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Philippe Bertrand

Auchan-Système U, guerre prix fiançailles

Auchan-Système U, de la guerre des prix aux fiançailles – Pascal Garnier pour « Les Echos »

Initialement centré sur les achats de produits de ­grandes marques, le partenariat noué entre Auchan et Système U est en train de ­devenir un ­rapprochement en bonne et due forme entre les deux enseignes.

Système U est-il la première victime de la guerre des prix qui fait rage entre les distributeurs ? «  Je ne crois pas aux partenariats fondés uniquement sur les achats. Je crois que les forces s’étant rééquilibrées sur le plan des achats, le jeu va se jouer sur la vente, la qualité de l’offre et des magasins », déclarait fin janvier aux « Echos » Serge Papin. Le président de Système U suggérait alors que sa récente entrée dans Eurauchan, la centrale d’achat d’Auchan, n’était qu’un premier pas vers un rapprochement plus large. « Nous continuons nos discussions avec Système U, avec un objectif : passer des fiançailles au mariage », expliquait un mois plus tard Vincent Mignot, directeur général d’Auchan France.

Ce partenariat centré à ses débuts, en septembre 2014, sur les seuls achats de produits de grandes marques a, depuis, été étendu aux produits premier prix. « Les négociations 2015 avec les fournisseurs se sont bien achevées fin février et les hommes des deux groupes se sont bien entendus », a par ailleurs commenté Jean-Denis Deweine, directeur des achats du groupe Auchan. Rapidement, un projet d’ « approfondissement » de cette collaboration a fait suite et a été présenté aux représentants du personnel des deux organisations, en février. Selon Jean-Denis Deweine, celui-ci porte sur « la convergence des politiques commerciales » et sur « l’efficacité opérationnelle ». Il est notamment question de synergies sur les plans de la logistique et de l’informatique.

Regroupement des achats, chez Auchan, mise en commun des entrepôts (logistique) et, surtout, convergence des politiques commerciales : il ne s’agit plus d’un simple partenariat mais d’un rapprochement, une fusion. Et dès le départ, en fait, cela a été l’objectif des parties.

Auchan pesant plus de deux fois plus lourd que Système U (54 milliards d’euros de chiffre d’affaires contre 23,4 milliards), Auchan étant un groupe intégré capitaliste et Système U une coopérative, on pourrait même parler d’absorption des distributeurs de l’Ouest par le groupe nordiste.

Mais la réalité est plus complexe. D’abord, Auchan réalise désormais 64 % de son activité à l’international, en Russie et en Chine. En France, le groupe fondé par Gérard Mulliez a une part de marché (11,3 %) à peine supérieure à celle de Système U (10,3 %). L’an passé, même, les U ont enregistré des performances meilleures avec une hausse de 0,3 % de leurs ventes, contre une baisse de 2,2 % pour Auchan France. Dans le couple ­Système U-Auchan, il n’y a donc pas vraiment de dominant et de dominé. Auchan a autant besoin de Système U que l’inverse.

Autre point à relever : le projet auquel travaillent les deux distributeurs est à double sens. Il s’agit de faire passer les plus gros Hyper U (une quarantaine) sous l’enseigne Auchan, mais aussi, de transformer les 262 supermarchés Simply Market que possède Auchan en Super U. Ainsi Système U conserverait une visibilité sur le marché français, avec un poids renforcé sur le créneau des supermarchés.

 En réalité, Système U n’est victime de la guerre des prix que de façon indirecte. Son alliance avec Auchan constitue d’abord la solution à un problème particulier : la compétitivité de ses plus gros magasins Hyper U. Faute d’une taille critique suffisante en termes d’achat, comparé à Leclerc ou Carrefour, les Hyper U – contrairement aux Super U – ne disposaient pas tout à fait des conditions requises pour faire le match sur le terrain des très grandes surfaces alimentaires. Un match qui, de fait, se livre sur les prix depuis trois ans. Certains exploitants ont donc été tentés de trouver ailleurs de meilleures conditions. En quelques années, les U ont ainsi perdu une cinquantaine de points de vente, Leclerc, notamment, leur faisant une cour assidue. Les transferts étaient d’autant plus faciles que Système U est la seule structure du marché à ne lier ses membres que par des contrats renouvelables chaque année. Chez Leclerc, cela va jusqu’à vingt-cinq ans, voire plus. « Ainsi, nous ne pouvions plus pêcher chez les autres, mais eux pouvaient pêcher chez nous », résume Serge Papin, patron des U, qui a donc décidé de siffler « la fin du mercato ».

Le rapprochement avec Auchan, pionnier des hypermarchés, permet d’atteindre la taille critique en termes d’achat et de proposer aux gros magasins U un concept performant. Accessoirement, les Hyper U qui deviendraient Auchan seraient arrimés à l’ensemble par un contrat de neuf ans au moins.

Aujourd’hui, Serge Papin essaie de rendre positive ce qui a été une stratégie défensive. Il évoque une « alliance », le terme qui prévaut pour Renault et Nissan, et vise la première place du marché français avec 25 % de part de marché, 200 hypers, 1.000 supers et 2.000 magasins de proximité. Pour celui qui s’est forgé l’image du gentil ­distributeur, l’association avec Auchan est inédite mais moderne. Et pas si choquante, Auchan étant un groupe familial non coté, avec un fort actionnariat salarié (plus de 10 %). Pas une coopérative, mais un véritable esprit participatif.

Mardi 24 mars, 1.200 adhérents U se sont réunis en convention et ont approuvé à 97 % le projet stratégique de Serge Papin. Vianney Mulliez, le président d’Auchan, a été acclamé par les U. Système U a été fragilisé par la guerre des prix qui a exacerbé la concurrence entre les enseignes. Il en allait de sa pérennité. Mais peut-être ne faudra-t-il pas, à l’avenir, le considérer comme une victime…

http://www.lesechos.fr