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Les banquiers suisses ont tourné la page des clients non déclarés. Selon l’avocate fiscaliste Dorothée Chambon.

Par Mohammad Farrokh

Dorothée Chambon (Avocate fiscaliste, étude Kramer Levin à Paris)

Dorothée Chambon est avocate fiscaliste de l’étude Kramer Levin à Paris. A la demande des banques, elle se déplace fréquemment à Genève pour répondre à une forte demande de formation sur la fiscalité française.

D’où vient cet intérêt des banques suisses pour la fiscalité française?

Il y a une demande de la part des clients. Déjà passablement de banques nous sollicitent pour former leur personnel à la fiscalité française, notamment aux aspects déclaratifs  mais aussi à la fiscalité des produits financiers. Les banques veulent pouvoir être en situation de parler avec leurs clients.

Certains aspects de la fiscalité française sont-ils nouveaux pour les banques suisses?

De nombreux aspects de la fiscalité française sont nouveaux pour les banques suisses qui souhaitent l’appréhender pour mieux servir les intérêts de leur clientèle française. Par exemple, un contribuable français a fréquemment un PEA, ou plan d’épargne en actions, dont les produits (dividendes notamment) sont potentiellement exonérés d’impôts. Bien que ce produit ne puisse être proposé en Suisse, les banques veulent en connaître son fonctionnement pour appréhender la situation patrimoniale de sa clientèle dans son ensemble. Cela fait partie des techniques optimisantes qu’il faut connaître. Beaucoup de contribuables français, une fois régularisés, se tournent vers l’assurance vie qui est avantageuse si détenue plus de huit ans, avec notamment un prélèvement forfaitaire de 7,5%, en lieu et place d’une taxation en fonction du barème de l’impôt sur le revenu, susceptible d’atteindre 45%. Les banques suisses ont besoin de pouvoir montrer à leurs clients qu’ils sont capables de structurer un portefeuille en tenant compte de ces particularités.

A l’inverse, il y a des produits pénalisants. Quels sont-ils?

Il y a notamment l’or physique: s’il est détenu en Suisse, en cas de cession, c’est la taxation des plus-values sur biens meubles qui s’applique (imposition au taux de 19% avec abattement de 5% par année au-delà de la deuxième). Le problème se pose surtout aux avoirs détenus en Suisse et plus généralement hors d’Europe car, dans l’UE, la taxe sur les métaux précieux représente une alternative avantageuse. A moins de pouvoir justifier d’une durée de détention assez longue pour échapper à l’impôt sur les plus-values, et c’est rarement possible s’agissant de lingots, il est préférable de rapatrier l’or avant cession. C’est en tous les cas une question fréquemment posée par les banquiers suisses. Plus globalement et depuis que la fiscalité des revenus du capital est alignée sur celle des revenus du travail, il sera souvent pénalisant de détenir ses actifs en direct.

Il n’y a plus de clients non déclarés…

Il y a encore des dossiers en voie de régularisation. Mais les banquiers suisses sont tournés vers l’avenir: ils sont particulièrement soucieux de connaître leurs obligations déclaratives pour pouvoir fournir au client tous les relevés fiscaux nécessaires. Ils ont vraiment tourné la page et il n’est plus question d’avoir un client non fiscalisé.

Mais les clients français ont-ils encore un intérêt à conserver un compte en Suisse?

Il y a des clients que la Suisse rassure. Il y a la qualité du service, le fait d’être hors zone euro, ou encore de souci de garder le même gestionnaire. Pour d’autres, il peut y avoir aussi des liens familiaux avec la Suisse. Mais il y avait aussi des clients qui n’étaient en Suisse que pour l’opacité de la relation et ceux-là vont partir. Il est difficile d’articuler une proportion, mais on peut parler de 50/50.

N’y a-t-il pas des clients tentés de quitter la France?

Oui, mais les choses ne se présentent pas toujours de manière tranchée. Il y a ceux qui partent définitivement et ceux qui le font pour mieux revenir. Quitter la France pendant cinq ans permet d’être exonéré d’ISF sur les biens situés hors de France pour également cinq ans. Certaines conventions réduisent même la durée de l’absence à trois ans, par exemple la convention avec les Etats-Unis. D’aucuns espèrent aussi une suppression de l’ISF en 2017, comme y a fait allusion Nicolas Sarkozy.

Le forfait fiscal suisse reste-t-il attractif?

Oui, mais il y a la question de l’exit tax introduite en 2012 avec effet rétroactif pour les départs dès le 3 mars 2011. Un sursis de paiement est prévu mais il sera automatique ou sur demande (avec, dans certains cas, l’obligation de constituer des garanties) suivant que le pays d’accueil est membre de l’Espace économique européen ou non. En cas de départ pour la Suisse, des garanties ne devront être constituées que si le contribuable ne peut justifier qu’il part pour raisons professionnelles. L’exit tax se base sur les plus-values latentes (calculées à la date du transfert du domicile fiscal), imposées au barème progressif de l’impôt sur le revenu.  Mais même en cas de sursis, cela reste quelque chose dont les contribuables se préoccupent, car il y a des obligations de reporting et il faut notamment pouvoir «figer» les plus-values.

 

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