un journaliste du Parisien révèle involontairement ce paradoxe en déclarant: «Dans votre introduction vous avez légèrement évoqué le culte musulman». Légèrement, en effet. Il réussit même ce tour de force soit de ne pas nommer l’islam, soit de le nommer en le dédouannant et en suggérant la responsabilité du FN.
Ainsi énumère-t-il les «fanatiques», les «populismes», les «extrémismes» (x2), formules attrape-tout qui suggèrent une pluralité de coupables. Plus roué encore, il égrène des formules ambivalentes. «La sécurité des mosquées», fait songer aussi bien à la question des imams fondamentalistes qu’à celle des actes de vandalisme anti-musulman. «L’instrumentalisation de l’islam», fait penser autant aux dérives islamistes qu’au FN. «Les intolérances qui viendraient de l’intérieur» sont, là encore, imputables à Pierre, Paul, Jacques.
L’antiracisme avait permis à François Mitterrand de faire monter le FN et ainsi de diviser la droite. Comme le montre l’exemple du Doubs, François Hollande peut-il aboutir au même résultat?
La stratégie de Hollande consiste d’abord à circonvenir les faiseurs d’opinion et à entraver la droite. L’affaire de la législative partielle du Doubs marque une victoire symbolique. En effet, c’est la droite qui a été mise en accusation par une partie des médias et une partie d’elle-même. Alain Juppé ne risquait rien d’autre qu’une invitation au journal de 20 heures, alors que si un autre UMP avait appelé à battre le candidat socialiste il aurait été exclu sur le champ. Ce déséquilibre a conduit Nicolas Sarkozy à s’opposer à l’élection d’un député Front national «supplémentaire», ce qui ne paraît pas un bon argument car les deux-trois députés actuels sont souvent jugés comme trop peu nombreux et pas particulièrement antipathiques.
Hollande joue au billard: il vise la droite par le truchement de la pression médiatique, qui déporte le centre de gravité des débats politiques vers la gauche. La concélébration de Charlie lui permet une métamorphose en cinq François Hollande: père de la nation (promoteur du «vivre-ensemblisme» et du commémoratif à tout crin), dirigeant (qui s’évade dans la politique étrangère sur la scène internationale), réformateur (arc-bouté sur sa méthode consensuelle), rhéteur (qui fut à la tête du PS, pendant 11 ans, un virtuose du langage anti-droite), enfin idéologue (qui se sert de l’antiracisme pour mettre la droite dans l’embarras).
Montée des communautarismes et de l’islam radical: le contexte paraît très différent de celui des années 80. En outre certains des acteurs de cette période, comme Malek Boutih, font leur autocritique. Les derniers sondages montrent que la popularité retrouvée de François Hollande reste très fragile. Cette stratégie est-elle vraiment la bonne?
C’est mauvais signe que des données factuelles soient fournies par Malek Boutih ou Samia Ghali, car cela indique que d’autres, qui ne peuvent se prévaloir d’appartenir à la diversité, ont peur de s’exprimer.
La stratégie de Hollande est efficace, car elle consiste à recueillir la bienveillance des élites et notamment des journalistes. Il accélère ses passages médiatiques: émission télévisée avec des Français lambda en novembre dernier, vœux pour 2015, émission sur RTL le 5 janvier et 5ème conférence de presse récemment. On est loin désormais du Hollande-bashing, à supposer qu’il ait jamais existé. Les questions complaisantes remplacent les questions embarrassantes. Plus de questions sur Julie Gayet, pourtant rattrapée par l’actualité.
Lors de sa 4ème conférence de presse, seule une journaliste étrangère avait évoqué le sujet, que Hollande avait écarté en mettant en cause le «sens de l’éthique» de la journaliste (09/2014). Lors de la 5ème conférence de presse, un journaliste d’Europe 1 lui demande s’il trouve «digne» le ni-ni décidé par l’UMP dans le Doubs. Et le Président interrogé d’imputer à la candidate du FN une croyance à «l’inégalité des races», ce qui n’est pas exact puisque celle-ci avait parlé de «civilisations», comme l’a rappelé Judith Waintraub dans le Figaro.
C’est plutôt la tirade de Hollande, lors de ses vœux pour 2015, contre les «menaces qui montent» (au 1er rang desquelles le «populisme»), qui rappelle le discours de Pétain sur le «vent mauvais». Et un article hagiographique paru juste avant le 2ème tour du Doubs évoque le même climat: «Le chef de l’État essaie de prolonger cet esprit de concorde nationale il incarne vraiment tout son pays un président chef de guerre, de paix, et un père de la nation proche de son peuple».