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Notre perception de la réalité est fortement et constamment déformée et altérée par les images virtuelles qui nous en sont données.
Dominique Jamet ,Journaliste et écrivain

Gavés que nous sommes de sondages, d’enquêtes d’opinion, de cotes de confiance, d’indices de popularité, d’intentions de vote, nous sommes de plus en plus enclins à prendre cette monnaie de singe pour argent comptant, à nous étonner que les événements n’aient pas forcément l’obligeance de se conformer aux prévisions et à juger ceux-là en fonction de celles-ci. Bref, notre perception de la réalité est fortement et constamment déformée et altérée par les images virtuelles qui nous en sont données.

Les principaux instituts de sondage nous serinaient depuis des jours et des semaines que le Front national se situait désormais à hauteur de 30 % des votes, ce qui le mettait à égalité avec la droite « républicaine » ou légèrement devant celle-ci. Du coup, les 25 % et quelques obtenus par le parti de Marine Le Pen aux départementales de dimanche ont été présentés et probablement perçus, aussi bien par les commentateurs que par l’opinion, comme plutôt décevants et qualifiés de coup d’arrêt à l’inexorable (sic) poussée de ce mouvement.

La vérité est que le Front national a réalisé un score sans précédent, alors qu’il avait jusqu’ici toujours fait mauvaise figure dans les consultations locales, qu’il progresse de onze points par rapport aux cantonales de 2011, que si le titre de « premier parti de France » peut lui être contesté, il n’en est pas moins en tête dans quarante-trois départements sur cent un, avec parfois des résultats époustouflants, qu’il s’enracine décidément dans le paysage politique, que, seul contre tous, il va passer d’un unique conseiller général à plusieurs dizaines et qu’il semble en mesure de prendre le contrôle de deux ou trois départements et d’être en position d’arbitre dans une demi-douzaine d’autres.

La « pole position » de la droite « républicaine » au premier tour est saluée comme la première victoire de Napoléon Sarkozy alors qu’elle établit au contraire à un niveau relativement médiocre la coalition formée par l’UMP, l’UDI et le MoDem, et que l’ensemble des voix attribuées, parfois abusivement, à ce secteur de l’opinion – 37 % -, est à peu près équivalent à ce qu’obtiendrait la gauche unie. Le président de l’UMP s’est retenu de pavoiser dimanche soir et se réserve de crier victoire lorsqu’à la suite du second tour, il mettra ou remettra la main sur quinze à vingt départements. Mais la vérité est qu’il ne devra un triomphe obtenu à bon compte qu’à la politique de Gribouille du PS qui le lui sert sur le plateau de la balance où pèseront lourd, comme après le 21 avril 2002, des millions de voix de gauche.

On s’émerveille de la bonne tenue, de la fermeté, de la résistance de l’électorat socialiste et Manuel Valls, bombant le torse, s’attribue tout le mérite de ce qu’on va finir par nous faire passer pour un succès. Il est vrai que, revenant de très bas, le PS se situe sept points au-dessus de ses résultats des dernières européennes. La vérité est qu’il en a perdu cinq depuis les dernières cantonales, qu’il est éliminé sans gloire dans plus de cinq cents cantons et qu’il perd un certain nombre des bastions historiques qui lui assuraient revenus, influence et clientèle.

Il n’est pas jusqu’au nombre des votants qui ne soit présenté comme la preuve d’un élan citoyen et la conséquence des appels du Premier ministre à la mobilisation générale. Certes, l’abstention est finalement restée en dessous de l’étiage répétitivement prophétisé de 55 à 60 %. Mais la vérité demeure qu’en refusant d’accomplir dimanche leur devoir civique, plus de vingt millions de Français – un électeur sur deux – ont confirmé leur déception devant l’offre qui leur était proposée sur le marché aux alouettes et leur rejet ou leur dégoût de la politique.

Ces quelques exemples attestent de la distance – notion qui nous est devenue familière en météorologie – qui sépare ici aussi le réel du ressenti.

Boulevard Voltaire – La liberté guide nos pas