Étiquettes
Les Canadiens d’abord, néodémocrate, travailleurs étrangers, travailleurs migrants jetables
« Les Canadiens d’abord » : le slogan de la réforme du programme destiné aux travailleurs étrangers temporaires – il est mis en œuvre par étapes depuis juin 2014 par Ottawa – montre clairement la voie. L’objectif est de réduire leur nombre de moitié, en trois ans.

Ces travailleurs, peu qualifiés, sont recrutés pour répondre aux pénuries de main-d’œuvre dans des secteurs comme la restauration, l’hôtellerie, le BTP, l’industrie de la pêche… Le pays en accueille chaque année quelque 200 000, en provenance surtout des Philippines et du Mexique, principalement en Alberta, en Ontario, en Colombie-Britannique et au Québec. Au total, ils représenteraient 1,2 % de la population active canadienne.
Le 1er avril a marqué l’entrée en vigueur d’une des mesures les plus décriées par les entreprises, l’opposition parlementaire et les organismes de défense des droits des migrants. Elle limite à quatre ans la durée de séjour des travailleurs actuellement au Canada, sans possibilité de revenir dans le pays avant un autre délai de quatre ans. Pour les nouveaux bénéficiaires, le permis de travail sera seulement de deux ans.
Des franchises pointées du doigt
Ottawa veut mettre le holà à l’utilisation, jugée abusive, d’un programme qui permettait jusqu’à présent à environ 2 500 entreprises d’avoir plus de 30 % de travailleurs étrangers temporaires et à 1 100 autres d’en avoir plus de la moitié… En 2014, dans l’ouest du pays, plusieurs franchises de restaurants McDonald’s avaient fait l’objet d’enquêtes pour avoir embauché des étrangers, à moindre coût.
Il y a un an, l’Institut C.D. Howe, un organisme de recherches indépendant, avait pour sa part sévèrement critiqué le programme, au motif qu’il aurait contribué, en dix ans, à une hausse du chômage dans l’Ouest canadien. Dans sa nouvelle mouture, le programme est censé rectifier le tir. Il vise les entreprises de plus de dix employés et limite à 20 % leur quota de main-d’œuvre peu qualifiée venue de l’étranger pour 2015, puis à 10 % à partir de 2016, avec obligation de prouver qu’elles n’ont pas réussi à embaucher un Canadien.
« Première vague de travailleurs migrants jetables »
Les frais associés aux demandes sont fortement majorés et les employeurs pris en faute risquent une suspension et des amendes prohibitives. Mais, pour l’heure, ce sont les travailleurs étrangers déjà présents au Canada qui sont les premiers punis, s’insurge un porte-parole de l’association Migrant Workers Alliance for Change, qui milite en leur faveur : « Pris dans un système dans lequel ils travaillent sans voix, sans droits et sans protection, voilà qu’ils sont maintenant victimes d’une hystérie voulant qu’ils volent des jobs aux Canadiens. »
En vertu de la nouvelle limite de permis de séjour de quatre ans, des dizaines de milliers d’employés étrangers vont en effet devoir plier bagages dans les prochains mois, au grand dam de leur employeur. « C’est la première vague de travailleurs migrants jetables, forcés au départ », dénonce Janet Dench, présidente du Conseil canadien pour les réfugiés.
A Ottawa, le parti d’opposition néodémocrate réclame au moins un sursis pour les demandeurs de résidence permanente, tandis que la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, représentant 109 000 PME, pousse les hauts cris. Le départ massif de ces travailleurs n’améliorera pas la situation de l’emploi, prédit son économiste, Simon Gaudreault. « Aujourd’hui, 80 % de nos membres ont des problèmes pour trouver de la main-d’œuvre locale », souligne-t-il.
Manque à gagner
A Ottawa, le 24 mars, le premier ministre de la province de l’Ile-du-Prince-Edouard, Wade Mac Lauchlan, a tiré la sonnette d’alarme. La saison de pêche va y commencer en mai et l’industrie de transformation va devoir se passer des 25 % de travailleurs étrangers temporaires à cause des nouvelles normes fédérales. A l’autre bout du pays, en Alberta, même son de cloche : les hôtels de Fort Mc Murray – ville-champignon située au cœur de l’industrie des sables bitumineux – font travailler 80 % de salariés étrangers temporaires. La chaîne de restauration rapide Tim Hortons en compte 75 % sur 200 employés.
Même en offrant un tarif horaire supérieur d’un tiers au salaire minimum, elle affirme ne pas trouver de Canadiens pour occuper les postes offerts. Résultat : elle a choisi de renoncer à ouvrir de nouveaux restaurants.