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Plus de 7000 organisations ont participé au Forum social mondial à Tunis la semaine dernière. Bilan.

Isolda Agazzi*

C’est sous une pluie battante que s’est tenue à Tunis, le 24 mars, la traditionnelle marche d’ouverture du Forum social mondial (FSM), redirigée symboliquement vers le musée du Bardo, une semaine après l’attentat qui a couté la vie à plus d’une vingtaine de personnes. Mauvais signe pour le printemps arabe? C’est selon. Si les espoirs de changement social et économique ont été douchés dans presque toute la région, les Tunisiens ne baissent pas les bras. «Beaucoup d’associations tunisiennes ont appris du FSM d’il y a deux ans, elles sont devenues plus fortes. C’est la société civile qui a pris la Tunisie en main après les assassinats de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, contrairement à ce qui s’est passé en Egypte», confiait un journaliste local à la délégation suisse, composée d’une soixantaine de participants. En effet, la société civile a bourgeonné  depuis la révolution de 2011, passant de 3’000 associations à plus de 20’000, «mais attention, il s’agit d’une société civile jeune, infiltrée par les islamistes et le capital», mettait en garde un autre interlocuteur. Les militants étrangers étaient donc attendus comme le soleil par les Tunisiens, encore meurtris par la déferlante terroriste.

C’est que les défis sont nombreux dans la première démocratie du monde arabe. Si la liberté d’expression semble acquise, les autres problèmes restent entiers. A commencer par la corruption, qui a augmenté depuis la chute de Ben Ali, favorisée par des politiques économiques ultralibérales qui n’ont pas bougé d’un iota – le Front de gauche n’a obtenu que 15 siège dans le nouveau parlement. L’alternance politique a beaucoup de peine à se concrétiser dans un pays arabo-musulman où les partis progressistes sont encore considérés comme des mécréants et manquent cruellement de moyens, alors que les partis islamistes bénéficient de financements importants du Qatar, de l’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis.

Avec un déficit budgétaire de 6,5%, une inflation à 7,5%, une baisse des investissements de 21%, un taux de chômage des jeunes de 31% et un taux de pauvreté constaté de 24%, les syndicats ont du pain sur la planche. «Sans votre appui, il y a des risques que le bateau chavire», nous confiait un cadre de l’UGTT, le principal syndicat tunisien. Ajoutant qu’en contrepartie des prêts qu’ils consentent, les bailleurs de fonds exigent de nombreuses réformes. A commencer par la promotion des partenariats publics – privés, à savoir la participation du capital national et étranger dans la réalisation de toutes sortes de projets de développement, notamment les infrastructures. Mais est-ce aux privés d’assurer la fourniture de biens publics comme l’eau potable, ou de services de base comme la formation et la santé? Les participants à un atelier organisé par Alliance Sud ne le pensaient pas, soulignant le risque de «privatiser les gains et socialiser les pertes» lorsque les investisseurs se retirent de projets non rentables. Ou de voir les tarifs d’eau, d’électricité et d’assainissement prendre l’ascenseur et devenir inaccessibles pour les pauvres, sans que la fourniture de ces services ne devienne forcément plus efficace. Dans de nombreux pays de la sous-région, les parlements discutent ou adoptent des codes des investissements qui protègent presque exclusivement les investisseurs au détriment des pays d’accueil, notamment par le très controversé mécanisme de règlement des différends par voie d’arbitrage, qui permet aux investisseurs de porter plainte contre l’Etat hôte pour toute tentative de régulation sociale et environnementale. Souvent sous la pression des bailleurs de fonds, les pays nord-africains baissent aussi les taux d’imposition des entreprises nationales et étrangères et négocient des accords de libre-échange qui, comme celui avec l’Union européenne, vont déréguler encore davantage le commerce des services, notamment les services publics.

Certes, dans les pays industrialisés, des sujets traités par les Forum sociaux mondiaux sont devenus «mainstream». Que l’on pense à la taxe sur les transactions financières, discutée par plusieurs pays européens; à la réforme de la taxation des entreprises; à la lutte contre l’évasion fiscale; à la résistance contre les politiques d’austérité. Mais dans beaucoup de pays en développement, notamment arabes, ils sont loin d’être à l’agenda et d’être acceptés par les parlements et les gouvernements nationaux.

C’est dans ce contexte que plus de 7000 organisations ont répondu présent au FSM 2015, sous le slogan était «dignité et droits». Droits économiques et sociaux bafoués et droits fondamentaux remis en cause par les islamistes au pouvoir après les révolutions. Le plus rafraîchissant a été la participation massive des organisations arabes, à commencer par celles des femmes et des jeunes. Malgré la pluie… Mais les Tunisiens ne disent-ils pas que la pluie est porteuse d’espoir?

*Alliance Sud, Swissaid/Action de Carême/Pain pour le prochain/ Helvetas/Caritas/EPER

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