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Arabie Saoudite, COMPLEXITE REDOUTABLE, JEUX D’ALLIANCE, sauver le régime yéménite, Téhéran et Bagdad protestent, Washington soutient, Yemen
Objectif : sauver le régime yéménite. Téhéran et Bagdad protestent, Bruxelles se dit inquiet, Washington soutient.
Sous l’égide de l’Arabie saoudite et de l’Egypte, une coalition de pays arabes a lancé, tôt jeudi matin, des raids aériens au Yémen pour sauver le régime du président Hadi, menacé par une insurrection des Houthis chiites soutenus par Téhéran. Un développement géostratégique majeur dans un Proche-Orient où se concentre le tiers de la production mondiale de pétrole, ce qui a d’ailleurs suscité une flambée des cours de l’or noir.
Selon Ryad, les raids aériens auraient permis de détruire les défenses aériennes des rebelles houthis. Par précaution, le trafic a été suspendu dans les aéroports du sud de l’Arabie saoudite, où la Bourse a perdu 4 % par crainte d’un affrontement direct avec l’Iran. Des forces loyalistes ont aussi repris, jeudi, l’aéroport d’Aden, passé sous le contrôle des forces anti-gouvernementales la veille. Les combats, qui ont fait 26 morts dans le sud ne peuvent toutefois pas menacer le détroit d’Ormuz, par où passe 15 % du pétrole mondial, très au nord est du Yémen.
Prudence
Une opération terrestre des pays arabes demeure en outre peu probable, estiment les analystes. « L’Arabie va rester prudente », estime John Jenkins, directeur de l’Institut international pour les études stratégiques (IISS), car Ryad se souvient avoir perdu en trois mois 100 soldats au Yémen en 2009 lors d’une intervention militaire pourtant réduite. Mustafa Alani, analyste du Gulf Research Center, ajoute, cité par l’agence Bloomberg, que les raids viseront surtout à « forcer les Houthis à reprendre les pourparlers pour résoudre la crise. Sans les bombardements, vous n’aurez pas de processus politique ».
Les Houthis, qui s’estiment marginalisés politiquement par le pouvoir sunnite, combattent avec des unités de l’armée yéménite fidèles à l’ex-président Ali Saleh, poussé au départ durant le printemps arabe après trente-trois ans au pouvoir. Ils se sont emparés de la capitale Sanaa il y a quelques mois et progressent depuis quelques jours vers Aden, la grande ville du sud où s’était réfugié le chef de l’Etat, avant d’être exfiltré mercredi.
DES JEUX D’ALLIANCE D’UNE COMPLEXITE REDOUTABLE
L’intervention des pays arabes au Yémen illustre la complexité quasi caricaturale du Proche Orient. L’Arabie saoudite et le Qatar, rivaux par ailleurs dans d’autres dossiers, sont soutenus par Washington pour contrer au Yémen les poussées géostratégiques d’un Iran avec lequel les Etats-Unis collaborent officieusement contre l’Etat islamique en Syrie et en Irak, qui fut financé jadis par Saoudiens et Qataris … Des enjeux enchevêtrés qui empêche peut être un embrasement de la région.
Le Yémen, petit pays pauvre, s’avère en effet constituer un enjeu peu stratégique pour Téhéran. Même si Téhéran se pose en protecteur des minorités chiites, «la manipulation des Houthis par l’Iran n’est pas avérée», estime Didier Billion, spécialiste de la région à l’Institut des relations internationales stratégiques, d’autant plus que les Houthis appartiennent à une branche du chiisme, le zaïdisme, différente des duodécimans perses. La priorité de Téhéran demeure le soutien à Damas, son « point d’ancrage au Proche-Orient », souligne Denis Bauchard, spécialiste du Proche Orient à l’Institut français des relations internationales, ainsi que la lutte contre l’Etat islamique, véritable menace sur son flanc nord ouest, dans lequel il coopère avec les Etats-Unis. Les milices chiites ont ainsi accepté, jeudi, comme l’exigeaient les Américains, de rester à l’écart d’une offensive des Etats-Unis sur la ville de Tikrit. Des Etats-Unis avec lesquels les âpres discussions sur le nucléaire doivent aboutir d’ici mardi : jeudi à Lausanne, les négociateurs iraniens et américains n’avaient pas l’air d’être troublés le moins du monde par la confrontation par procuration en cours au Yémen (signe qu’un dénouement s’approche, la France, considérée comme un des plus intransigeants dans la négociation, a annoncé la venue du chef de sa diplomatie Laurent Fabius samedi matin). Tout se passe comme si la décision de Ryad de s’engager au Yémen avait « pris à contre pied Téhéran et Washington, impliqués dans un dossier nucléaire autrement plus important », ajoute Didier Billion.
Pour autant, « il s’agit bien d’un nouveau front dans le conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite », estime Denis Bauchard. Et Firas Abi Ali, analyste de Country Risk, souligne que « les sponsors du conflit entre sunnites et chiites estiment désormais que leurs intérêts vitaux sont suffisamment menacés pour justifier une implication directe ». Ryad ne combattrait plus les intermédiaires de Téhéran via ses propres intermédiaires (proxies) mais directement.