Étiquettes
Angela Merkel, ’arrogance de Yanis Varoufakis, élection de Syriza, Der Spiegel, les Grecs, prise de conscience, questionnement
Ulrike Guérot est directrice du bureau berlinois du Conseil européen des relations étrangères.
Der Spiegel publie en couverture illustrée un photomontage montrant Angela Merkel entourée de nazis devant l’Acropole à Athènes. Cette « une » provocatrice montre que les Allemands commencent à prendre conscience de l’image écornée qui leur colle à la peau dans le sud de l’Europe.

Dans son édition du samedi 21 mars, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel publie en couverture illustrée un photomontage montrant Angela Merkel entourée de nazis devant l’Acropole à Athènes. Elle vise à dénoncer les clichés sur l’Allemagne et les critiques formulées contre le pays, notamment dans les pays touchés par l’austérité. Qu’est-ce que cette une revèle-t-elle de la société allemande ?
Ulrike Guérot : Le Spiegel n’est pas le seul magazine à revenir en ce moment sur la Seconde guerre mondiale. Des discussions sérieuses sur le remboursement des dettes de guerre sont remontées au plus haut niveau politique.
Les Grecs sont venus avec ces demandes, discutées au plus haut niveau. Des juristes allemands se penchent dessus. On est malheureusement revenus à des histoires de guerre.
Le Spiegel fait-il discuter ? Oui, certainement. Cela fait six semaines qu’un débat virulent a lieu sur cette question. Les Grecs aussi voient des dérapages dans leur presse. C’est un cercle vicieux : quand ça chauffe d’un côté, ça chauffe de l’autre.
Cette une vise-t-elle à choquer ?
Le côté positif, c’est qu’elle montre qu’on discute et elle rappelle qu’il y a d’autres Européens qui ont un avis sur nous. Les Allemands pourraient commencer à comprendre qu’ils n’ont pas toujours raison, que les autres ne nous aiment pas toujours, qu’ils ne se sentent pas bien. Ca peut sembler étrange, mais il reste encore des Allemands qui n’ont pas réalisé qu’il existe des Européens en difficulté. Quand vous êtes dans un petit village du sud de l’Allemagne avec le plein-emploi, tout va bien pour vous. Que les Grecs meurent de faim…
Enfin, cette constatation du regard les autres est arrivée au centre de la presse médiatisée. D’une certaine manière, c’est positif. Le centre de la société allemande comprend que les autres sont mécontents, qu’ils ont peut-être raison de l’être, et qu’il est temps de changer quelque chose.
Quel a été le point de départ de cette prise de conscience ? Est-ce l’élection de Syriza en Grèce ?
Je pense. D’une certaine manière, l’arrogance de Yanis Varoufakis a fait sauter la cocotte-minute. Il fallait un évènement pour nous faire comprendre que tout n’allait pas et que d’autres voulaient un changement. D’une manière, la presse a bien tenu la rhétorique pendant longtemps. Il faut savoir que la différence de traitement entre la presse française et allemande était colossale : je me souviens avoir lu dans Libé un article qui se demandait « Les Grecs vont-ils sauver l’Europe ? ». Je me suis alors dit que les Français avaient vraiment un autre regard que les Allemands sur Varoufakis.
Comment décrieriez-vous la mutation de la conscience des Allemands de ce problème ?
Nous sommes un pays de 80 millions d’habitants, dont certains avaient encore la tête claire et des oreilles dans les autres pays.
La jeunesse Erasmus, certains journalistes qui commençaient à émerger… Le temps est avec nous. Tous ceux qui pendant cinq ans ont expliqué que l’Allemagne n’avait pas forcément raison et que ça allait tourner au vinaigre, ont fait monter la mayonnaise. Cet argument était de plus en plus écouté. Et la bascule a eu lieu lors de l’élection de Syriza.
Autre chose : les citoyens ne sont pas dupes. Depuis quelques temps, des Allemands se posaient des questions. Et ils ont un cœur bon : même celui qui ne comprend rien à la crise, quand il apprend que des bébés meurent dans les hôpitaux grecs, il s’interroge sur les vertus de l’austérité. Et là, la presse a craqué. Car elle a réalisé que les citoyens, même s’ils ne saisissent pas tous les paramètres économiques, ont compris que quelque chose se passe et qu’à l’extérieur de l’Allemagne, qu’on commençait à se plaindre de nous. Et les Allemands ne veulent pas que nous ayons le mauvais rôle. Nous l’avons déjà eu deux fois.
C’est assez récent. Cela s’est fait en deux mois. Il y a quatre ans, quand je disais ça, on me disait que j’exagérais.
Quel impact ce sentiment de l’opinion publique peut-il avoir au niveau politique ?
Je suis sceptique, malheureusement. Je ne comprends pas Wolfgang Schäuble en ce moment et je vois chez lui une rudesse sur cette question que je ne peux pas expliquer. J’ai toujours cru que Wolfgang Schäuble était le grand Européen du gouvernement. Mais ses dernières prises de position m’interrogent sur ce qu’il veut faire.
Les conservateurs, aujourd’hui, croient que tout va bien, que l’Allemagne a déjà répondu aux demandes de l’étranger, qu’on a laissé Draghi faire, qu’on a eu raison car l’Italie et le Portugal sont à nouveau en croissance, et que le fait que ni le Portugal, ni la France, ni l’Italie n’aient fait d’alliance avec les Grecs montre que ces derniers sont isolés et qu’on a n’a plus rien à faire.
La gauche, elle, est très hésitante. Ils sentent qu’il y a une ouverture vers un changement de politique, anti-austérité, mais j’ai l’impression qu’ils n’osent pas. L’Allemagne est un pays politique, tout le monde raisonne selon les possibilités politiques. Dans une grande coalition, la gauche ne va pas à la confrontation contre Merkel.